Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


24 févr. 2021

Les oiseaux, par temps de guerre !


Après les glaces presque sibériennes (j’exagère un peu), une fin de février printanier, à jouxter les 20°. Et la lecture, le visage dans le soleil, de quelques pages des carnets de Sylvain Tesson[1].

Et tomber (septembre 2011) sur cette note :


« Jacques Delamain, mort en 1953, était ornithologue. Jacques Lacarrière le surnommait ‘l’Homère des oiseaux’. Cet homme consacra sa vie à écouter le peuple du ciel, à percer le mystère de leur langage. Rien ne pouvait le distraire de sa passion. Rien. Pas même la guerre de 1914. La dernière partie de son livre Pourquoi les oiseaux chantent est constitué du Journal de guerre d’un ornithologue. Nous sommes avec les poilus, dans la tranchée. Pendant que le canon gronde et que les obus fusent, Delamain écoute la grive et le pinson. L’artillerie tonne. Lui tend l’oreille pour saisir la trille des friquets. Les seuls combats qu’il décrit sont les joutes des freux et des crécerelles. L’année de Verdun, l’homme parle de ‘journées magnifiques’, observe les ramiers et note que ‘la draine chante régulièrement pendant quelques minutes au lever du soleil’. Rien ne le distrayait de sa passion. Socrate à l’instant de mourir rêvait d’apprendre à jouer de la lyre. Il y a des êtres comme cela, insolents, désinvoltes, étrangers aux circonstances. La grotesque agitation de leurs semblables les ennuie au suprême. Ils savent le chant d’un oiseau ou le vers d’un poète plus important que les affaires des hommes. A l’humanité empêtrée dans ses guerres, ils semblent dire : ‘Un peu de silence s’il vous plait !’. C’est vrai quoi, dans ce monde, on n’entend plus les rossignols. [2]»

 

Que d’élégance et de justesse dans ces lignes !


Troglodyte mignon (photo par Axel)




[1] Géographie de l’instant

[2] Op citée, pages 221/222.

5 févr. 2021

La sitelle et le pic

 

Sittelle Torchepot (Photo par Axel)


Miroiser, c’est aimer la compagnie des oiseaux. Les observer sans les déranger, les photographier parfois. Lorsqu’on commence à les dénombrer, suivre le cycle de leur migration et les étudier cela devient de l’ornithologie. Les deux approches sont souvent intriquées – difficile de scinder tout à fait l’une de l’autre.

 

Chemin faisant, avec un peu de chance, d’acuité ou de persévérance, il arrive d’entrer dans l’intimité de leurs comportements.

Ainsi, ce qui pourrait ressembler à une fable de la Fontaine, à mi-chemin entre le Corbeau et le Renard, et une autre fable mettant en scène un volatil opportuniste.

 _________

Sittelle Torchepot (photo parAxel)


Voici donc l’histoire de la Sitelle et du Pic.

 

Dame sittelle sur son tronc accrochée, tenait dans son bec un beau gland.

Besogneuse, elle le coinça dans un creux de l’écorce, entreprenant de le fendre à coup de bec.

Sans rechigner à l’effort, frapper et frapper encore.

Puis soudain inquiète, dresser son corps pour guetter alentours.

Sa belle livrée rouge et bleue dans le vent…

Et rassurée de poursuivre son œuvre.

 

Làs, le bruit attira un pic épeiche.

Une dame[1] toute fringante et impérieuse dans son désir de gland.

Qui d’un froissement d’aile, sans autre forme de procès,

Chassa la sittelle, sans avoir besoin de la menacer.

Fière de sa bonne fortune, de se poser à la place de l’oiselle éconduite.

Et aussitôt percer la gangue du fruit pour s’en délecter.

 

Pic épeiche (photo par Axel)

Je laisse imaginer la morale de l’histoire à l’appréciation de chacun…



[1] La femelle du pic épeiché se reconnait à l’absence de marque rouge sur la nuque.