Demoiselles de Sigiriya (Photo par Axel) |
An
478 de notre ère, sur cette île qui deviendra bien des siècles plus tard le Sri
Lanka, Kassapa cherche à forcer son père, le roi Dhatuseva, à lui révéler l’emplacement
du trésor royal. Refus de ce dernier. Il le menace alors d’assassinat. La
légende rapporte que le roi céda finalement, à la condition de pouvoir prendre
un bain dans les eaux d’un grand réservoir à Anuradhapura, sa capitale, dont la
création avait couronné son règne. Une fois dans le bassin, debout le roi
aurait ouvert large les bras, déclarant que là se trouvait le trésor tant
convoité. Le fils, peu versé dans cette symbolique lustrale, pour toute réponse
précipita enragé le fauteur de ses jours dans une minuscule geôle, l’abandonnant
emmuré à son sort funeste.
Rocher de Sigiriya (Photo par Axel) |
Notons
pour l’anecdote que les bouddhistes « s’ils
répugnent à utiliser le poignard ou l’épée,
l’île met à leur disposition plus de 50 plantes toxiques. Ainsi, la reine Anula
empoisonne son mari pour s’emparer du trône, puis utilise encore ses fioles
quand elle se lasse de ses cinq amants successifs ; (…) Ne trouvant plus de volontaires prêts à
partager sa couche elle règne seule 4 mois encore avant d’être assassinée par
son beau-fils »[2].
Le
jeune demi-frère du parricide, Mogallana, réfugié en Inde, mettra 18 ans avant
de pouvoir lever une armée pour venir reprendre le trône.
Entretemps,
Kassapa ayant abandonné Anuradhapura par peur des représailles, a fondé une
nouvelle cité à Sigiriya, un lieu sacré qui attire les pèlerins depuis le
troisième siècle av JC et a abrité au fil des siècles de nombreuses communautés
de moines ermites. Il s’y fait construire une forteresse inexpugnable sur le
sommet du roc dominant la plaine, un bloc qui culmine à 200 m d’altitude ;
le rocher du lion
« Simha-giri ».
Mais
ne voyant point signe de son demi-frère, Kassapa transforme peu à peu la
forteresse perchée sur ce nid d’aigle en véritable palais royal, et donne au
rocher la forme d’un gigantesque lion couché ; l’entrée se faisant par un
escalier abrupt qui mène au sommet passant au travers la gueule d’un lion géant
dont il ne reste aujourd’hui que les pattes. L’effet devait être saisissant.
Quelques poèmes retrouvés sur le mur dit du miroir en attestent. Un mur où les
visiteurs de site, depuis 1500 ans ont inscrit d’innombrables graffitis ;
messages anciens et modernes entremêlés. Parmi
eux un poème se réfère à la « face
du grand lion » et permet de déduire qu’il fut relativement bien
préservé au moins jusqu’au 9ieme siècle. Cet autre encore l’évoque :
We
saw at Sihigiri
The
king of lion
Whose
fame and splendour
Remain
spread
In
the whole world.
Entre les pattes du lion (Photo par Axel) |
Patte du lion de Sigiriya (photo par Axel) |
Lorsque
Mogallana se manifeste enfin en 495, Kassapa, poussé par une pulsion incompréhensible,
descend de son rocher et se lance dans la plaine à dos d’éléphant à la
rencontre de son destin. Défait sur une fausse manœuvre il se retrouve isolé,
avec son armée en déroute. Il se plonge alors une dague dans la gorge, tombant
mort aux pieds de sa monture. Mogallana, victorieux, fera occire un bon millier
de courtisans et de proches de Kassapa avant de s’en retourner à Anuradhapura à
laquelle il rendra le statut de capitale.
Sigiriya
redeviendra un centre monastique, avant de disparaitre de l’histoire du Sri
Lanka aux environs de la fin du XIIIe ou du XIVe siècle. Le site deviendra
enfin au milieu du XVIe siècle un avant-poste militaire.
Sur le sommet, bassin (photo par Axel) |
Vue du sommet de Sigiriya (photo par Axel) |
Déambulations à Sigiriya |
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Les demoiselles de Sigiriya [3]
Rocher de Sigiriya - zone des peintures |
Ces
œuvres, empreintes de naturalisme et sensualité, ne rassemblent à aucune
autre connues ; elles ne sont pas dans le style de l’époque où l’on
rencontrait des représentations stylisées de thèmes bouddhiques.
Demoiselles de Sigiriya (photo par Axel) |
La
nature fragmentaire de ces œuvres et leur location inhabituelle ont conduits à
de multiples interprétations. Leur signification est resté cependant longtemps assez
mystérieuse, même si aujourd’hui l’une d’entre-elles semble devoir s’imposer
nettement aux yeux des spécialistes.
Demoiselles de Sigiriya (photo par Christophe) |
Parmi
donc les interprétations méritant attention, trois dominent. Celle de HCP Bell
(1897), ainsi que celles de deux autres chercheurs sri lankais, Paranavitana et Coomaraswamy.
L’idée
de Bell était que ces bustes représentaient les demoiselles de la cour de
Kassapa, beautés célèbres peintes lors d’une
procession votive au sanctuaire de Pidurangala. Néanmoins cette interprétation
relève d’une construction purement imaginative et n’a pas de précédent dans la
tradition sociale et artistique de la région ou de la période. Et pour rester
dans cette lignée interprétative, il semblerait plus probable que les
demoiselles de la cour et leurs costumes et ornements aient fournis des modèles
aux artistes de Sigiriya.
Demoiselles de Sigiriya (photo par Axel) |
L’interprétation
enfin de Coomaraswamy voit dans les demoiselles de Sigiriya des Apsaras, nymphes
et danseuses célestes. Cette interprétation est en lien avec une tradition bien établie du sud
asiatique, et n’est pas seulement la plus simple mais aussi la plus logique
interprétation. Des études récentes ont renforcées cette idée : les
Apsaras sont souvent représentées dans l’art et la littérature comme des êtres célestes
portant des fleurs et les dispersant parmi les rois et héros lors de
célébrations de victoire ou d’héroïsme.
Nous
pouvons donc dire avec presque certitude que les demoiselles de Sigiriya sont
des nymphes célestes, très similaires dans leur essence à celles qui vont leur
succéder 13 siècles plus tard : le panneau « les filles de
Mara » à Dambulla. Il est aussi probable que ces fresques ont plus d’un
sens et d’une fonction ; comme être l’expression de la grandeur royale, mais
aussi une évocation artistique de la vie à la cour, sans oublier la dimension
esthétique tant qu’érotique de ces œuvres
Le
style des peintures fut aussi longtemps une question controversée. Certains les
ayant vues comme une extension de l’école d’Inde centrale d’Ajanta, d’autres les
interprétant comme issues d’autres traditions, ainsi celle de Sittanvasal dans
le sud de l’Inde.
Cependant,
l’historien américain Benjamin Rowland, qui fut parmi les premiers à observer
avec attention la technique picturale des demoiselles, nota qu’elles
différaient de la tradition Ajanta aussi bien que celles des autres traditions
du sous-continent indien :
« The Sigiriya paintings outside of thier exciting and intrinsic beauty
are perhaps most notable for the very freedom they show at a period when the
arts were tending to become more and more frozen in the mould of rigid canons
of beauty… The Apsaras have a rich, healthy flavour that, in contrast, almost
makes the masterpieces of Indian art seem sallow and effete in over-refinement… »
(B. Rowland, The
Wall-paintings of India, Central Asia and Ceylon)
Son
avis est aujourd’hui largement partagé, et on voit dans les demoiselles un
style unique, propre à l’art régional.
« Ainsi ces peintures représentent l'exemple
le plus ancien conservé de l'école réaliste classique sri-lankaise, un style déjà
pleinement évolué lorsque nous rencontrons d'abord dans le courant de 5ème
siècle à Sigiriya »
Demoiselle de Sigiriya (photo par Axel) |
Demoiselles de Sigiriya (photo par Axel) |
Pour donner une idée de la taille des peinture
La fille de votre serviteur sous une des peintures
[1] Sri Lanka, Bibliothèque du
voyageur Gallimard
[2] Op cité.
[3] L’essentiel
des informations de cette partie consacrée aux demoiselles de Sigiriya provient d’un livret de Senake Bandaranayake, « Sigiriya :
City, palace, gardens, monasteries, paintings ».
Merci pour la promenade. C'est magnifique !
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup la dernière photo où les demoiselles qui se font signe à des siècles d'intervalle :)
Bon dimanche
Je suis ravi que cette balade, quelque peu nostalgique vous plaise, chère Carole.
SupprimerJe vous envoie un peu de soleil du nord. Très bon dimanche également : )
Cette montagne est fabuleuse ! Un site qui laisse rêveur... Merci pour ce partage !
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