(Billet initial supprimé de la plateforme Overblog pour cause de pollutions publicitaires)
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« J’ai pour les institutions démocratiques un goût de tête, mais je suis aristocratique par instinct, c’est-à-dire que je méprise et craint la foule »
Je me souviens d’un jour lointain, après avoir traversé de part en part la forêt de Crécy, passant sous les vieux chênes, du côté du menhir de la Longue-Borne, avoir débouché au nord du massif, près d’un village, face à un château d’une blancheur irréelle. Le fuseau de ses tours, pareilles à d’immenses bambous immobiles dans le vent, se découpaient avec élégance sur le vert des grands arbres centenaires aux lourds ramages. Une pelouse interminable coulait en pente volontaire vers un plan d’eau étiré en longueur. Un cygne, nonchalant s’y baignait.
Ce fut ma première rencontre avec le château de
Regnière-Ecluse.
Il m’arriva, les années qui suivirent, de repasser parfois aux abords de la bâtisse étrangement plantée là, me demandant
qui pouvait bien habiter en un tel endroit. Ma curiosité s’arrêtait là. Et aussitôt passé la route j’en revenais au ciel, aux oiseaux et aux chevreuils.
Je ne savais alors pas que la place, désormais qualifiée (à mon avis assez fautivement - mais romantisme oblige) de «
gothique troubadour », avait jadis été un simple manoir, lui même établi sur un domaine ayant appartenu à la même famille depuis l’époque de Robert le Pieux.
Le mystère du château enchanté est aujourd’hui levé.
En cette rencontre, le hasard aura joué sa note. Une note flûtée dans le genre de celle que pousse le Chevalier Gambette, lorsque suivant le fil de la marée il glisse au-dessus des sables de la Baie de Somme. C’est là que nous
déjeunions, entre nuages noirs et ciel d’un bleu céruléen, près de la Maye, à quelques encablures du Crotoy et de ses tourelles emblématiques…. « Oh ! Pays de mon enfance…
».
Il aura suffit d’une conversation autour des courses d’attelages, organisées lors des journées du patrimoine dans le
Domaine de Regnière-Ecluse, pour nous décider à bercer nos mélancolies digestives du côté de ce champ de bataille qui vit jadis l’orgueil de la chevalerie du roi Philippe VI se faire tailler en pièce par
les longbow des archers gallois.
Car désormais (et depuis 2008) le château de Regnière-Ecluse, pour avoir rejoint les sites du Conservatoire du littoral,
se
visite. La décision en incombe à son dernier propriétaire, Raymond de Nicolay, commissaire-priseur de profession (cela se sent dans les intérieurs du château), et sans héritiers
directs. Son but : « … préserver à l’avenir cet ensemble patrimonial exceptionnel menacé d’éclatement à chaque génération par les partages successoraux ».
Homme de goût, le comte Raymond de Nicolay est le restaurateur du Domaine de Regnière-Ecluse, repris en main en 1961. Ce
qui ne l’a pas empêché de placer aussi sous son aile, dans les salons feutrés de Drouot, de nouvelles générations de gentilshommes. Ainsi François de Ricqlès, introduit sur son patronyme « de
qualité » dans le cénacle fermé des plus hautes instances du marché de l’art par sa propre grand-mère. Ce dernier considère l’héritier de Raymond d’Hinnisdal, comte du Saint-Empire (1807 – 1877) comme « un véritable mentor, un homme passionné et joyeux ».
L'anecdote n’est pas sans faire songer évidemment « au militantisme mondain » qu’évoquent
les sociologues Michel Pinçon & Monique Pinçon-Charlot dans leur essai « Les Ghettos du Gotha », ce militantisme où l’on cultive
l’entre-soi, dans des « cercles qui peuvent paraître anodins, (mais) en réalité des lieux fermés de concentration du pouvoir ».
Un chapitre de leur livre s’intitule d’ailleurs « L’entre-soi balnéaire et le Conservatoire du littoral ». S’y
déroule l’analyse, au travers le cas d’une grande propriété en Bretagne, d’une pratique en vogue chez les possesseurs de vastes domaines depuis le début des années 80. L’argumentation justifiant
l’opération est à peu près similaire à celle de Régnière-Ecluse : « Comme nul ne peut être sûr de ses descendants, il était préférable d’assurer la pérennité de ce site splendide » (p
162).
Ainsi, tout conservant l’usufruit des lieux, la manœuvre permet-elle le transfert des responsabilités d’entretien du
Domaine sur la collectivité publique, garantissant en outre au propriétaire, par l’ouverture du château au public, un gain symbolique par la reconnaissance des visiteurs (cette ouverture permet
aussi évidemment de bénéficier des aides publiques).
Les sociologues ajoutent : « Le châtelain a le sentiment de remplir un devoir, une responsabilité héritée avec le
château : maintenir un patrimoine et créer les conditions pour qu’il devienne accessible au peuple de France. Mais, dans ce processus, bien loin de perdre leur identité en perdant le monopole de
l’usage du château, les châtelains ont l’impression de la conforter en réaffirmant publiquement leur appartenance à une lignée, à une société d’exception » (P 167)
Pour reprendre une expression de Cynthia Fleury, tirée des « Pathologies de la démocratie » :
« Préserver la cohésion sociale, c’est d’abord veiller à ne pas trop exposer ses différences, à ne pas surenchérir
sur ce que l’on est » (p 112)
Mais fi de ces considérations alambiquées, et ne boudons pas le plaisir qu’il y a à rêvasser entre ciel et forêt, dans le
parc jouxtant le château ou du côté des fausses ruines, le long de l’étang.
Quant aux intérieurs de la demeure comtale, à qui passe dans la province Picardie, non loin du « Hêtre Richard » ou du « Chêne des
Ramolleux », presque contemporain de la bataille évoqué plus haut, il vaut la peine de faire un détour jusqu’aux porte Regnière-Ecluse.
Enfin, notons qu’un épisode d’une série TV policière (je sais faire la différence entre roman policier et roman noir
depuis avoir visionné une excellente conférence de Jérôme Leroy) « Petits meurtres d'Agatha Christie » a été tourné dans le château de Regnière-Ecluse. On y reconnaîtra une pièce en particulier (celle construite en oriel sur le côté
de la bâtisse, et abritant sur son toit une terrasse)
Quelques vues du château
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