« Lorsque je produisais autrefois des dessins et des lithographies, et que je publiais celles-ci, j’ai reçu bien des fois des lettres d’inconnus me disant leur attachement à cet art, et me révélant une émotion exaltée. Un d’eux m’avouait avoir été touché jusqu’aux sentiments religieux et en avoir reçu la foi. Je ne sais si l’art a de tels pouvoirs ; mais j’ai dû, dès lors, envisager moi-même avec plus d’égards certains de mes travaux, et particulièrement ceux que j’exécutais naguère à des heures de tristesse, de douleur, et pour cette raison-là plus expressifs sans doute. La tristesse, quand elle est sans cause, est peut-être une ferveur secrète, une sorte d’oraison que l’on dirait, confusément, pour quelque office, dans l’inconnu. »
Paru dans À soi-même, notes sur la vie, l’art et les artistes, Paris, Floury, 1922, p. 118-119.
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Odilon Redon - Christ avec des épines rouges - 1897 |
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« L'étude de femme, que vous appelez si justement la déesse de l'Intelligible, nous sort à regret du cauchemar ; mais mon admiration toute entière va droit au grand Mage inconsolable et obstiné chercheur d'un mystère qu'il sait ne pas exister, et qu'il poursuivra, à jamais pour cela, du deuil de son lucide désespoir, car c'eût été la Vérité ! Je ne connais pas un dessin qui communique tant de peur intellectuelle et de sympathie affreuse, que ce grandiose visage. (...) »
S. Mallarmé
Lettre du 2 février 1885 à Odilon Redon, in Lettres à O. Redon
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« Ce fut tout d'abord une énigmatique figure, douloureuse et hautaine qui surgit des ténèbres, çà et là percées par des rais de jour : — une tête de mage de la Chaldée, de roi d'Assyrie, de vieux Sennacherib ressuscité, regardant, désolé et pensif, couler le fleuve des âges, le fleuve toujours grossi par les emphatiques flots de la sottise humaine.
Il pose sur ses lèvres une main fine et maigre, semblable à la main d'une petite infante, et il ouvre un œil où semblent passer les éternelles douleurs qui se transmettent et se répercutent dans l'âme des couples, depuis la Genèse. Est-ce le primitif pasteur d'hommes contemplant le défilé des immortels troupeaux qui se bousculent et se massacrent pour une touffe d'herbe ou un bout de pain ? — Est-ce la figure de l'immémoriale Mélancolie qui convient enfin, devant l'impuissance avérée de la Joie, de l'inutilité absolue de toute chose ? — Est-ce enfin le mythe, une fois de plus rajeuni, de la Vérité qui reconnaît, au passage, sous des oripeaux et des masques divers, le même homme, affligé des mêmes vertus et des mêmes vices ; le même homme, dont l'originelle férocité ne s'est nullement amoindrie sous l'effort des siècles, mais s'est simplement dissimulée derrière cette grâce des peuples civilisés, la pénétrante et discrète hypocrisie ?
Quoi qu'il en soit, ce mystérieux visage me hantait ; en vain je voulus scruter son regard perdu au loin ; en vain
je tentai de sonder son auguste face qu'une souffrance seulement personnelle eût été incapable de creuser ainsi ;
mais la hiératique et douloureuse image disparut, et, à cette moderne vision des anciens âges, succéda un paysage atroce, un marais d'eau stagnante, morne et noire ; (...) »
J.-K. Huysmans, Le nouvel Album d'Odilon Redon, La Revue indépendante , fév. 1885, pp. 291-296.
« L'artiste vient à la vie pour un accomplissement qui est mystérieux. Il est un accident. Rien ne l’attend dans le monde social. »
(Odilon Redon, "Journal, 1867-1915 : notes sur la vie, l'art et les artistes")
Art moderne - J.-K. Huysmans - Exposition indépendants de 1881
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QUELQUES LIENS
Odilon Redon et la critique
La place du rêve dans l'œuvre d'Odilon Redon
Odilon Redon
[1840 - 1916]_____________________________________________________
« L'étude de femme, que vous appelez si justement la déesse de l'Intelligible, nous sort à regret du cauchemar ; mais mon admiration toute entière va droit au grand Mage inconsolable et obstiné chercheur d'un mystère qu'il sait ne pas exister, et qu'il poursuivra, à jamais pour cela, du deuil de son lucide désespoir, car c'eût été la Vérité ! Je ne connais pas un dessin qui communique tant de peur intellectuelle et de sympathie affreuse, que ce grandiose visage. (...) »
S. Mallarmé
Lettre du 2 février 1885 à Odilon Redon, in Lettres à O. Redon
Odilon Redon - Bateau avec deux personnages - 1908 |
Odilon Redon - Bazon, le chat de l'artiste - 1905 |
Odilon Redon - Bouddha marchant parmi les fleurs - 1905 |
Odilon Redon - Chimère - 1882 |
Odilon Redon - Christe en silence |
Odilon Redon - Cœur révélateur - 1883 |
Odilon Redon - Cyclope |
Odilon Redon - Death : My irony surpasses all others - 1889 |
Odilon Redon - Eléonore -1882 |
Odilon Redon - Esprit de la forêt - 1890 |
Odilon Redon - Femme avec un voile - 1895 |
Odilon Redon - Femme et Centaure |
Odilon Redon - Fleur du marécage - 1884-85 |
Odilon Redon - Fleur de sang - 1905 |
Odilon Redon - Folie - 1883 |
Odilon Redon - Hommage à Gauguin - 1903-04 |
Odilon Redon - Homme cactus |
Odilon Redon - Jeanne d'Arc |
Odilon Redon - La cape jaune - 1895 |
Odilon Redon - L'araignée pleurant - 1881 |
Odilon Redon - L'araignée qui sourit - 1891 |
Odilon Redon - Le bateau mystérieux |
Odilon Redon - Le bouddha - 1905 |
Odilon Redon - Le char d'Apollon - 1914 |
Odilon Redon - Le liseur - 1894 |
Odilon Redon - Le masque de la mort rouge - 1883 |
Odilon Redon - Le silence éternel des espaces infinis m'effraie - 1870 |
Odilon Redon - L’œil-ballon - 1878 |
Odilon Redon - Parsifal - 1912 |
Odilon Redon - Paysage - 1881 |
Odilon Redon - Paysage vénitien - 1908-09 |
Odilon Redon - Perversité - 1891 |
Odilon Redon - Portrait de Madame Redon - 1880 |
Odilon Redon - Portrait de Marie Botkine - 1900 |
Odilon Redon - Tête de martyr - 1894 |
Odilon Redon - Tête de mort |
Odilon Redon - Yeux clos - 1894 |
Odilon Redon - La druidesse - 1893 |
Odilon Redon - ??? |
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« Ce fut tout d'abord une énigmatique figure, douloureuse et hautaine qui surgit des ténèbres, çà et là percées par des rais de jour : — une tête de mage de la Chaldée, de roi d'Assyrie, de vieux Sennacherib ressuscité, regardant, désolé et pensif, couler le fleuve des âges, le fleuve toujours grossi par les emphatiques flots de la sottise humaine.
Il pose sur ses lèvres une main fine et maigre, semblable à la main d'une petite infante, et il ouvre un œil où semblent passer les éternelles douleurs qui se transmettent et se répercutent dans l'âme des couples, depuis la Genèse. Est-ce le primitif pasteur d'hommes contemplant le défilé des immortels troupeaux qui se bousculent et se massacrent pour une touffe d'herbe ou un bout de pain ? — Est-ce la figure de l'immémoriale Mélancolie qui convient enfin, devant l'impuissance avérée de la Joie, de l'inutilité absolue de toute chose ? — Est-ce enfin le mythe, une fois de plus rajeuni, de la Vérité qui reconnaît, au passage, sous des oripeaux et des masques divers, le même homme, affligé des mêmes vertus et des mêmes vices ; le même homme, dont l'originelle férocité ne s'est nullement amoindrie sous l'effort des siècles, mais s'est simplement dissimulée derrière cette grâce des peuples civilisés, la pénétrante et discrète hypocrisie ?
Quoi qu'il en soit, ce mystérieux visage me hantait ; en vain je voulus scruter son regard perdu au loin ; en vain
je tentai de sonder son auguste face qu'une souffrance seulement personnelle eût été incapable de creuser ainsi ;
mais la hiératique et douloureuse image disparut, et, à cette moderne vision des anciens âges, succéda un paysage atroce, un marais d'eau stagnante, morne et noire ; (...) »
J.-K. Huysmans, Le nouvel Album d'Odilon Redon, La Revue indépendante , fév. 1885, pp. 291-296.
Odilon Redon - Autoportrait - 1910 |
« L'artiste vient à la vie pour un accomplissement qui est mystérieux. Il est un accident. Rien ne l’attend dans le monde social. »
(Odilon Redon, "Journal, 1867-1915 : notes sur la vie, l'art et les artistes")
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Odilon Redon - Tête de profil à gauche avec un pot de fleur En travers à gauche, brouillon d'un poème au crayon noir : "La brise était sereine moins que la nature / les hautes (barré) herbes hautes (ces deux lignes sont barrées) / Le ciel était serein, sans bruit et sans murmure, / Les fleurs les prés (dans les herbes hautes, barré), / au bord du lac silencieux / Exhalaient leur parfum troublant, et la nature / ainsi qu'un Dogme immuable, mystérieux, / Chantait son hymne étrange, par les cieux. / Mon âme était inquiète et / J'écoutais les accords (ces deux lignes sont barrées) / Je tentais un accord- l'écart était sublime (barré) / mon âme était infime / et si loin, si peu de chose..." |
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Odilon Redon - Des Esseintes, Frontispiece for A Rebours by J.K. Huysmans - 1888 |
« M. Odilon Redon, dont j’ai déjà dit quelques mots, l'année dernière, exposait toute une série de lithographies et de dessins. Il y avait là des planches agitées, des visions hallucinées inconcevables, des batailles d’ossements, des figures étranges, des faces en poires tapées et en cônes, des têtes avec des crânes sans cervelets, des mentons fuyants, des fronts bas, se joignant directement au nez, puis des yeux immenses, des yeux fous, jaillissant de visages humains, déformés, comme dans des verres de bouteille, par le cauchemar. Toute une série de planches intitulées le rêve prenait, au milieu de cette fantaisie macabre, une intensité troublante, une, entre autres, représentant une sorte de clown, à l’occiput en pain de sucre, une sorte d’Anglais félin, une sorte de Méphisto simiesque, tortillé, assis, près d’une gigantesque figure de femme qui le fixe, le magnétise presque, de ses grands yeux d’un noir profond, sans qu’un mot semble s’échanger entre ces deux énigmatiques personnages. Puis des fusains partaient plus avant encore dans l’effroi des rêves tourmentés par la congestion ; ici c’étaient des vibrions et des volvoces, les animalcules du vinaigre qui grouillaient dans de la glucose teintée de suie ; là, un cube où palpitait une paupière morne ; là encore, un site désert, aride, désolé, pareil aux paysages des cartes sélénographiques, au milieu duquel une tige se dressait supportant comme une hostie, comme une fleur ronde, une face exsangue, aux traits pensifs. »
Art moderne - J.-K. Huysmans - Exposition indépendants de 1881
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QUELQUES LIENS
Odilon Redon et la critique
La place du rêve dans l'œuvre d'Odilon Redon
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