27 août 2014

Châteaux du pays Cathare : Lastours (Tour Régine, Cabaret, Surdespine et Quertinheux). De la tragédie cathare au chant de la grive...


Vue d'ensemble des 4 quatres châteaux du site de Lastours

C’est un après-midi d’été de 2008, sous un soleil sans concession, que nous découvrîmes au détour des méandres d’une route filant le long des contreforts de la Montagne Noire, plantés solidement sur leur socle rocheux, les quatre châteaux royaux du site de Lastours.

Et « ce fut comme une apparition »…
Cette phrase si célèbre de Flaubert, et que je m’approprie ici, que le père de Salammbô a volé à l’un de ses amis, alors que sur un navire en partance pour l’Egypte il avait été subjugué par une prostituée du Nil ; cette phrase disais-je, agit comme un universel de la langue, tant elle exprime à merveille cette stupéfaction, ce saisissement qui nous étreint, lorsque confrontés à ce qui nous dépasse de mille coudées, nous éprouvons le sentiment si trouble de notre extrême petitesse… Insignifiance dans le temps et dans l’espace. Impuissance des mots face à l’indicible - le propre d’une expérience numineuse, pour le dire dans le vocabulaire de Jung.
 
Dans les ruines des châteaux du site de Lastours
Saisi je le fus par la majesté sauvage et rebelle du site. Là, sous la chaleur, dans le silence habité du chant des oiseaux ; un bruant jaune ici, une grive musicienne là, tandis que dans le lointain, au dessus de la ligne de l’horizon, plane impassible un aigle… Avec, pour réconfort, une brise imperceptible transportant un peu de fraîcheur venue de l’Orbiel, la rivière des oliviers, serpentant en contrebas, masquée par le maquis... Gouttes aussitôt desséchées. Et ce vert profond des cyprès, doigts immenses et si frêles se découpant sur le bleu du ciel comme autant de vigies placées sur les pentes de la mémoire.
Haut lieu que le site de Lastours. Refuge pour les hommes depuis au moins l’âge du bronze, soit environ 1500 ans avant notre ère. Les flancs en chaos de ses collines abritent la sépulture d’une fillette dite « princesse de Lastours », dont le corps fut recouvert par ses proches de perles d’ambres et de bijoux évoquant l’art mycénien ou égyptien.
A l’époque féodale les seigneurs de Cabaret s’y établirent. La première mention de leur présence remonte à l’an 1067 et le château d’alors, le seul qui soit véritablement cathare, se trouvait en contrebas des édifices visibles aujourd’hui. Voici narrée par Anne  Brenon, l’histoire de la redécouverte de ces quatre châteaux : « Depuis la redécouverte romantique du catharisme, toute une veine poétique fleurissait en Occitanie à propos des quatre châteaux de Lastours qu’on imaginait appartenant indivisiblement aux seigneurs du lieu. On associait le nom d’une belle dame à chacun de ces châteaux : ‘elles étaient quatre, dans quatre tours qui portaient leur nom…’ Premier épisode : on en vient à admettre que ‘Tour Régine’, l’une des quatre forteresses, n’est tout simplement que la ‘tour Royale’, une défense ajoutée par le roi de France pour compléter la ligne de crête. Restent tout de même Cabaret, Surdespine et Quertinheux, en qui l’on peut sans doute confier la mémoire héroïque occitane. C’est alors, second épisode que Marie-Elise Gardel, archéologue (…) commence à fouiller du côté du château de Cabaret. Or elle ne trouve rien d’antérieur à 1250, c’est-à-dire à l’occupation royale. On a donc fini par conclure que les quatre châteaux aujourd’hui visibles sont des forteresses royales françaises. Là-dessus, troisième épisode et coup de théâtre : Marie-Elise dégage les fondations du véritable château de cabaret, le château antérieur et éponyme, en contrebas par rapport à la ligne de crête, mais au-dessus de l’exacte confluence du Grésilhou et de l’Orbiel, là où la vallée tourne. Quatre châteaux français donc, et un cinquième, celui qu’on ne voit plus parce que les maçons et terrassiers du roi l’ont fait disparaître, le seul ‘vrai’ château cathare, le vrai château de Cabaret, pivot du village castral… »   (1)

Persécution des cathares
Le site de Lastours, qui subira à partir de 1209 les assauts des croisés de Simon de Monfort, deviendra l’un des symbole de la résistance à la noirceur viscérale des sectaires de toutes obédiences. « En elle-même, dit Cioran, toute idée est neutre ou devrait l’être. Mais l’homme y projette les flammes de sa démence ». On ne pourrait dire plus juste ! Et ce connaisseur de l’âme humaine d’ajouter : « On ne tue qu’au nom de Dieu ou de ses contrefaçons ».

Mais revenons sur le Castrum de Cabaret, la ‘tête de bélier’, abandonné en 1230 sur ordre des troupes royales et qui, « au début du XIIIe siècle était habité par une population presque exclusivement composée de croyants cathares. Il abritait des maisons de religieux et de religieuses hérétiques (…). Mais il recevait aussi, de passage, les évêques cathares du Carcassès, et était le siège permanent d’un haut dignitaire, le diacre cathare de Cabardès. (… C’était) un village fortifié, un authentique castrum occitan, qui a visiblement bénéficié d’importants moyens mis en œuvre par une famille seigneuriale très puissante, celle  des seigneurs de Cabaret, probablement alliés aux Trencavel, vicomtes de Carcassonne » . (2)

Tant d’années ont passées. Mais pour l’heure, perdu en mes rêveries, je demeure sous l’emprise du souvenir de ces châteaux qui tapissaient mes livres d’histoire ; images archétypiques qui me faisaient imaginer moult épopées chevaleresques. Je n’étais alors qu’un enfant…  Ces châteaux, là désormais incarnés, en pierre sous mes yeux. Schiste aux reflets changeants, foulés de mes pas… Châteaux du pays cathare ; mot si lourd de mystères… Aura de souffre entretenue tant par de mauvais livres que par les braises d’une méconnaissance profonde de ce qu’était pour moi l’existence véritable de ces gens qui s’appelaient entre eux «Bons chrétiens ».

Vue depuis Cabaret : Au premier plan la tour Régine
Mais il suffit, là entre ciel et terre, dans le silence des hauteurs, d’écouter ce que ces pans de murs effondrés racontent, pour que se dessine une silhouette plus juste de ce que fut le quotidien des habitants de ces castrums et de ces tours anéanties. Rien ne remplace évidemment l’expérience directe ; mais aussi intense que puisse être cette rencontre avec le réel, sans assises historiques et culturelles suffisantes on ne fait qu’effleurer ces vieilles pierres, incapable que nous sommes d’en saisir véritablement l’âme. C’est pour conjurer cette carence que j’ai acquis, au retour de ce périple sur les sentes escarpées de Lastours, l’incontournable de Jean-louis Gasc, tout simplement intitulé « Les cathares ». L’essentiel s’y trouve. S’y est adjoint ensuite « Cathares, la contre- enquête » d’Anne Brenon, historienne, spécialiste du catharisme à qui l’on doit de nombreux ouvrages sur le sujet. On trouve aussi sur la toile plusieurs sites fort bien détaillés sur le sujet ; particulièrement ce blog (cliquer sur l’écusson) :
 
Raimond de Miraval

Ainsi, mettons-nous dans les pas de Raimond de Miraval, l’un des coseigneurs  du château éponyme, alors qu’il se rendait sur son petit cheval à Cabaret pour courtiser une belle dame à qui il avait donné le nom de ‘Mais d’Amic’, la « plus qu’amie » :

« Tout droit vers ma belle Mais d’Amic
Va-t-en en chanson ! Qu’elle t’entende !
Et si elle fait tant que de t’apprendre,
Je tiendrai mon chant pour bien fortuné ! » (3)

L’amour courtois, où selon l’expression médiévale occitane, fin’amor, était une manière codifiée de se comporter vis à vis d’une dame de bonne société. L’une de ses règles était que « La conquête amoureuse doit être difficile : c'est ce qui donne son prix à l'amour ».
Cet art, ô combien délicat, avait pour colporteurs privilégiés ces fameux troubadours, ces compositeurs en langue d’Oc, ‘trouveurs’ de rimes les plus douces pour leur belle, et qu’ils s’en allaient chanter dans les cours seigneuriales qui voulaient bien les accueillir. Raimond de Miraval fut l’un d’entre eux, non des moindres : « C’est lui, Miraval, qui va amener la fin’amor à sa perfection, son paroxysme. Mais d’Amic n’est pas la seule dame dans la vie de Raimond, mais certainement la plus importante. Parfois, il brûle de colère contre elle, parce qu’elle lui est infidèle, mais toujours il lui revient »  : (4)

« Belle dame, douce et charmante,
(…) Le cœur me brûle comme cendre chaude ;
Je suis plus glacé qu’un ruisseau ;
Ne me faites plus languir puisque je vous aime
Et que vous ne voulez pas tout à fait me faire mourir ! » (5)

Amour courtois - Fine amor. Scène érotique médiévale. La dame n'est pas passive, elle peut se permettre de prendre les devants
Sans doute ne dérogeait-il point à la règle qui voulait que : « Quand un amant aperçoit l'objet de son amour, son cœur tressaille ».

Mais c’est aux antipodes de ces mœurs exquises qu’il nous faut porter désormais nos regards. Terribles furent les exactions commises par chevaliers du Christ ; et impitoyable fut la répression de l’église de Rome envers les cathares. Pour s’en rendre compte, quittons ici le poète ambulant pour nous envoler en direction d’un texte en devenir, dont l’intrigue se situe en 1205 : 
 
Bûcher d'hérétiques
« Qui pour imaginer que les apôtres de la foi puissent être porteurs d’un si funeste cancer qui conduira, sur moins d’un demi-siècle, à la mort violente de centaines de milliers de pauvres gens ? Qui pour oser croire qu’un envoyé du pape, Arnaud Amaury abbé de Cîteaux, puisse vomir un jour funeste de juillet 1209 devant Béziers : « Massacrez-les, car le seigneur connaît les siens   », alors que la grande boucherie occitane conduite par les ribauds faisait déjà rage dans les rues biterroises ? Qui encore pour imaginer qu’à l’issu d’un siège de plus de 10 mois d’aucuns aient pu sous l’ombre du ‘Pog’ de Monségur, le 16 mars 1244, sans sourciller mener à la brûlaison  dans un champ, lieu maudit que l’on baptisera ensuite de funeste postérité le ‘prat des Cramats’, plus de 200 personnes au motif d’hérésie ? Arnaud Doumec et sa femme Brune, Guilhem de Lahille, Corba, femme du seigneur Raimond de Péreille, Guillemette Aicard et Ermengarde d’Ussat : tous purifiés dans les flammes. Pons de Narbonne, sa femme Arsende, Pierre Robert, Jean Rey, Guilhem Delpech, Arnaud Teulier : consolés également par crémation au bois sec. Raimonde de Marseille, Brasilhac, Raimond de Belvis, Raimond de Tournebouïx, Gilhem Garnier et tant d’autres encore dont l’histoire n’a pas même conservé le nom : pareillement poussés par les sergents français à la suite de leur évêque, Bertrand Marty, et brûlés vifs sous la muraille ensanglantée de larmes… Et dans le hameau fortifié de Bram ? Là où après trois jours d’un siège ravageur, Simon de Montfort accompagné de Dominique, ce doux moine qui fondera bientôt l’Ordre des prêcheurs, aura la répugnante idée de faire couper le
Bûcher de Montségur
nez et la lèvre supérieure aux prisonniers avant d’ordonner qu’on leur arrachât les yeux ? Ils étaient plus de cent infortunés entre les serres du bourreau d'Île de France, et à un seul d’entre eux ne sera  pris qu’un œil ; ceci juste afin de permettre à ce malheureux de guider la pitoyable procession jusqu'au castrum de Cabaret pour montrer ce qui advient de ceux qui osent braver la loi des envoyés du Christ. A Lavaur encore, pour toute forme de procès on fera pendre le défenseur du bastion, Aymeric de Montréal frère de la châtelaine, avec ses 80 chevaliers et on jettera sur les fagots l’entière population des bons chrétiens. Quant à la veuve du seigneur des lieux, Giraude, dite l’« hérétique obstinée », après l’avoir livrée à la bestialité des hommes d’armes, elle sera précipitée vive dans un puits que l’on comblera à coups de pierres malgré ses cris atroces. A l’occasion de la chute de Minerve, en été 1210, entre autres joyeusetés, seront passés sur le grill divin dans le lit asséché d’une rivière plus de 140 cathares. Suivront les déplorations de Termes et de Puivert… Et tant d’autres encore ! Moult horreurs et exactions jusqu’à nausée qu’une nuit de veille ne suffirait point à en conter le douzième. Ceci vaut, espérons-le, comme plaidoyer contre la folie des hommes et les ravages de la religion
 ».

(1) Anne Brenon, interrogée par Jean-Philippe de Tonnac, Cathares la contre-enquête, Albin Michel 2008, p 41-42.
(2) Op cité, p 33-34.
(3) Extrait tiré de l’excellent livre de Jean-Louis Gasc, les Cathares, ed Trajectoire, 2006, p 89
(4) Anne Brenon, interrogée par Jean-Philippe de Tonnac, Cathares la contre-enquête, Albin Michel 2008, p 45
(5) Jean-Louis Gasc, les Cathares, ed Trajectoire, 2006, p 90


 Autres liens :

* Seconde partie du dossier sur Lastours (voir lien mis sur l'écusson)






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Quelques photographies










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