« L’art nouveau a la masse contre lui et il l’aura
toujours. Il est impopulaire par essence ; plus encore, il est antipopulaire.
Quelle que soit l’œuvre qu’il engendre, elle produit automatiquement dans le
public un curieux effet sociologique. Elle le divise en deux parties : l’une,
minime, formée par un nombre réduit de personnes qui lui sont favorables ;
l’autre, majoritaire, innombrable, qui lui est hostile. »
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José Ortega Y Gasset |
Ces lignes de l’essayiste espagnol trouvent
probablement leur source dans les critiques violentes liées à l’incompréhension d’alors d’une bonne
part du grand public. C’est que, pour Ortéga Y Gasset, « le public se divise en deux classes
d’hommes : ceux qui le comprennent et ceux qui ne le comprennent pas ».
Et de préciser un peu plus loin sa pensée : « …lorsque le déplaisir causé par l’œuvre naît du fait qu’on ne l’a pas
comprise, l’homme est comme humilié, il a une obscure conscience de son
infériorité qu’il a besoin de compenser au moyen de l’affirmation indignée de
soi-même face à l’œuvre (…) Habituée à avoir la préséance en tout, la masse se
sent offensée dans ses « droits de l’homme » par l’art nouveau qui
est un art de privilège, de noblesse de nerfs, d’aristocratie instinctive ».
A déambuler aujourd’hui parmi les
décombres d’un mouvement artistique mort il y a peine plus d’un siècle, nous
nous trouverons loin de telles considérations. Il n’en reste pas moins que le
débat de fond soulevé par Ortega Y Gasset demeure à bien des égards valide. Et
l’on peut s’interroger sur l’universalité d’un tel discours lorsque nous sommes
confrontés de nos jours, par exemple, aux productions de l’art contemporain, un art qui est, selon Jean Clair,
« à l'oligarchie internationale et
sans goût d'aujourd'hui, de New York à Moscou et de Venise à Pékin, ce qu'avait
été l'art pompier aux
yeux des amateurs fortunés de la fin du XIXème siècle ». Mais ne nous
y trompons pas : le texte d’ Y Gasset n’est pas si incompatible que cela
avec une certaine détestation des fumisteries artistiques engendrées par la
post-modernité, ce dernier ayant pris soin de préciser que « lorsque quelqu’un n’aime pas une œuvre
d’art, mais l’a comprise, il se sent supérieur à elle et n’a pas lieu de
s’irriter ». Ajoutons, pour faire bonne figure, que les marchands du
temple contemporains semblent bien avoir revêtus les habits de ces bourgeois
d’antan, décrits par l’auteur de La déshumanisation de l'art comme ces « êtres incapables de sacrements artistiques, aveugles et sourds à toute
beauté pure ». On le voit donc, les choses ne sont pas si limpides, ni
si monolithiques qu’on voudrait le croire, et il convient de pratiquer ici un
art de la nuance et de la contextualisation ; de la modestie aussi.
Mais assez de digressions dans un
domaine qui n’est pas de ma compétence. Et d’en revenir plutôt à l’incursion ce
dimanche, en la meilleure compagnie qui puisse être, en ces terres d’arts
architecturaux centenaires ; à la vérité une plongée dans une commune
limitrophe de Lille, perchée en miroir dans un ciel emporté de nuages. Bref, une
odyssée tapissée par le soleil d’un automne amoureux. Les lieux m’étaient
pourtant familiers à leur manière, ayant vécu des années à quelques kilomètres
de là. Ce qui ne pas empêché d’y trébucher sur l’inconnu avec l’avidité d’un
enfant, surpris au fond de découvrir tant de beautés et de singularités, justes
dissimulées par une cécité de routine. Apprentissage du regard donc et curiosité
de l’écoute... Tant il est bon de placer
ses pas dans le sillage de ceux qui, pris de passion pour leur matière, savent
en restituer la pleine saveur…
Aussi, au fil de la balade ai-je appris
à me familiariser avec un art ayant embrasé l’Europe à la toute fin du XIXe
siècle, avant de se consumer de son propre feu une poignée d’années plus tard ;
de happer au vol des noms illustres qui sonnaient chez moi jusqu’alors dans le
vide… Ainsi de l’architecte Victor Horta dont je balbutie le patronyme juste avec
la connaissance que son hôtel particulier, aujourd’hui mué en musée, se situe à
Bruxelles – prochaine étape, sans doute de ce périple initiatique…
Enfin, et surtout, ces déambulations
dilettantes m’auront permis d’apprendre à distinguer grossièrement les lignes de
l’art déco des courbes de l’art nouveau. Mais on aura compris en filigrane :
même si parfois un certain sens de la symétrie rectiligne anime mes humeurs, mon
cœur balance vers les ornements et
fioritures puisant à la source vive du sensible ; et j’aime à savoir que
les artistes emportés dans cette esthétique de la courbe et du délié, voulurent
rompre avec un certain classicisme de la forme – comme s’il leur avait fallu
exorciser la grisaille de l’industrialisation du monde. Et de songer, à la vue
de certains motifs, vitraux et autres artéfacts décoratifs, au symbolisme en
peinture, et en particulier à l’œuvre de Klimt, celui qui peignit en 1905 le
portrait de la sœur du philosophie à la cabane norvégienne, je veux dire
Wittgenstein – Gustave moreau, je crois aussi, y aurait sa part.
Reste aujourd’hui, se promenant dans
rues, un monde en clair-obscur et qui, par son omniprésence discrète, ranime
pour notre plus grand bonheur les vestiges encore vivants que des passionnés,
secoués d’une étrange nostalgie, esquissent au détour d’un quartier encombré de
torpeur…
Passant, je ne pouvais manquer de
relever les noms donnés à certaines de ces habitations ; ainsi les villas
des fauvettes ou des bergeronnettes.
La comète de l’art nouveau cédera la
place vers 1910 à l’art déco. Mais ceci est une autre histoire, et je ne commettrai
pas ici d’allongeailles sur un terrain pour l’heure bien trop incertain pour
moi. Mais je conserve la belle idée de Montaigne : « Les abeilles pillotent
deçà delà les fleurs ; mais elles en font aprez le miel, qui est tout leur ».
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QUELQUES LIENS
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Photographies en partage…
A noter qu’elles suivent l’ordre de
ces pérégrinations et relèvent autant des deux arts évoqués ici.
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