28 sept. 2015

Balade au pays de l’Art nouveau

« L’art nouveau a la masse contre lui et il l’aura toujours. Il est impopulaire par essence ; plus encore, il est antipopulaire. Quelle que soit l’œuvre qu’il engendre, elle produit automatiquement dans le public un curieux effet sociologique. Elle le divise en deux parties : l’une, minime, formée par un nombre réduit de personnes qui lui sont favorables ; l’autre, majoritaire, innombrable, qui lui est hostile. »



José Ortega y Gasset (1883-1955), La déshumanisation de l'art (1925)


José Ortega Y Gasset
Ces lignes de l’essayiste espagnol trouvent probablement leur source dans les critiques violentes  liées à l’incompréhension d’alors d’une bonne part du grand public. C’est que, pour Ortéga Y Gasset, « le public se divise en deux classes d’hommes : ceux qui le comprennent et ceux qui ne le comprennent pas ». Et de préciser un peu plus loin sa pensée : « …lorsque le déplaisir causé par l’œuvre naît du fait qu’on ne l’a pas comprise, l’homme est comme humilié, il a une obscure conscience de son infériorité qu’il a besoin de compenser au moyen de l’affirmation indignée de soi-même face à l’œuvre (…) Habituée à avoir la préséance en tout, la masse se sent offensée dans ses « droits de l’homme » par l’art nouveau qui est un art de privilège, de noblesse de nerfs, d’aristocratie instinctive ».

A déambuler aujourd’hui parmi les décombres d’un mouvement artistique mort il y a peine plus d’un siècle, nous nous trouverons loin de telles considérations. Il n’en reste pas moins que le débat de fond soulevé par Ortega Y Gasset demeure à bien des égards valide. Et l’on peut s’interroger sur l’universalité d’un tel discours lorsque nous sommes confrontés de nos jours, par exemple, aux productions de l’art contemporain, un art qui est, selon Jean Clair, « à l'oligarchie internationale et sans goût d'aujourd'hui, de New York à Moscou et de Venise à Pékin, ce qu'avait été l'art pompier aux yeux des amateurs fortunés de la fin du XIXème siècle ». Mais ne nous y trompons pas : le texte d’ Y Gasset n’est pas si incompatible que cela avec une certaine détestation des fumisteries artistiques engendrées par la post-modernité, ce dernier ayant pris soin de préciser que « lorsque quelqu’un n’aime pas une œuvre d’art, mais l’a comprise, il se sent supérieur à elle et n’a pas lieu de s’irriter ». Ajoutons, pour faire bonne figure, que les marchands du temple contemporains semblent bien avoir revêtus les habits de ces bourgeois d’antan, décrits par l’auteur de La déshumanisation de l'art comme ces « êtres incapables de sacrements artistiques, aveugles et sourds à toute beauté pure ». On le voit donc, les choses ne sont pas si limpides, ni si monolithiques qu’on voudrait le croire, et il convient de pratiquer ici un art de la nuance et de la contextualisation ; de la modestie aussi.

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Mais assez de digressions dans un domaine qui n’est pas de ma compétence. Et d’en revenir plutôt à l’incursion ce dimanche, en la meilleure compagnie qui puisse être, en ces terres d’arts architecturaux centenaires ; à la vérité une plongée dans une commune limitrophe de Lille, perchée en miroir dans un ciel emporté de nuages. Bref, une odyssée tapissée par le soleil d’un automne amoureux. Les lieux m’étaient pourtant familiers à leur manière, ayant vécu des années à quelques kilomètres de là. Ce qui ne pas empêché d’y trébucher sur l’inconnu avec l’avidité d’un enfant, surpris au fond de découvrir tant de beautés et de singularités, justes dissimulées par une cécité de routine. Apprentissage du regard donc et curiosité de l’écoute...  Tant il est bon de placer ses pas dans le sillage de ceux qui, pris de passion pour leur matière, savent en restituer la pleine saveur…

Aussi, au fil de la balade ai-je appris à me familiariser avec un art ayant embrasé l’Europe à la toute fin du XIXe siècle, avant de se consumer de son propre feu une poignée d’années plus tard ; de happer au vol des noms illustres qui sonnaient chez moi jusqu’alors dans le vide… Ainsi de l’architecte Victor Horta dont je balbutie le patronyme juste avec la connaissance que son hôtel particulier, aujourd’hui mué en musée, se situe à Bruxelles – prochaine étape, sans doute de ce périple initiatique…
Enfin, et surtout, ces déambulations dilettantes m’auront permis d’apprendre à distinguer grossièrement les lignes de l’art déco des courbes de l’art nouveau. Mais on aura compris en filigrane : même si parfois un certain sens de la symétrie rectiligne anime mes humeurs, mon cœur balance vers les ornements  et fioritures puisant à la source vive du sensible ; et j’aime à savoir que les artistes emportés dans cette esthétique de la courbe et du délié, voulurent rompre avec un certain classicisme de la forme – comme s’il leur avait fallu exorciser la grisaille de l’industrialisation du monde. Et de songer, à la vue de certains motifs, vitraux et autres artéfacts décoratifs, au symbolisme en peinture, et en particulier à l’œuvre de Klimt, celui qui peignit en 1905 le portrait de la sœur du philosophie à la cabane norvégienne, je veux dire Wittgenstein – Gustave moreau, je crois aussi, y aurait sa part. 
Reste aujourd’hui, se promenant dans rues, un monde en clair-obscur et qui, par son omniprésence discrète, ranime pour notre plus grand bonheur les vestiges encore vivants que des passionnés, secoués d’une étrange nostalgie, esquissent au détour d’un quartier encombré de torpeur…

Passant, je ne pouvais manquer de relever les noms donnés à certaines de ces habitations ; ainsi les villas des fauvettes ou des bergeronnettes. 

La comète de l’art nouveau cédera la place vers 1910 à l’art déco. Mais ceci est une autre histoire, et je ne commettrai pas ici d’allongeailles sur un terrain pour l’heure bien trop incertain pour moi. Mais je conserve la belle idée de Montaigne : «  Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs ; mais elles en font aprez le miel, qui est tout leur ».

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QUELQUES LIENS
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Photographies en partage

A noter qu’elles suivent l’ordre de ces pérégrinations et relèvent autant des deux arts évoqués ici. 

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