Fuligule morillon (photo par Axel) |
La moitié de novembre vient de sonner, c’est
dimanche. Quel plaisir, à peine levé, de découvrir après tant de jours de pluie
un beau ciel bleu sans la moindre tâche… Se préparer aussitôt : bourrer
dans le sac-à-dos jumelles, carnet d’observations, crayon, bouteille d’eau et
guide Ornitho ; enfiler à la va vite sa tenue de « combat » … Prendre
enfin l’appareil photo et s’assurer deux fois ne pas avoir oublié le chargeur
ou la carte SD – Quand on est étourdi … Et, après un thé vite avalé, filer vers
l’aventure.
Se réjouir sur la route, encore presque déserte, de
nos prochaines retrouvailles avec ce qu’il est convenu d’appeler les vivants
non-humains - il faut dire que la veille nous avons assisté à une conférence de
l’anthropologue Philippe Descola et que, si cela ne suffisait pas, nous sommes
ensuite allés voir un film dont l’intrigue tourne autour des pratiques
shamaniques en Mongolie… Ça laisse forcément des traces !
L’automne bien avancé s’étire sous le soleil. Tout
va merveilleusement bien. Jusqu’au moment d’atteindre le site tant désiré. Et
là horreur ! Ce n’est pas le « Cœur des ténèbres » escompté mais
une palanquée de voitures - inconcevable à cet endroit à une telle heure. Regard
exorbité, se garer alors à distance de la cohorte… Sur le parking bourdonne un
gros essaim de gens ; grappes bruyantes et mouvantes – une bonne vingtaine
selon une estimation instantanée (avoir l’habitude de compter les fuligules au
vol permet ce genre de prouesses). Quelques-uns sont accoutrés à la même mode
que le « promeneur solitaire », et portent en bandoulière une paire
de jumelles. Un ou deux spécimens, sans doute les chefs de meute, ont à
l’épaule une longue vue. Mais la plupart des membres du troupeau n’ont pour
bagage, déjà dessinée sur moult lèvres, qu’une envie de papoter, de passer comme
on dit un moment en compagnie…
« Merde
une sortie nature ! », s’écrie mentalement le misanthrope - il
faut comprendre un groupe de fâcheux attirés par une visite « pédagogique »
…
Vue sur les Cinq Tailles, le matin (Photo par Axel) |
Aussi, plus que jamais résolu de fuir la foule, le
solitaire contourne-t-il la masse agglutinée (il faut toujours attendre les
retardataires) avec l’empressement d’une vierge qui vient de voir le diable. Et
de se précipiter illico sur le sentier sinuant à travers bois jusqu’au premier
observatoire, sans consentir au rituel pourtant si agréable de trainer tout se
délectant du chant des passereaux venus accueillir ses pas. C’est que,
l’amoureux de la paix et du silence (entendons-nous bien, il est question ici
de s’affranchir des bruits d’origine humaine – car la forêt bruisse de mille
mélodies), s’il veut espérer rencontrer d’assez près les oiseaux assoupis ou
batifolant sur le plan d’eau, il lui faut mettre entre ses pas et ceux de la
horde des bavards le maximum de distance - imaginer un tel aéropage entrer dans
une cache d’observation, c’est comme imaginer une bande de supporter de foot jaillir
dans une bibliothèque.
Mais l’esprit de la forêt veillait alors sur le miroiseur
solitaire ; et de pouvoir, sans la frustration du dérangement, se perdre dans
la contemplation des grands cormorans, regroupés autours des piquets perforant
l’eau, pas très loin de la cohorte batailleuse des vanneaux huppés au reposoir
sur les îlots du lac. Parmi eux, Un héron cendré, indolent traîne ses pattes dans l'espoir de planter son bec dans des entrailles frémissantes – ainsi va la
nature. Baillant sur l’onde se laissent voir sarcelles d’hiver, canards
Chipeau, Colverts et autres Souchets. Sans compter les fuligules milouins ou
morillons de tous plumages – de l’éclipse au nuptial. Ajoutons à cet
inventaire, presque invisibles sur la berge d’une minuscule langue de terre, une troupe de bécassine
des marais ; assoupies bien que l’œil en alerte. La liste n’est pas
exhaustive !
Mais les instants de grâce ne sont pas faits pour
durer. Et, depuis la désertion des églises (malgré la déplorable ouverture
de moult officines commerciales le dimanche), il est bien des maux à souffrir dans
une réserve naturelle en des jours de ciels propices… Des désagréments variés,
rythmés à une cadence infernale… A commencer par une horde en fluo, surgit dont
on ne sait où… Annoncée dans un tonnerre d’éructations toutes aussi qu’indispensables
qu’épiques. Dans le genre : « Y
a un truc là ! Une cabane… » - « Putain j’ai mal au cul » … Des vététistes du troisième âge d’une
extrême délicatesse qui, une fois déposé leurs vélos à grand fracas, s’engouffrent
dans l’ombre de l’abri, le premier s’écriant aux suiveurs de la horde : « Y’a quelqu’un … ». Et d’entrer sans
vergogne pour une visite 30 secondes chronos. Evidemment tous les oiseaux les
plus proches ont pris leurs ailes à leurs cous ! L’un de ces grossiers intempestifs d’oser alors s’approcher du miroiseur solitaire (les cons ça ose tout), qui accroché à
ses jumelles fulmine faisant gros dos. Et de l’interpeller. Une saillie faisant
montre d’un esprit à faire pâlir le plus docte de nos érudits : « Vous regardez quoi ? » La
réponse excédée, finalement encore trop aimable, sans lui adresser le moindre
regard, relève de l'évidence : « Avant que vous
arriviez il y avait des oiseaux » !
bécassines des marais (photo par Axel) |
Le reste de la balade fut l’occasion d’éprouver les
nerfs de qui cherche à fuir les miasmes de l’humanité affairée ; du loisir
mécanique aux sportifs dominicaux, passant par les égarés du moment, écouteurs
vissés aux oreilles …
Ainsi tel avion de tourisme, dans le genre
mobylette des airs, crachotant son kérosène à basse altitude, les familles à « sales
gosses » ou à poussettes « four wheel drive », les pépères et
les mémères à chiens qui vous saluent en criant presque, pour couvrir les aboiements, les randonneurs de haute montagne, échoués dans la plaine
avec le clic clac de leurs bâtons, les chasseurs aux treillis militaires magnifiquement recouverts de gilets oranges pour ne pas s’entre tuer, des
cavaliers encore, fiers de leur monture au point de d’essayer à un trot malencontreux
sur un pont en bois. Tout ceci sans oublier les gueulards égarés à force d’écraser
les champignons.
Mais reste les oiseaux !
Vanneaux huppés (Photo par Axel) |
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