Je reprends ici un billet de septembre 2010. Je n’ai rien à y retrancher … Juste un constat, 12 après : sommes résolument en route pour le pire !
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Mais trêve de digressions, et entrons désormais de plain-pied dans les sociétés humaines. Lucrèce un siècle avant notre ère écrivait déjà :
« Ce qu’on a sous la main, si nous connaissons
Rien encore de
meilleur, suffit à nous combler ;
Mais qu’on découvre
alors quelque chose de mieux,
Le nouveau tue
l’ancien, nous dégoûte de lui » (9)
Depuis lors, rien de neuf sous le soleil.
Et avec l’avènement du capitalisme, la généralisation planétaire du « doux commerce », et le mythe de la
« main invisible du marché »,
nous n’assistâmes qu’à une mise en équation de nos pulsions les plus primitives
– les lois de l’économies singeant les sciences mathématiques (10). Enfin, né
dans les années 1980, dernier avatar de nos sociétés post-modernes, le
néo-libéralisme ne fit que pousser à son paroxysme, à l’échelle mondiale, la
brutalité absurde des rapports sociaux, en la justifiant par la pseudo-science du « darwinisme
social », bâtie sur une mécompréhension totale des thèses de l’auteur de
« L’origine des espèces par le moyen
de la sélection naturelle », pour qui, chez l’homme, l’adaptation au
milieu se trouve tout autant adossée - sinon davantage - sur la coopération que
sur l’esprit compétition.
Ajoutons un petit mot sur le désir mimétique de René Girard (" nous désirons un objet parce que le désir d’un autre nous le désigne comme désirable ") : il présente d’incontestables affinités avec la thèse de la " consommation ostentatoire ", défendue par l’économiste de la fin du XIXe siècle, Thorstein Veblen. Pour ce dernier, dans nos " sociétés de loisir ", les mécanismes sous-jacents poussant à une consommation toujours plus effrénée, proviennent pour l’essentiel de motivations relevant de la vanité et du désir de se démarquer de son voisin : « La possession de richesse est restée le moyen de la différenciation, son objet essentiel n’étant pas de répondre à un besoin matériel, mais d’assurer une « distinction provocante », autrement dit d’exhiber les signes d’un statut supérieur » (12).
On le sait bien, dans un monde fini, une croissance infinie est impossible. A l’heure du dérèglement du climat causé par l’homme, à l’heure de l’effondrement terrible de la biodiversité, au point que certains évoquent déjà la sixième extinction, à l’heure où commence à se faire sentir le manque de métaux précieux nécessaires pour le bon fonctionnement de nos économies (13), « la course à la distinction pousse à produire bien davantage que ce requerrait l’atteinte des « fins utiles » : « Le rendement va augmentant dans l’industrie, les moyens d’existence coûtent moins de travail, et pourtant les membres actifs de la société, loin de ralentir leur allure et de se laisser respirer, donnent plus d’effort que jamais afin de parvenir à une plus haute dépense visible (…) l’accroissement de la production et le besoin de consommer davantage s’entre provoquent : or ce besoin est indéfiniment extensible » En effet, il ne s’arrête jamais : repensons à nos milliardaires. Qu’acheter, quand chacun a son avion décoré de bois précieux et de marbre ? Une collection d’objets d’art. Une fusée. Un sous-marin. Et ensuite ? Une villégiature sur la lune. Autre chose toujours, car la satiété n’existe pas dans la compétition somptuaire » (14).
Rappelons enfin la fragilité de la planète : « Ramenée à un globe terrestre d’un mètre de diamètre, l’épaisseur moyenne de la biosphère serait de moins d’un millimètre. Des trois éléments physiques qui la composent, l’océan, l’atmosphère et la surface de continents, l’atmosphère est la plus fragile (…) C’est dans cette piscine peu profonde que barbotent, sans beaucoup de précaution, plus de six milliards d’hommes et leur technique » (15).
Et à ceux qui seraient tentés de taxer cette prose de pessimiste, pour reprendre le reproche qui fut adressé en son temps à André Lebeau lors de la sortie de son livre « L’enfermement planétaire », il n’est sans doute pas inutile de rappeler qu’un constat n’a pas à verser dans l’optimisme, ou son contraire ; sauf à vouloir s’illusionner.
« Nous refusons de croire ce que nous savons », dit Jean-Pierre Dupuy. Espérons qu’il se trompe. Car nous sommes bien entrés dans l’anthropocène…
(1) Néologisme. Consummation : "XVe s. « destruction » : Faire cuire et bouillir jusques à la consumation ». Consumer : User, détruire progressivement une chose par altération ou anéantissement de sa substance. Ainsi ce terme lie, de manière propice, la consommation à un acte de destruction. Il renvoie aussi à cette métaphore, où la Terre est vue comme une immense marmite posée sur le feu. L’inertie en est très grande. Et tant que l’eau ne bout pas on s’imagine que rien ne passe. Lorsqu’enfin l’ébullition se manifeste, il est trop tard.
(2) Pascal Picq, Au commencement était l’homme P 178. Note complémentaire, mars
2022 : « Une équipe internationale a identifié au Maroc les plus
vieux ossements d'Homo sapiens, datant de plus de 300.000 années. Une
découverte majeure qui repousse de plus de 100.000 ans l'apparition des
premiers hommes modernes sur le continent africain. » (Info presse de juin
2017)
(3) http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Science-Sante/2007/01/05/002-guerre-humanite.shtml
(4) http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_1987_num_42_6_16996 « La population préhistorique de la France, Essai de calcul par la méthode de Peyrony », Jean-Noël Biraben, Claude Lévy : « Avec de telles densités, la France aurait eu, à l’époque moustérienne, 16.000 habitants répartis en une quarantaine de tribus… »
(5) Pascal Picq, op cité, P 164.
(6) Pascal Picq, op cité, P 23.
(7) MONTAIGNE - Essais - Livre II Chapitre XII Apologie de Raimond Sebond. http://www.site-magister.com/prepas/montess2.htm
(8) Jean-François Dortier, L’homme, cet étrange animal, P 307. Livre excellent, sous-titré « Aux origines du langage, de la culture et de la pensée », dont je recommande lecture.
(10) « Que l’économie soit un peu, ou beaucoup mathématisée, n’a évidemment rien à voir avec son caractère scientifique. La mathématique, dit Bertrand Russel, consiste en tautologies et ne prétend pas prouver autre chose que : « un quadrupède est un animal à quatre pattes ». (…) Les économistes adoptent la physique newtonienne et n’en sortent plus. Ils sont heureux de leur causalité, de leur déterminisme, ils utilisent le calcul différentiel et expriment la « tendance naturelle » des marchés à aller vers l’équilibre. (…) Voila nos premiers économistes « scientifiques » … Des copistes, pour ne pas dire pire. Ils construisent une physique sociale, où la société est composée d’individus autonomes, rationnels, cherchant à maximiser « l’utilité ». (…) L’équilibre de la mécanique classique est un équilibre du retour à l’équilibre, d’une science qui ignore le temps. (…) Malheureusement, la plupart des phénomènes physiques, sont irréversibles. Les gens ne rajeunissent pas. Les forêts primitives ne repoussent pas. Les bûches consommées ne refont pas des arbres… On ne revient pas de la mort à la vie… ». Bernard Maris, Antimanuel d’économie, livre 1.
(11) Guillaume Paoli, Eloge de la démotivation, p 77-78.
(12) Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, P 77.
(13) Voir à ce propos la conférence de Jean Gadrey, crise écologique et crise économique http://aevigiran.over-blog.com/article-jean-gadrey-crise-ecologique-et-crise-economique-50238672.html
(14) Hervé Kempf, op cité, P80 (il reprend, dans cet extrait, pour part Thorstein Veblen)
(15) André Lebeau, L’enfermement
planétaire, P 37.
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