8 avr. 2015

Interlude oriental – De Gérard de Nerval à Nicolas Bouvier




Non sans naïveté romantique, à la suite de ces mélopées sensuelles il me plait d’évoquer ici quelques pages du Voyage en orient de Gérard de Nerval.

Un passage où il est évidemment question d’oiseaux :


« Le préjugé qui ne permet aux Orientaux que la chasse des animaux nuisibles les a conduits, depuis des siècles, à se servir d’oiseaux de proie sur lesquels retombe la faute du sang répandu. La nature a toute la responsabilité de l’acte cruel commis par l’oiseau de proie. C’est ce qui explique comment cette sorte de chasse a toujours été particulière à l’Orient. A la suite des croisades, la mode s’en répandit chez nous. »

S’en suit le récit de la chasse :

« Quand tout fut rendu au silence, on distingua, parmi les oiseaux qui poursuivaient les insectes du marécage, deux hérons occupés probablement de pêche et dont le vol traçait de temps en temps des cercles au-dessus des herbes. Le moment était venu : on tira quelques coups de fusil pour faire monter les hérons, puis on décoiffa les faucons, et chacun des cavaliers qui les tenaient les lança en les encourageant par des cris. Ces oiseaux commencent par voler au hasard, cherchant une proie quelconque ; ils eurent bientôt aperçu les hérons, qui, attaqués isolément, se défendirent à coups de bec. Un instant, on craignit que l’un des faucons ne fût percé par le bec de celui qu’il attaquait seul ; mais, averti probablement du danger de la lutte, il alla se réunir à ses deux compagnons de perchoir. L’un des hérons, débarrassé de son ennemi, disparut dans l’épaisseur des arbres, tandis que l’autre s’élevait en droite ligne vers le ciel. Alors commença l’intérêt réel de la chasse. En vain le héron poursuivi s’était-il perdu dans l’espace, où nos yeux ne pouvaient plus le voir, les faucons le voyaient pour nous, et, ne pouvant le suivre si haut, attendaient qu’il redescendît. C’était un spectacle plein d’émotions que de voir planer ces trois combattants à peine visibles eux-mêmes, et dont la blancheur se fondait dans l’azur du ciel. Au bout de dix minutes, le héron, fatigué ou peut-être ne pouvant plus respirer l’air trop raréfié de la zone qu’il parcourait, reparut à peu de distance des faucons, qui fondirent sur lui. Ce fut une lutte d’un instant, qui, se rapprochant de la terre, nous permit d’entendre les cris et de voir un mélange furieux d’ailes, de cols et de pattes enlacés. Tout à coup les quatre oiseaux tombèrent comme une masse dans l’herbe, et les piqueurs furent obligés de les chercher quelques moments. Enfin ils ramassèrent le héron, qui vivait encore, et dont ils coupèrent la gorge, afin qu’il ne souffrît pas plus longtemps. »

Ce genre de loisir aristocratique perdure de nos jours pour le pire. Ainsi fut rapporté au printemps dernier le cas d’un prince saoudien amoureux de l’art ancestral de la fauconnerie ayant tué près de 2.000 oiseaux menacés d’extinction en une seule partie de chasse au Pakistan » (l’outarde houbara).
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Mais je préfère aujourd’hui les mots tiré de L’usage du monde de Nicolas Bouvier, celui qui raconte que « Petit j’ai longtemps cru qu’oisif était le singulier d’oiseau. ».

On peut en savourer de belles tranches ces jours-ci dans le feuilleton de FranceCulture.

Deux passages ou il est questions d’aigles – on notera l’écart avec le texte de Gérard de Nerval.

« Une lourde cloche suspendue à une potence indique le sommet du col. On la sonne encore quand la neige est tombée, pour les voyageurs qui ont perdu la route. Comme je m’en approchais, un aigle qui était perché dessus s’envola en frappant le bronze de ses ailes et une vibration éperdue, interminable, descendit en s’élargissant sur ce troupeau de montagnes dont la plupart n’ont même pas de nom ».

« La montagne, elle, ne se dépensait pas en gestes inutiles : montait, se reposait, montait encore, avec des assises puissantes, des flancs larges, des parois biseautées comme un joyau. Sur les premières crêtes, les tours des maisons-fortes pathanes luisaient comme frottées d’huile ; de hauts versants couleur chamois s’élevaient derrière elles et se brisaient en cirques d’ombre où les aigles à la dérive disparaissaient en silence. »


4 commentaires:

  1. « Petit j’ai longtemps cru qu’oisif était le singulier d’oiseau »… et passereau le pluriel de paresseux...

    Griffonné à la hâte sous un ciel qui se brouille après trois jours de bleu total.

    Amitiés,

    Frédéric

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    1. Fort belle trouvaille, cher Frédéric.
      Ici parait-il c’est le dernier jour d’un ciel bleu limpide. Mais j’apprends à me contenter de d’immédiateté – il sera toujours temps de se lamenter plus tard.

      En toute amitié
      Axel

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  2. Un jour de ciel gris, l'autre jour et je ne sais plus lequel, c'est une pie que j'ai vue ainsi se percher sur la cime d'un vieux poirier... Et parfois ce sont des buses...

    Merci pour l'interlude musical, oriental, on aimerait devenir oisif au soleil.

    à bientôt

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    1. Coucou Christine,

      Les buses sont rares de par chez moi – je parle des oiseaux ;)
      Au-dessus de tes arbres doivent planer aussi les milans, les busards et les aigles. Le milan noir est assez facile à repérer avec sa queue triangulaire. Le milan royal l’a quant à la lui à la manière des hirondelles des cheminées…

      Fort belle journée à toi.

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