26 août 2014

Gortyne, de la mythologie à l'histoire (Minos, Pasiphaé, Le Minotaure, Thésée, Dédale & Icare). La grande inscription ou la loi ensevelie...



Gortyne - Prétoire, statue sans tête 
C’est à l’ombre d’un platane, non loin des rives du Léthaios, juste là ou sera plus tard bâti l’Odéon de la cité antique de Gortyne, que Zeus et la nymphe Europe s’aimèrent. De nos jours, le lointain descendant de cet arbre vénérable, de son ombre témoigne encore des divins ébats dont naquirent le légendaire roi Minos ainsi que ses frères Radhamante et Sarpédon. Quant à l’Odéon, sa carcasse conserve accrochée à ses flancs la célèbre table des lois antique de Gortyne, encore nommée ‘Grande Inscription’. Rédigée en boustrophédon, dans un alphabet archaïque, elle est contemporaine des lois de Solon (Ve siècle avant JC) et fut découverte par hasard en 1884 alors que des habitants de la région tentaient de s’approvisionner de pierres de taille en vue de fabrication d’un pressoir à huile. Ce code de lois, inscrit sur 12 colonnes d’un mètre 75 de hauteur, en 630-640 vers, véritable monument législatif, limité au droit familial, s’il reprend pour part des dispositions se référant à des lois plus anciennes, se distingue par l’esprit de modernité qui l’anime, garantissant notamment aux femmes un certain nombre de droits (divorce, veuvage, etc.) qui n’était pas toujours en usage dans les autres cités du monde grec. « Si un mari et une femme divorcent, la femme emporte les biens apportés par elle en mariage à son époux, la moitié des fruits, s’il y en a, provenus des biens qui lui appartiennent, et la moitié des étoffes qu’elle a tissées, s’il y en a, et en outre cinq statères si le divorce est imputable au mari ».(III-11) « Si le mari meurt laissant des enfants, la femme peut, si elle veut, se remarier, en emportant tout ce qui lui appartient, et ce que son mari lui a donné conformément à la loi, devant trois témoins majeurs et libres ». (III-13).


La parisienne (fresque, vers 1450 av JC)
Gortyne en 67 av JC, succédant à Cnossos, devint la capitale de la Crète. Elle le restera jusqu’à la conquête arabe en 828 ap JC. Terre de mythe et de légende, la région de la plaine de Messara porte les traces de 6000 ans de peuplements.
Ainsi l’archéologie crétoise débute-t-elle avec l’époque néolithique, lorsque les premiers groupes humains construisirent des habitats primitifs en pierres quasi brutes et en branchages. Survinrent alors, vers le milieu du troisième millénaire avant notre ère, des colons en provenance d’Asie mineure et qui introduisirent en Crète l’usage du cuivre. C’est aux alentours de 2000 ans av JC, à la fin de la période dite prépalatiale (2600-2000 av JC) (1) que jaillirent de terre à Cnossos, à Phaistos et à Mallia les habitations des princes locaux, premières résidences à mériter le nom de palais. Ils seront détruits vers 1700 av JC à la suite d’une catastrophe, probablement un séisme. Immédiatement rebâtis, l’ère suivante marquera l’apogée de la Crète minoenne avec l’affermissement d’une certaine forme de « thalassocratie » (2). La paix dite « pax Minoica », dont témoigne l’absence de fortifications aussi bien autour des palais, des villas que des cités, régnera alors sur toute l’île pour quelques siècles. AinsiGournia, plantée à flanc de colline non loin du golfe de Mirabello, avec l’entrelacement de ses ruelles pavées, son agora et, à son sommet un petit palais, probable siège du gouverneur local, dépendant sans doute de l’autorité de Cnossos. C’est de cette époque que datent la plupart des fresques figuratives de l’art minoens. Parmi elles la célèbre « parisienne », datée d’environ 1500 av JC, ou encore « Le prince aux fleurs de lys ». Aux environs de 1450 av JC survint une nouvelle catastrophe ou les principaux centres de la civilisation minoenne furent réduits à des amas de ruines. Sur les causes de cet effondrement subit, les conjectures vont toujours leur train ; soit l’éruption du volcan de Théra (santorin) qui aurait provoqué, outre sa pluie de cendre, un terrible raz-de-marée balayant toute la côte nord de la Crète, événement dont la légende de l’Atlantide ferait écho ; soit une invasion étrangère particulièrement violente, thèse étayée par la légende de Thésée, avec la mort du Minotaure comme symbole de la destruction de la puissance minoenne. Quoi qu’il en soit, la civilisation minoenne ne se relèvera pas vraiment de ces tragiques évènements. Et si des rois durent encore régner sur la Crète, comme en atteste la participation du roi Idoménée (3) à la guerre de Troie, le foyer de la culture se déplace alors en Grèce continentale.

Thésée et le Minotaure, Maîtres des Cassini Campana
Côté de la mythologie précisément, si le nom de Minos sert probablement à désigner la lignée des princes qui régnèrent sur Cnossos et la Crète, c’est à sa figure symbolique que l’on attribue en général la fondation de Gortyne ; à moins qu’il ne s’agisse ici de l’œuvre Radhamante, son frère et roi de Phaistos, dont le palais fut bâti à quelques encablures de là, sur la colline de Kastri.

Gustave Moreau - Pasiphaé
C’est également dans les parages des allées de Gortyne que Poséidon aura un jour l’idée d’offrir à Minos un magnifique taureau blanc, afin que ce dernier le lui offrît en sacrifice. Insidieuse et divine tentation à laquelle le fils de Zeus et d’Europe ne pouvait résister. Il violera ainsi son serment. Et Poséidon, enivré de vengeance, d’inspirer alors envers le divin ruminant, une funeste passion à la malheureuse Pasiphaé, épouse du roi. Rongée d’un coupable désir, cette dernière parviendra à assouvir sa soif charnelle avec le concours d’un fameux artisan : « Dédaleconstruisit une vache de bois montée sur des roulettes ; l'intérieur était creux, et elle était recouverte d'une peau de bovidé ; il la mit dans le pré où le taureau avait l'habitude de paître, et Pasiphaé y entra. Quand le taureau s'en approcha, il la monta, comme s'il s'agissait d'une vraie vache. Ainsi la jeune femme mit au monde Astérios, dit le Minotaure : il avait la tête d'un taureau et le corps d'un homme » (4). Cette monstrueuse progéniture, sur ordre de Minos, sera enfermée dans une autre création du père d’Icare, le célèbre Labyrinthe, dont certains plaisants cherchent encore aujourd’hui à en localiser l’emplacement. Mais le drame ne s’arrête point là. Car pour assouvir la faim de la bête, raconte l’Enéide, il fallait lui offrir en sacrifice, chaque année du sang humain ; le sang du taureau blanc que Minos n’avait pas voulu verser à Poséidon : « … à l'époque, un châtiment fut imposé aux Cécropides, qui, ô malheur !, sacrifiaient chaque année sept de leurs fils ; l'urne est dressée pour le tirage au sort. En face, la terre de Gnosse, qui émerge de la mer, y fait pendant : ici une passion cruelle pour un taureau, la fourbe substitution de Pasiphaé et, race mêlée, 
Thésée tuant le Minotaure
descendance difforme, voilà le Minotaure, monument d'une Vénus monstrueuse, enfin l'œuvre fameuse, le palais aux détours inextricables »(5). C’est finalement le héros Thésée qui, perçant de sa lame le Minotaure, mettra un terme à ce sanglant tribut. Il faut dire que pour sortir du Labyrinthe, Dédale avait donné la solution à Ariane, fille de Minos : utiliser un fil de laine déroulé, qu'il suffisait de suivre jusqu'à la sortie. Mauvais joueur, le roi fera alors enfermer Dédale et son fils dans le Labyrinthe. L’astucieux artisan, sans le secours du moindre fil pour le guider, aura pour s’enfuir l’idée que l’on sait. Ainsi est-ce par la voie des airs, grâce à des ailes dont les plumes étaient jointes à la cire, qu’il parviendra à trouver refuge en Sicile. Quant à Icare, refusant d’écouter les conseils paternels, « s'abandonnant au vertige des cieux, il gagne de l'altitude. C'est là qu'à l'approche du soleil ardent, la cire odorante qui maintient les plumes devient molle. Elle fond. Icare a beau agiter ses bras nus : privé d'ailes, il ne se soutient plus dans le vide. Il appelle son père, puis disparaît dans l'azur des flots de cette mer que l'on nomme depuis mer Icarienne ».(6)

Revenons à la Gortyne historique. Au nord de la route reliant Mires au village d’Aghii Deka se situe le site archéologique central, là ou se trouvent l’Odéon abritant la ‘Grande Inscription’ ainsi que la basilique « Saint-Tite », du nom du premier évêque de Crète et disciple de Paul de Tarse. Fondée à l’époque de Justinien (courant VIe siècle), cet édifice est l’un des monuments les plus important de l’architecture byzantine en Crète. Quant à l’Odéon, qui servait aux manifestations musicales et théâtrales, daté du Ve siècle av JC, il se compose de trois parties principales : La Cavea avec ses gradins et escaliers, l’orchestra, d’un diamètre de 8,5m et la scène rectangulaire surélevée. Reconstruit sous Trajan (1er siècle ap JC), c’est un théâtre romain typique.

Gortyne - Le prétoire
Mais les parties les plus intéressantes du site de Gortyne sont sans conteste les vestiges situés au sud de la route, là parmi les fleurs et autres herbes folles, loin du circuit habituel des visites guidées. On y trouvera, après une petite marche parmi les oliviers et avoir rencontré sans doute quelques bergers avec leurs troupeaux, les restes du seul temple de Crète dédié à des divinités égyptiennes (1er / IIe siècle ap JC), en l’occurrence Sérapis, Isis et Anubis (assimilé à Hermès) dont la statue repose aujourd’hui au musée d’Héraklion.  Pour les plus aventureux, un peu plus loin se trouve un sanctuaire d’Apollon Pythien, jadis érigé au cœur de la cité antique. Sa construction remonte au VIIe siècle avant notre ère et il fut, à l’époque hellénistique, vers 200 ans av JC, enrichit  d’un pronaos monumental dont la façade était ornée de six demi-colonnes de style dorique. A l’époque romaine, la Cella du temple fut reconstruite, réutilisant des blocs de pierre portant les inscriptions archaïques, tandis qu’à l’est, dans la cour dallée on érigea un petit autel. Enfin, à l’ouest du sanctuaire, il sera érigé un petit théâtre.
Gortyne, Prétoire - Latrines

Reste le prétoire (pretorium), vaste complexe architectural qui occupait une surface de plus de 12.000 m2. Lieu magique, chargé d’histoire, ou il faut avoir déambulé de longs moments, solitaire ou en petit groupe sur le principe des affinités électives, pour en mesurer toute l’imperturbable majesté. C’est une atmosphère tout à fait particulière qui se dégage de ces lieues enchâssés dans un écrin de pleine nature. C’est que loin du brouhaha, reposent les restes de ce qui fut, durant plus de huit siècles, le centre névralgique de Gortyne. Passé la stupéfaction de la découverte, face à l’étrange splendeur d’un tel site, de la tranquillité millénaire qui se dégage des vieilles pierres reposants à l’abri des intempestives processions causées par la cohorte des mangeurs de souvenirs vitrifiés, on se sent subitement apaisé, comme enveloppé d’un singulier voile de connivence avec nos grands anciens. Douce ataraxie. Mais pas seulement, car au plaisir en repos cher à Epicure,procuré par la simple contemplation des lieux ; baiser dénué du moindre sentiment de trouble se mêle, sourdement, le flux souterrain d’un doux mouvement de l’âme ; une respiration ténue, un élan imperceptible qui tel le cheveu d’un roseau s’en vient à effleurer la surface d’un étang assoupi par les siècles. Et c’est là un plaisir en mouvement, tels ceux qu’honoraient lesCyrénaïques. Les mots sont ici courts ; anémiés. Et c’est après quelques hésitations qu’on se glisse parmi les inscriptions rédigées en grec ancien, au hasard de déambulations oisives, hanté de la crainte de déranger le silence. Peu à peu, cependant, l’on se prend à savourer les ombres et les recoins ou reposent les menus secrets de civilisations effondrées. On glisse sur les dallages, entre les colonnes, le long des bassins et des canalisations encore visibles, et qui telles les veines d’un cadavre encore tiède transpirent 
Gortyne, Prétoire - Statue de femme
éventrées sous la peau des édifices. Il y a encore ces allées minuscules, toujours parées de mosaïques, que nos pas évitent par inquiétude d’y provoquer une irréparable souillure. Et puis se découvre, au détour de fragments épars, ce corps de femme, reposant dans sa toge, sans tête, adossée au reste d’une construction situé en contre bas du mur du prétoire, ou l’on devine encore les trous de poteaux. Avec un peu d’imagination, se devinent aussi les thermes qui se composaient de bains chauds (caldarium), alimentés en eau par des fours situés au sud du complexe, ainsi que des bains froids (frigidarium). Quant aux latrines, quatre colonnes y ont été remises à leur place, tandis que les morceaux de celles du temple d’Auguste jonchent le sol, éparpillées non loin des fragments de l’entablement du temple. Sans doute est-il est vain que d’essayer, mentalement, de redonner vie à ces lieux endormis.
Le terme prétoire, en lui-même, désigne étymologiquement le lieu où réside le chef (praetor), et par extension la résidence du gouverneur (procurateur) d’une province. Celui de Gortyne, datant du 1er siècle de notre ère, fut sans cesse modifié. Détruit sous Trajan par un tremblement de terre (début du IIe siècle), il ne sera pas reconstruit en tant que prétoire, le siège de la province de Crète ayant été transféré à Cyrène. Les bâtiments seront à nouveaux détruits par le grand tremblement de terre de 365 ap JC, puis reconstruit une dernière fois en 383 ap JC. Aujourd’hui il n’en reste que ce grand squelette perdu parmi les tâches des fleurs, s’offrant aux attentions dilettantes. Une terre sacrée à sa manière, à goûter sans hâte, hors des contingences de la modernité ; extasiés sous le bleu du ciel. Projetés dans un  ailleurs…

Dernier coup d’œil en arrière :
De loin ce n’est qu’un vaste cimetière d’où émergent quelques gravas. De près, c’est tout un monde ; un vaste mausolée à ciel ouvert.

Gortyne, Prétoire

Ouvrages de référence m’ayant aidé à la rédaction de l’article

* Gortyne, Antonis Vasilakis, ed Iraklio
* La civilisation Minoenne, Stylianos Alexiou, ed Heraklion
* Cnossos, Antonis Vasilakis, ed Iraklio
* Gournia, ed Ministry of culture, archeological receipts fund


Notes
(1) varie selon les sources, de 3500 av JC jusque 1900 av JC.
(2) Domination s’appuyant sur la puissance maritime.
(3) Dans la liste des cités ayant participés à la guerre de Troie, Homère mentionne, entre autre, Cnossos, Gortyne et Phaistos
(4) pseudo-Apollodore (III, 1, 2)
(5) Enéide, livre VI, la descente aux enfers
(6) Ovide, Les Métamorphoses, livre VIII

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