28 août 2014

Phaistos, Gournia & civilisation minoenne ; sur les pas d'Epiménide - Radamanthe et le disque de terre cuite...

Phaistos
Phaïstos (photo par Axel)


Strabon rapporte dans sa Géographie, (livre X-4, chapitre 14) : « Des trois villes fondées par Minos, la dernière, Phaistos, fut détruite par les Gortyniens : elle était située à 60 stades de Gortyne, à 20 stades de la mer et à 40 du port de Matalon. Quant à son territoire, il est encore occupé par ceux-là même qui l'ont détruite. Comme Phaistos, Rhytium est actuellement tombé au pouvoir des Gortyniens. Dans Homère les noms de ces deux villes sont déjà réunis : «Et Phaistos et Rhytium» (Il. II, 648). Phaistos passe pour avoir vu naître Epiménide, le même qui {le premier} procéda aux purifications au moyen des vers ou formules en vers. Lissên dépendait également du territoire de Phaistos. Quant à Lyttos, dont nous avons déjà fait mention précédemment, elle a pour port Chersonnésos, lieu célèbre par son temple de Britomartis. En revanche, les villes dont les noms figurent dans le Catalogue d'Homère à côté du sien, à savoir Milet et Lycastos, n'existent plus. Les Lyttiens ont pris pour eux le territoire de la première et les Cnossiens celui de la seconde après l'avoir préalablement détruite. ».

Les marches de Phaïstos

Depuis les ruines du palais de Phaistos, posées en surplomb de la plaine de la Messara sur la colline d’Agios Ioannis, la vue sur les cimes enneigées, même en été,  de l’Asteroussia et de l’Ida est magnifique. Déambulant sous un soleil de printemps parmi les vestiges d’un si lointain passé, comment ne pas être séduit par la paix des lieux (les touristes se font relativement peu nombreux au-delà de Cnossos) ? La tentation est grande, en effet, d’imaginer la douce indolence insulaire de ces minoens, ce peuple si peu belliqueux qu’ils en oublièrent longtemps de fortifier leurs cités. Vision fantasmée sans doute. Il n’empêche, alors que dans tout  le bassin méditerranéen  se trouvait ordinairement répandue la pratique de l’esclavage et de la corvée, de maîtres et d’esclave en dans la civilisation minoenne il semble y en avoir eu que fort peu.

Les spécialistes s’accordent sur une apogée de la civilisation minoenne entre 1700 et 1450 av JC ; période donc du rayonnement de cette culture que d’aucuns ont pu qualifier de « thalassocratie minoenne». La Pax Minoica régnait, et les cités, à l’ombre des palais étaient florissantes. Ainsi, pour prendre les principales bâtisses royales, outre Cnossos, où résidait le légendaire Minos, il devait faire bon vivre à Phaistos, Zarkos ou encore en la plaine de Malia. D’autres cités de moindre importance, telle la cité côtière de Gournia posée sur le dos d’une colline située à quelques encablures du golfe de Mirabello, n’avaient sans doute rien à envier à leurs ainées (1) quant au sentiment de langueur
Vue depuis Phaistos
méditerranéenne qui devait étreindre le cœur de ses habitants. Aujourd’hui encore, à jouir de cette vue, de ce climat, de ces couleurs - tout en contraste - et de cette paix (le site est fort peu fréquenté et il nous fut loisible de parcourir les anciennes venelles sans autre dérangement que celui de nos propres pas), on comprend pourquoi les hommes eurent idée de s’établir en ce lieu qu’ils criblèrent de réceptacles d’eau ; d’ou le nom donné,  à sa découverte, à la cité ; Gournia, signifiant ‘abreuvoir’.

Difficile de parler de la Crète et de la civilisation minoenne sans évoquer la mémoire de l’archéologue britannique Arthur Evans, premier fouilleur et restaurateur (controversé (2)) du palais de Cnossos. Figure essentielle de l’archéologie crétoise, outre ses considérables travaux in situ (étalé sur 20 ans, entre 1900 et 1920), on lui doit la première grande classification de l’histoire de la Crète en trois périodes : minoen ancien, minoen moyen, minoen récent. Ces périodes sont elles-mêmes subdivisés en  trois sous-parties. Cette chronologie fut révisée en 1958 par un archéologue grec, Nikolaos Platon, ce dernier proposant une périodisation en quatre parties basées sur les découvertes et les évolutions de l’art minoen, plutôt que sur les phases successives de constructions et destructions des palais Crétois. Ainsi se distinguent les périodes pré-palatiale, proto-palatiale, néo-palatiale et post-palatiale. Plus précisément, la période allant de l’introduction du cuivre (2600 av JC) jusque 2000 av JC est décrite comme Pré-palatiale (2600 à 2000 av JC). Suivent le Proto-palatiale (2000 – 1700 Av JC), le Néo-palatiale (1700 – 1400 Av JC), et enfin la période Post-palatiale comprise entre 1400 et 1100 Av JC) (3) . Avant cela s’étendait le néolithique ou s’encre l’archéologie crétoise, avec des premières traces d’habitats peut-être dans le troisième millénaire av JC. Ce n’était alors, lorsque qu’il ne s’agissait pas de grottes, d’abris de pierres presque brutes et de branchages.

Mais revenons-en à Phaistos. Le toponyme de la cité (Φαιστός) on s’en doute, est d’origine minoenne (en linéaire B Phaistos se lit  pa-i-to). Si le site est occupé depuis les temps néolithiques, la première construction trace de la construction d’un palais remonte aux environs de 2000 – 1900 av JC. C’était alors le centre politique et administratif de l’un des territoires qui se sont formés en Crète. Comme pour Cnossos cette bâtisse ne survivra pas à la grande destruction (l’hypothèse la plus avancée est celle d’un tremblement de terre) qui toucha toute la Crète. Contrairement au palais de Minos, rien ne sera immédiatement reconstruit, le centre politique de la région passant à Haghia Triada, non loin de là, plus proche de la côte. Ce n’est que vers 1600 av JC que les travaux reprennent, avec un palais plus petit que le précédent. Ce dernier demeurera en fonction durant un peu plus de 150 ans ; jusqu’à une nouvelle destruction qui aura lieu vers 1450 av JC (avec les autres palais excepté Cnossos : cause indéterminée). S’en est la fin du palais de Phaistos, et après 1100 AV JC le lieu n’existera plus qu’en tant que noyau fortifié au sommet de la colline.

Phaïstos
Dans Phaïstos (photo par Axel)


Temple de Létô
Déambulant parmi les vestige, un peu à l’écart cherchant l’ombre sous un grand pin, on débouche en contrebas des principales construction, là ou se trouve les restes un temple remontant au VIIe siècle av JC et désormais attribué à Létô, mère d’Apollon et de la ‘vierge’ Artémis, déesse de la chasse, dont l’un des plus beau sanctuaire (4), comptant parmi les sept merveilles du monde , se trouve de l’autre côté de la Mare Nostrum, à Éphèse en Ionie.

Mais au delà des vielles pierres, que savons-nous du culte de Léto à Phaistos ? J’emprunte l’extrait qui suit à un excellent guide d’Antonis Vasiilakis acheté sur place :
« On sait par des sources antiques qu’à Phaistos se déroulait la fête des Ekdysia en l’honneur de Létô Phytiè. La fête avait un rapport avec le passage de l’enfance à l’adolescence. Le souvenir de la désse Létô est resté dans le nom des deux îles du golfe de la Messara, les îles de Léto, aujourd’hui Paximadia.
Il faut rechercher l’origine du culte de Létô dans le mythe de Lefkippos, un enfant né fille et que sa mère, Galatée, habillait en garçon, comme le voulait son mari Lambros. Quand l’enfant eut grandi, il fut difficile de cacher son véritable sexe. Pour ne pas qu’il soit découvert par Lambros, Galatée pria la déesse Létô et celle-ci ‘fit pousser’ (d’où l’adjectif Phytiè) chez la jeune fille des organes génitaux masculins. C’est ainsi que lorsque vint le moment pour Lefkippè (Lefkippos) d’échanger les vêtements d’enfant contre des vêtements d’homme, elle apparut en garçon, telle que l’avait transformée la déesse. »
Mais le mythe avait ses variantes, telle celle rapportée par Ovide sur lequel je ne m’étendrais pas. Quoi qu’il en soit, « en souvenir de cet événement, une coutume matrimoniale fut instaurée : le jeune couple s’étendait à côté de la statue de Lefkippos à Phaistos, dans un acte symbolique de fécondité. (…) La fête des Ekdysia (renvoie) aussi à une cérémonie d’initiation, de l’entrée du jeune homme dans la communauté des adultes ».



Disque de terre cuite de Phaistos 




Découvert en 1908, le fameux disque d’argile de Phaistos a fait coulé beaucoup d’encre. Recouvert de pictogrammes sur les deux faces (242 signes répartis en 61 groupes), il est un échantillon représentatif de l’écriture « hiéroglyphique » des premiers palais. Les dernières datations le font remonter à l’époque néo-palatiale (1700 av JC) ; contemporain donc de l’écriture en linéaire A.
On n’a trouvé aucun autre texte semblable en Crète, ni ailleurs. Et pour l’heure le disque a résisté à toutes les tentatives de déchiffrage. Si les signes, pour nombre d’entre-eux, représentent des formes humaines, des animaux et des objets du quotidiens, certains demeurent tout à fait indéfinissables. On s’en doute, les interprétations de ce texte vont des plus prosaïques aux plus ésotériques. 

Epiménide et Radamanthe

Pour finir, et donner un peu de vie à cette promenade sous le ciel de Phaistos, évoquons l’ombre d’ Epiménide de Knossos, poète et chaman qui vécut à Phaistos et actif, selon Platon, vers 556 av JC, ou, selon Aristote, vers 595 av JC.

L’essentiel de ce que l’on sait de ce singulier personnage nous vient de l’incontournableDiogène Laërce :
« Mandé par eux [en -595] vint de Crète Épiménide de Phaestos, considéré comme le septième des Sages par certains de ceux qui ne reconnaissaient pas Périandre. De plus, sa réputation était celle d'un homme cher aux dieux et savant dans les choses divines, dans la connaissance inspirée et initiatique » (Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres)

Un dernier regard sur ces ruines avant de s’en retourner à la modernité. Et de se rappeler que Phaistos fut gouvernée par Rhadamanthe, le frère de Minos. Mais de ceux-là j’ai déjà brossé le portrait dans un autre billet.


 (1) Manière de parler, puisque le site de Gournia semble avoir été occupé depuis le minoen ancien.

 (2) Voir le lien sur le nom Arthur Evans (paragraphe ‘fouilles de Cnossos). J’empreinte ici un extrait : « Il procède également à des reconstructions massives en béton du palais selon son imagination, ce qui lui a été vivement reproché. De plus ces reconstructions illustrent bien le fait que chez A. Evans la recherche scientifique ne s’est jamais vraiment détachée de l’imaginaire qu’il s’était forgé des civilisations helléniques. Et lorsque l’on visite Cnossos aujourd’hui on voit un édifice moderne aux décors inspirés de l’art nouveau. »
(3) Repris de l’excellent petit livre, ‘La civilisation minoenne’ par Stylanos Alexiou, Ed Heraklion. D’une source l’autres ces datations peuvent varier.
(4) Il n’en reste hélas pas grand chose : Photographie du Temple d’Artémis.


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