Castor & Pollux - Agrigente (photo par Axel) [Cliquer sur la légende pour la photo en grand format] |
Sarabande de dieux assoupis ; Zeus Olympien
sous son linceul de pierre…
Lancé sous le soleil depuis Pozzalo à un rythme nonchalant, dépasser
Gela dont les restes antiques ont succombés sous l’industrialisation ; et
de penser à Eschyle, ce tragédien grec dont le trépas dans la cité sicilienne remonte
en 456 av JC ; une mort assez éloignée des canons usuels de la tragédie,
puisque l’auteur présumé du « Prométhée
enchainé » succomba au choc d’une tortue reçue sur son crâne lisse
comme un cailloux. L’animal avait été lâché par un rapace, peut-être un Gypaète barbu, aujourd’hui disparu de l’île, un aigle de Bonelli ou encore un vautour percnoptère. Qui pour savoir ? Un oiseau possiblement en migration qui,
selon la légende, voulant trouver pitance fracassa les espoirs de désigner un
autre astéroïde au nom[1] du
plus ancien des trois tragiques grecs[2]
.
Mais les kilomètres défilent et voilà que la Valle dei Templi, surgit d’un coup au
détour des collines, en surplomb de la route côtière qui s’est faite belle
pour les derniers kilomètres ; un tapis aux allures d’allée ombragée située
à quelques encablures de la maison natale de Pirandello…
Le mois de mai étire son ruban d’indolence sur la « La plus belle des cités mortelles »[3], avec
les colonnes du temple d’Héra ou de Junon, selon nos préférences[4], qui se découpent droit
au-devant, fières sur le ciel, toisant de haut le visiteur. Car plutôt que de
vallée, cette langue aux parures antiques, campe sur un promontoire entre
la mer et la ville contemporaine ; une ligne de crète s’abaissant jusqu’aux
portes en ruine, non loin du jardin de la Koymbetra.
La ville antique d’Agrigente fut fondée aux
environs de 580 av JC par un aéropage de colons Rhodiens et Crétois installés
à Gela ; Du rocher de Lindos au Dédale – Cléobule et le Minotaure … A cette même époque, Thales de Milet (645 –
527 av JC), un autre des sept sages de la Grèce antique, dont la mort a aussi
son originalité, s’adonnait au calcul de la pyramide de Khéops et prédisait une
éclipse.
Télamon couché (photo par Axel) [Cliquer sur la légende pour photo en grand format] |
De quoi camper une époque.
L’un des anagrammes d’Agrigente est
« égratigné ». Et la ville le fut bien des fois au cours de son
histoire mouvementée. Heurs et malheurs dans laquelle s’inscrit le destin des
temples de l’Akragas des grecs, ou l’Agrigentum des romains.
Lorsque l’on songe à Agrigente, vient aussitôt en
tête le nom d’Empédocle (vers 490- 435 av JC), facétieux présocratique dont la
mort est aussi selon la tradition fort rocambolesque…
Temple d'Héraclès - Agrigente (photo par Axel) [Cliquer sur la légende pour photo en grand format] |
L’individu, au-delà de ses excentricités, avait
apparemment une haute idée de sa valeur, n’hésitant pas à claironner des
envolées du style : « Moi qui suis
pour vous un dieu immortel, non plus un mortel… ». Aujourd’hui on dirait que
l’homme avait du mal à entrer dans ses sandales. Eh bien une sandale, voilà l’unique
vestige matériel qu’il laissera à la postérité, après avoir disparu sur le bord
de la bouche de l’Etna. Accident ou chute volontaire, ce qui est sûr c’est que
le philosophe était obsédé par le feu. En guise d’hommage, sans doute, le
volcan recrachera ainsi pour toute relique l’une de ses chausses de bronze.
Voilà pour ce fervent défenseur de la démocratie,
et capable de tuer en son nom.
Venons-en au chapelet des temples, posés là depuis
25 siècles en enfilade, parallèlement au rivage de la Mare Nostrum alanguie à un mile marin au sud. Et de revêtir nos
toges mentales pour parcourir les lieux du ponant au levant ; de la base
au sommet du promontoire où furent semés ces vigies de pierre. Du temple de
Castor et Pollux au temple d’Héra donc…
Flâner tout d’abord parmi les tambours des colonnes
effondrées du temple dit « L », daté du cinquième siècle av JC. Ici,
rien n’est debout, ce qui n’ôte pas une once au plaisir de la rêverie. Pourquoi
« L »[5] ?
Nous n’en saurons rien – et peu importe au fond ; les vertèbres du temple
de la divinité inconnue peu bien garder son secret.
De là contempler Castor et Pollux, encore dénommé
temple des Dioscures, ces jeunes garçons fils de Zeus et Léda. Le dompteur de
chevaux et le pugiliste, selon l’Illiade… Sur ce bâtiment quelques colonnes
d’angle furent relevées en 1836, non sans causer polémique, les restes de la
corniche provenant d’un autre temple – Une greffe qui néanmoins entretien le
goût moderne, sinon romantique, pour les ruines. Aux spécialistes de s’écharper sur le
bien-fondé ou non d’une telle restauration[6].
Filons ensuite sur le fil des éboulis vers le
temple de Zeus Olympien, construit après la victoire sur les carthaginois en
480 av JC. Difficile d’imaginer aujourd’hui la monumentalité du plus grandiose
des temples de l’antiquité parmi ceux dédiés à Zeus. Pour s’en donner une vague
idée, imaginons une immense base rectangulaire de plus de 100 mètres de longs
pour 50 de large ; un temple doté de demi-colonnes de presque 17 mètres de
hauteur, avec les inter-colonnes occupées par des télamons, variantes
masculines de la cariatide hauts de plus de sept mètres.
La reproduction de l’un de ces colosses, repose
aujourd’hui allongée au pied des marches du sanctuaire. Impassible, ou presque,
aux usures du temps.
Gravissant la colline, arrivons alors sous le
soleil de midi au temple d’Héraclès, dont neuf colonnes, telles les restes d’un
navire en perdition, se dressent encore alignées vers l’est. Il serait
d’ailleurs plus juste de dire qu’elles furent remises sur pied en 1922.
Précisons qu’elles sont hautes de 10 mètres pour un diamètre de 2,2
mètres – de quoi satisfaire les amoureux des chiffres, tant il est vrai
que la poésie s’amourache parfois du nombre. Et d’ajouter que les informations détaillées
reprises ici, furent glanées pour l’essentiel dans un excellent petit opus
commis par un certain Giuseppe Di Giovanni[7], livret qu’on préférera
aux publications plus récentes, ostensiblement plus ternes (et plus chères).
A noter qu’Héraclès était la divinité la plus
honorée en Sicile et que les habitants d’Agrigente, l’invoquaient « pour être libérés des mauvais rêves et des
pensées érotiques »[8] … Pas sûr qu’il faille se
défaire de ces dernière.
L’ascension nous conduit ensuite en pente douce au
temple dit de la Concorde, le mieux conservé du site. Il fut érigé aux
alentours de 430 av JC et doit son nom à une inscription latine retrouvée in situ. Ce « Concordia », n’avait évidemment rien à voir avec la divinité
révérée en ces lieux – encore un sanctuaire dévolu à une créature passée dans
l’ombre des siècles …
Temple de la Concorde, Agringente (photo par Axel) [Cliquer sur la légende pour photo en grand format] |
Converti en basilique chrétienne au VIe siècle de
notre ère, le temple retrouvera son aspect original après sa restauration en
1743, l’année de sa mise dans le registre des monuments nationaux.
D’une longueur approximative de 42 mètres sur 20 de
large, il était composé de trois pièces : Le naos, cœur du lieu et véritable
demeure de la divinité ; ensuite une antichambre à deux colonnes, placée
au-devant du naos ; sur l’arrière enfin se trouvait un autre vestibule
servant à la conservation des trésors, des offrandes votives ainsi que les
archives du temple.
A déambuler ainsi, parmi les vestiges, remontant
vers l’est, on ne manquera pas de contempler à bâbord sur les hauteurs la ville
moderne étirée sur la ligne d’horizon ; le bourdonnement infatigable de la
vie comme elle va, tandis qu’à tribord se déroulent les niches de la nécropole
paléochrétienne. Ce contraste nous rappelle, comme s’il fût nécessaire, que
tout passe. « Rien de nouveau sous
le soleil ».
Situées dans les hypogées de la Villa Aurea, havre de verdure planté à
mi-chemin entre le temple de la Concorde et celui d’Héra, et qui fut la
propriété d’un ancien officier de la marine anglaise[9] fasciné par les ruines de
la Vallée des Temples, les niches de la nécropole portent aussi le nom de
« grottes Fregapane ». Elles sont datées du IVe siècle de notre ère
et criblent la muraille de l’ancienne cité.
Laissons les morts reposer.
Nécropole paléochrétienne, Agrigente (Photo par Axel) [Cliquer sur la légende pour photo en grand format] |
Et arriver enfin au temple d’Héra, dressé tout à la
proue du vaisseau de pierre que constitue le promontoire de la Valle dei Templi d’Agrigente. Là où Caspar
David Friedrich drapa en majesté les ruines de ses pinceaux, sans cependant y
vouloir mettre les pieds…
Ce temple dorique, érigé vers 450 av JC, brûlé par
les carthaginois, puis reconstruit par les romains au premier siècle avant
notre ère, fera l’objet de plusieurs représentations picturales. En la matière
il est loisible de préférer à la touche à la fois desséchée et un peu convenue
du romantique du XIXe, le bucolique et vivant « Paysage avec ruines de temples en Sicile » du néoclassique duXVIIIe, Jacob Philipp Hackert. A chacun de faire son choix …
Un mot enfin du rituel pratiqué dans ce
temple : « … une fois terminé
le bain purificateur dans les eaux de la rivière sacrée Akragas, les époux
offraient à Héra, protectrice du mariage, une brebis dépouillée de ses
viscères. La blancheur de l’animal symbolisait la douceur qui devait unir les
deux époux. Plutarque nous rapporte dans ses récits, qu’avant d’immoler la
bête, on l’aspergeait d’eau froide : si elle tremblait, on reportait la
cérémonie à plus tard… »[10]
« Tous
les fleuves vont à la mer et la mer n’est pas remplie »
(Ecclésiaste)
Temple d'Héra (photo par Axel) [Cliquer sur la légende pour photo en grand format] |
Vue sur la ville moderne d'Agrigente (photo par Axel) [Cliquer sur la légende pour photo en grand format] |
Parmi les tambours de colonnes du temple "L", d'Agrigente (photo par Axel) [Cliquer sur la légende pour photo en grand format] |
Mais il est temps de rebrousser ; suivre la fuite du soleil et retrouver
les langueurs des soirs en chaleur.
La huppe Fasciée et la mélodie de la fauvette mélanocéphale.
Le goût du Marsala ; un cépage rouge d’évidence …
Jacob Philipp Hackert: Paysage avec ruines de temples en Sicile (Vallée du temple d'Agrigente), 1778 |
[1]
(2876) Eschyle est un petit astéroïde de la ceinture d'astéroïdes, dans le
Système solaire.
[2]
Les autres étant Sophocle et Euripide.
[3]
Pindare
[4]
Pour ma part j’ai choisi sans la moindre hésitation, entre les dénominations
grecques ou latines.
[5] On peut supposer, que par
manque d’imagination, ce L signifie juste qu’il s’agit là de la ruine notable
numéro 12 du site.
[6] Pensons à cet égard à la
restauration du palais de Minos à Cnossos, par Sir Arthur Evans. Fallait-il la
commettre ? Le débat est ouvert.
[7] « Déjà inspecteur honoraire des Biens
Archéologiques ». J’aime beaucoup ce « déjà », à prendre dans le sens qui nous convient. Il n’y a pas
de nom d’éditeur à ce modique ouvrage (4 €) fort bien fait. Son titre : « La Vallée des Temples, La vallée la plus
sacrée du monde » Là encore le superlatif fait délice !
[8]
Tiré du livret (voir note 6)
[9] Alexander Hardcastle,
« archéologue dilettante » …. (25 ottobre 1872 – Agrigento, 27 giugno
1933) è stato un mecenate, archeologo dilettante …
[10]
Tiré du livret de Giuseppe Di Giovanni.
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