15 janv. 2015

Victor Hugo, l’éducation et la religion - Enjeu de la laïcité

Billet initial du 08 mai 2014
(Billet initial supprimé de la plateforme overblog, infestée désormais de publicité)


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Dessin de Alfred Le Petit, "L'enseignement supérieur clérical", Le Grelot n°474, 9/5/1880.


Il y a quelques jours, vaquant à de profanes activités j’écoutais d’une oreille une émission du Grain à moudre intitulée : « L'anticléricalisme est-il une idée morte ? ».

Le chapeau d’introduction débutait en ces termes : 
« Ce n’est pourtant pas l’actualité qui manquait en ce dernier week-end d’avril, mais les chaînes d’information avaient choisi de jeter leur dévolu sur un événement qualifié d’‘’historique’’, qualificatif permettant de justifier une couverture non stop, forcément en direct, de la canonisation de deux anciens Papes, Jean XXIII et Jean-Paul II.
A chacun d’apprécier l’importance d’un tel événement. Mais on peut s’étonner, dans un pays censé avoir inventé, et la laïcité, et l’anticléricalisme, qu’une telle couverture médiatique n’ait pas suscité davantage de débat. Comme n’en suscita pas non plus (ou alors à peine plus) la décision du premier ministre français d’assister à cette cérémonie religieuse, au nom de la France ».  



Et reprenant hier soir le début des « pathologies de la démocratie » de Cynthia Fleury, mû par ces espèces de hasards guidés par l’intuition d’une sourde nécessité, je redécouvrais un extrait oublié de l’admirable discours du 15 janvier 1850 de Victor Hugo prononcé contre le projet de loi Falloux sur l’enseignement.  
Il n’est pas inutile ici de rappeler que Cynthia Fleury à tiré elle-même cet extrait de l’essai d’Henri Pena-Ruiz, « La laïcité ». 




« Je considère comme une dérision de faire surveiller, au nom de l'État, par le clergé l'enseignement du clergé. En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l'Église chez elle et l'État chez lui. (…) 

Nous connaissons le parti clérical. C'est un vieux parti qui a des états de services. C'est lui qui monte la garde à la porte de l'orthodoxie.  C'est lui qui a trouvé pour la vérité ces deux étais merveilleux, 1'ignorance et l'erreur. C'est lui qui fait défense à la science et au génie d'aller au-delà du missel et qui veut cloîtrer la pensée dans le dogme. Tous les pas qu'a faits l'intelligence de l'Europe, elle les a faits malgré lui. Son histoire est écrite dans l'histoire du progrès humain, mais elle est écrite au verso. Il s'est opposé à tout. 

C'est lui qui a fait battre de verges Prinelli pour avoir dit que les étoiles ne tomberaient pas. C'est lui qui a appliqué Campanella sept fois à la question pour avoir affirmé que le nombre des mondes était infini et entrevu le secret de la création. C'est lui qui a persécuté Harvey pour avoir prouvé que le sang circulait. De par Josué, il a enfermé Galilée ; de par saint Paul, il a emprisonné Christophe Colomb. Découvrir la loi du ciel, c'était une impiété ; trouver un monde, c'était une hérésie. C'est lui qui a anathématisé Pascal au nom de la religion, Montaigne au nom de la morale, Molière au nom de la morale et de la religion. Oh ! oui certes, qui que vous soyez, qui vous appelez le parti catholique et qui êtes le parti clérical, nous vous connaissons. Voilà longtemps déjà que la conscience humaine se révolte contre vous et vous demande : qu'est-ce que vous me, voulez ? Voilà longtemps déjà que vous essayez de mettre un bâillon à l'esprit humain ! (…)

Et tout ce qui a été écrit, trouvé, rêvé, déduit, illuminé, imaginé, inventé par les génies, le trésor de la civilisation, l'héritage séculaire des générations, le patrimoine commun des intelligences, vous le rejetez ! Si le cerveau de l'humanité était là devant vos yeux à votre discrétion, ouvert comme la page d'un livre, vous y feriez des ratures… »

Victor Hugo




Dans le prolongement, Cynthia Fleury écrit quelques pages plus loin, faisant appel à Michel Foucault  (p 69) :

« L’enseignant et l’école ont la charge de permettre à l’esprit critique d’émerger, en lui offrant la possibilité d’une mise à distance de l’idéologie du milieu dont il est issu. L’enseignement est toujours une ‘critique du milieu familial, non pas simplement dans ses effets éducatifs mais (…) par l’ensemble des valeurs qu’il transmet et impose’ c’est-à-dire une ‘critique de ce que nous appellerions dans notre vocabulaire l’idéologie familiale’ »

Cynthia FleuryLes pathologie de la démocratie
(avec une citation de Michel Foucault, L’herméneutique du sujet. Cours au Collège de France)


En ce sens les écoles confessionnelles relèvent de l’aberration; une hérésie (pour reprendre un terme connoté) renforçant la servitude, et attisant les braises du préjugé identitaire – fossoyeur de l’esprit critique.



Billet fort intéressant  :

2 commentaires:

  1. Savez-vous ce qu'est la laïcité ? demandai-je à un groupe d'élèves l'autre jour... Aucun des bacheliers ne sut m'en donner une définition.
    Et si encore ça les intéressait ?! Non, pas plus que ça...
    Il y a des jours où je désespère... (mais ce sont des élèves issus d'un bac "professionnel" et ils n'étudient pas la philosophie...)
    Sinon il parait que le fait religieux s'enseigne dès la maternelle (ai-je bien entendu hier aux infos ?), par contre, axé seulement sur les 3 monothéismes...
    Une bonne nouvelle ?
    En tout cas, avec mes collègues formatrices, nous sommes d'accord pour penser qu'il y a un énorme problème de transmission culturelle : l'histoire passée n'intéresse pas ou bien peu. Combien de jeunes musulmans connaissent l'histoire de l'islam, combien de jeunes chrétiens connaissent l'histoire du christianisme ? "L'ancien temps", comme ils disent, est dépassé. L'ancien temps, qu'en faire ? En écrivant ces quelques mots me vient cette idée : et si on avait trop dit aux jeunes d'aujourd'hui que seul importe "l'ici et maintenant" ? Or, n'est-ce pas par le dialogue avec l'histoire passée, la littérature, les écrits des anciens, que l'on peut mieux mesurer le présent ? (outre la possibilité de se décentrer, d'acquérir un esprit critique, une pensée moins pétrie de certitudes...)
    Te souhaite une belle journée.
    Bises d'un sud bien gris...
    C.

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    1. Coucou Christine,

      Pour l’enseignement du fait religieux dès la maternelle je t’avoue mon ignorance.
      Faisant du coup quelques recherches sur la toile je suis tombé sur ce rapport fait par Régis Debray en 2002 :

      http://media.education.gouv.fr/file/91/4/5914.pdf

      Et un petit entretien beaucoup plus récent sur le sujet :

      http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/11/17112014Article635518078818291617.aspx

      Je viens de lire l’entretien, mais pas lu encore ce rapport ; je demeure perplexe… C’est tout de même très délicat. Lorsque je lis :

      « Il s'agit de former les enseignants aux questions religieuses pas pour donner un enseignement religieux mais un enseignement d'histoire des religions. Ni la spiritualité ni la foi ne sont nos objectifs. Il s'agit de connaitre les grands mouvements de pensée, les apports des religions à notre civilisation, à la littérature, aux arts. »

      Ok, il est question d’un enseignement d’histoire des religions, ce qui est fort bien dans le principe. Mais parler des apports des religions c’est bien gentil, mais l’histoire des religions n’est malheureusement pas que cela – loin s’en faut : quid des massacres qui engrainent toute l’histoire des religions ? (« On ne tue qu’au nom de Dieu ou ses contrefaçons ». Va-t-on parler croisades ? Du massacre de Bézier, par exemple, avec les cathares ? De l’Inquisition ? De la manière dont les clergés ont vampirisés les sociétés. Etc ?
      Et puis dans ce cas, ne pourrait-on pas aussi parler de l’agnosticisme, de l’athéisme ? Des autres formes de religions qui ne sont pas monothéistes ?

      Bref, en y réfléchissant un peu plus, je ne sens pas bien du tout celle nouvelle lubie… Il y a beaucoup trop de religion et on voit les dégâts….

      (D’ailleurs, concernant le bouddhisme, cet été au Sri-Lanka j’ai appris que les moines n’étaient pas les derniers en termes de violence bornée… )

      Ici il fait nuageux mais doux. Alors je m’en accomode.
      Et puis le week-end se profile à grands pas.

      Bises chaleureuses.

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