A l’évocation du mot safari, d’aucun s’imaginent
volontiers une ambiance à la Hemingway, le fusil en moins ; d’autres y
substitueront avec profit les langueurs tragiques de La ferme Africaine chère à Karen Blixen ou encore ces Racines du ciel, perchées dans le
sillage de l’irascible et non moins fantasque Morel à qui on demanda un jour
(on notera le style journalistique de la question) :
-
« Voilà
plusieurs mois que vous tenez le maquis. Comment expliquez-vous la facilité
avec laquelle vous avez toujours échappé aux autorités ? »
-
Et l’aventurier de s’esclaffer avec bonhomie :
-
« Tout
le monde me veut du bien !… »
-
Un peu court pour l’autre qui s’entête – il
veut comprendre :
-
Vous avez
blessé des chasseurs, brûlé des fermes. Mais vous n’avez jamais tué personne.
Est-ce un hasard ?
-
J’ai visé
de mon mieux.
-
Pour
éviter de tuer ?
-
On
n’apprend jamais rien à un gars en le tuant… On contraire, on lui fait tout
oublier. Hein ? »
(P347)
Autre temps autre mœurs, encore que le braconnage
contemporain en certains endroits de la planète a pris les allures d’une véritable guerre. Mais là où sévissent les armes
lourdes on n’emmène d’ordinaire pas les touristes – et sans doute rate-t-on là une
occasion d’une véritable confrontation ludique …
Mais c’est une autre histoire.
Dans les pas
du rêveur
Il faut s’imaginer le bivouac à l’aube ;
réveil parmi les bêtes aux cris fantastiques dans la brousse… Assis sur une souche, un scotch à la main à
contempler au loin les animaux se succéder par ordre de préséance au marigot –
vision romantique, sans doute.
La réalité d’aujourd’hui est plus triviale, moins
chargée de poésie… Même si, sur le
départ d’un mince périple dans la savane, alors que la nuit résiste encore, un
pincement au cœur habille la fatigue d’un sourire inconsolé…
Certes le Sri Lanka n’est pas l’Afrique, mais tout
de même… La faune y est riche (on y recense pas moins de 86 espèces mammifères,
dont l’éléphant et le léopard) et s’y love de belles réserves naturelles ;
parmi elles, en bonne place : Yala national park.
Prémisses (aux abords de Yala)
Pour se mettre dans l’ambiance rien de mieux qu’une
résidence située sur les franges du parc. Ainsi Priyankara hotel, à
Tissamaharama situé juste au sud de la réserve. Villégiature à savourer le
crépuscule venu, lorsqu’expire le ballet des martins pêcheurs (trois espèces
s’y côtoient familièrement) (1) et qu’au loin se pressent au dortoir des
troupes de tantales indiens ou de pélicans. C’est parfois un pygargue à ventre
blanc qui surgit dans les nues essorées de soleil, houspillé par des corbeaux
au courage à géométrie variable.
Parfois le cri si caractéristique d’un paon perce
le marais, distillant un parfum d’exotisme ténu.
Plus proches, alors que la nuit s’installe, trainées
vertes filant à toute allure les escadres de perruches à colliers défient les
premières ténèbres…
Il ne restera plus alors qu’à s’installer au bar,
un cocktail à la main, à regarder les insectes s’escrimer jusqu’au trépas avec
les billes de lumières éparpillées dans les couloirs des nonchalances
tropicales.
Into the
wild
Les jeeps emplies de leurs contingents
d’excursionnistes du dimanche, lèvent la poussière de l’unique piste menant à
l’entrée de la réserve de Yala proprement dite. A fur et à mesure de l’approche
des portes, le convoi se gonfle de nouveaux groupes, jusqu’à former une colonne
presque ininterrompue de véhicules.
C’est ici que l’on prend conscience de l’impact du tourisme (plus de
150.000 visiteurs en 2002, avant une retombée pour cause de guerres civiles).
Nous nous croyions seuls au monde
et nous voici légion…
Une fois acquitté le droit
d’entrée, sous un ciel rouge sang incendiant les nuages le cortège reprends. La
piste brun rougeâtre
cernée par un désert de broussailles s’enfonce dans le parc, les
sentiers bifurquent bientôt, les groupes éclatent, se retrouvent, s’agglomèrent,
avant de se perdre à nouveau. Mais pour l’heure point d’horizon, juste les
traines de quelques paons surpris perché sur des dortoirs improvisés. La nature
qui se réveille.
L’expérience s’avère déceptive de
prime abord ; cette impression de foule, ce manque de perspective y contribuent.
Entre le réel et le fantasme une sorte de gouffre – ce pourquoi il proprement
bon de ne s’attendre à rien !
Survient le premier trou d’eau. Premières
rencontres. Des spatules blanches en nombre, accompagnées de tantales indiens.
Au loin une poignée de buffles, indifférents. Et soudain, dans l’eau,
l’ondulation d’un crocodile, puis un autre encore, sans compter celui assoupi
sur la berge, d’aspect énorme ; un sourire figé, faussement enjôleur. Une
fois l’œil exercé et les premières fébrilités passées, on se rend compte de
l’importance de la population de sauriens. Un nombre qui ne parait pas émouvoir
les oiseaux. Parmi eux des grandes aigrettes, des pélicans frisés, des hérons
cendrés ou des échasses. Ici, un tantale rechigne même à laisser le passage au
roi du marigot.
Pour situer Yala d’une manière un
peu plus objective :
“Yala combines a strict nature reserve with a national park. Divided
into 5 blocks, the park has a protected area of nearly 130,000 hectares of land consisting of light forests, scrubs, grasslands,
tanks and lagoons. Two blocks are currently opened to the public.
Situated in Sri
Lanka’s south-east hugging the panoramic Indian Ocean, Yala was designated a
wildlife sanctuary in 1900 and was designated a national park in 1938.
Ironically, the park was initially used as a hunting ground for the elite under
British rule. Yala is home to 44 varieties of mammal and 215 bird species.”
Yala abrite donc 215 espèces
d’oiseaux. Ici une tourterelle tigrine, là une nuée verte et
orange de colombars à double colliers, dont le ballet à de loin l’allure d’une
troupe de petits perroquets. C’est aussi des paons en nombre, des coqs
sauvages, ce qui ajoute à l’étrange à l’œil occidental. Il faudrait bien plus
qu’une journée, bien mieux qu’une ruée en meute, où l’intérêt se porte plutôt
sur les mammifères emblématiques du parc
- ce qu’ont bien compris les guides. Mais, voué à l’éternelle
insatisfaction, l’on s’accommode de ce
que l’on a.
Parmi les habitués du parc, le
guêpier d’orient ou l’aigle huppé. Avec un peu de chance on croisera aussi,
dans les secteurs côtiers le singulier Œdicnème
des récifs, limicole au profil caractéristique.
Le secteur boisé se compose quant à lui essentiellement du bloc I du
parc et de milieux ouverts de pâturages
et de prairies.
Mais le sentier s’incline désormais vers la mer. C’est que le
petit déjeuner des aventuriers d’un jour a traditionnellement lieu non loin de Patanangala, un affleurement rocheux magnifique
situé sur la plage de Yala. C’est là que se regroupent les véhicules, à l’ombre.
Il est alors bon de s’éloigner vers le rocher, sans oublier de visiter les trous d'eau,
lagons et mangroves…
|
Paon (photo par Axel) |
A Yala chacun en son for intérieur espère
croiser un léopard. C’est en effet dans cette réserve que l’on trouve l’une des
plus grandes densités de ces félins au monde. Alors on guette. Ici les singes
donnant l’alerte, là un groupe de daims prenant subitement la fuite. Mais la
rencontre avec le seigneur des lieux demeure hasardeuse. D’ailleurs les
statistiques locales, de 1 léopard au km2, reflètent plutôt un biais pour attirer
les touristes. La réalité se situerait aux alentours de 0,18 individus au km2,
ce qui reste exceptionnel.
Dans ce sanctuaire animalier on rencontrera
par contre à coup sûr des éléphants en nombres. Des troupeaux (la population y est
estimée à environ 400 individus) comme des individus isolés – parfois certains s’aventurent
même sur le sentier à l’assaut des véhicules pour soutirer à des touristes
imbéciles de la nourriture…
Mais le soleil une fois dépassé le zénith
que sonne déjà le glas de l’escapade. Et de se diriger vers la sortie. On
ressort de l’expérience avec un sentiment de trop peu. Une frustration mêlée néanmoins
d’émerveillement ; se disant : une autre fois peut-être. Autrement !
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(1) Martin-chasseur
de Smyrne, Martin-pêcheur pie et Martin-pêcheur d’Europe.
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