6 juin 2015

Le chant d'un oiseau, comme une madeleine de Proust...

Pour Chateaubriand, la grive : 

 « Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. A l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui. Mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ;  la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ;  le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie ».

Troglodyte s'égosillant... (photo par Axel)
Et pour moi le troglodyte mignon… 
Sur les berges de ce lac que je vis naître… Car ce n’était, du temps de ma jeunesse, que prairies inondables. Puis, une fois l’eau circonscrite, ce fut le point de ralliement d’une amitié indéfectible. 
Nous y allions chaque semaine en vélo, jumelles en bandoulières. Avec le hibou des marais où le héron cendré pour réconfort, un Garrot à œil d’or parfois…. Il nous arrivait de ramener quelques tritons qui s’échappaient aussitôt.
Pour reste, je puis m’approprier ce vague à l’âme de l’auteur des mémoires d’Outre-tombe : 

" Mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ;  la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées"


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D’ordinaire les philosophes ne sont pas très diserts sur la gent ailée. Kant fait un peu figure d’exception :

« De tous les changements que le printemps apporte, il n'y en avait plus qu'un maintenant qui intéressait Kant. Il languissait après avec une avidité et une intensité d'attente qu'il était presque douloureux de contempler : c'était le retour d'un petit oiseau (moineau peut-être ou rouge-gorge ?) qui chantait dans son jardin et devant sa fenêtre. Cet oiseau, soit le même, soit son successeur dans la suite des générations, avait chanté pendant des années dans la même situation. Et Kant devenait inquiet quand le temps froid avait duré plus longtemps qu'à l'ordinaire et retardait son retour. Comme Lord Bacon en effet, il avait un amour enfantin pour tous les oiseaux ; en particulier, il s'appliquait à encourager des moineaux à faire leur nid au-dessus des fenêtres de son cabinet de travail. Quand ceci survenait, et c'était fréquent à cause du profond silence qui régnait dans cette pièce, il guettait leur travail avec le délice et la tendresse que d'autres donnent à un intérêt humain ».
Thomas de Quincey « Les derniers jours d’Emmanuel Kant » 

Je lis encore dans le Traité des oiseaux dans le livre IX de l'Histoire des animaux d’Aristote que « dans les oiseaux, les tachetés, les alouettes, les pies, le verdier, sont ennemis les uns des autres; car ils se mangent mutuellement leurs œufs. » Rien n’est vrai bien sûr, mais il est toujours bon d’évoquer les mœurs qu’on suppose volatiles… 

Et de souligner le mot d’Antisthène qui affirmait « qu’il valait mieux tomber en proie aux corbeaux que sous la griffe des flatteurs : ceux-là s’attaquent aux cadavres, ceux-ci dévorent les vivants » 
(Jeu de mots Korax / corbeau – Kolax / flatteur).

D’où le plaisir éprouvé à ce conciliabule de pies….


Conciliabule... (photo par Axel)

Mais il n’y a pas que les oiseaux à avoir des ailes… 




2 commentaires:

  1. Cher Axel,

    Le mot d'Antisthène est superbe. Je ne le connaissais pas.

    Grâce à vous, à votre blog, je fais attention au chant des oiseaux qui peuplent le parc où j'habite.

    Merci pour cet enseignement.

    À vous,

    Frédéric

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    1. A mon tour de vous remercier, cher Frédéric, car je vous dois celle belle idée : rassembler toutes les occurrences liées aux oiseaux ; ces rencontres furtives au fil de mes lectures ou écoutes de podcasts. Cela m’est venu d’une conversation que nous avions eu ; vous évoquiez le plumage du paon… Je m’étais dit alors que dans la philosophie il était peu question d’oiseaux. J’ai voulu le vérifier…
      Je pensais n’avoir rien – ou si peu – à compiler, mais au fil des ans la matière se fit plus ferme. Les oiseaux chez philosophes, dans la littérature aussi. Puis dans la science, la peinture, que sais-je encore…
      Même chez Flaubert on trouve des oiseaux, comme « … cette passion merveilleuse qui jusqu’alors s’était tenue comme un grand oiseau au plumage rose planant dans la splendeur des ciels poétiques » ; ou encore le véhicule des frénésies charnelles dont Emma s’extirpe : « « Elle sortait de l’hirondelle. La ville s’éveillait ».

      Et puis savoir que vous regardez le ciel du golfe de Gascogne songeant parfois aux mouettes ; peut-être ici un goéland marin (le plus imposant), ou argenté (de noble posture), et que dans le parc qui abrite vos songes vous entendiez ici le rouge-gorge, là la grive musicienne, me ravit…

      Amitiés,
      Axel

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