Ecoutant en podcast ce matin en
voiture Les chemins de la philosophie.
Une émission sur Cornélius Castoriadis, tiré du cycle de la semaine dernière
« la politique, est-elle un
métier ? ».
En écho de l’actualité politique…
« Une société démocratique, quel que soit sa taille, est toujours
formée d’une pluralité d’individus qui participent tous au pouvoir, dans la
mesure où chacun a autant qu’un autre la possibilité effective d’influer sur ce
qui se passe, ce qui n’est absolument pas le cas en pratique dans nos sociétés
démocratiques, qui sont plutôt ce que j’appellerai des oligarchies électives
libérales, avec des strates sociales bien barricadées dans leurs positions de
pouvoir. Certes ces strates ne sont pas tout à fait étanches. C’est le fameux
argument des libéraux : Monsieur
Machin a commencé par être vendeur de journaux, puis grâce à ses
capacités, il a fini président de la
General Motors. Ce qui prouve simplement
que els couches dominantes savent aussi se renouveler en recrutant dans les strates inférieures les individus
les plus actifs dans le jeu social tel qu’elles l’ont organisé. Et il en va de
même pour la politique, dominée par la bureaucratie des partis. Peu importe qu’ils
soient au gouvernement ou dans l’opposition, qu’ils soient socialistes ou
conservateurs, ils sont en un sens complices
pour ce qui est des enjeux inamovibles de pouvoir. Ils ne changent pas
en fonction d’une quelconque volonté
populaire, mais selon les règles du jeu bureaucratique de l’appareil
partisan, qui vont promouvoir de nouveaux dirigeants. Mais il ne faudrait pas
croire pour autant que les oligarchies dominantes, capitalistes ou
politiciennes, violent partout et
toujours un peuple innocent, à son corps défendant. Les citoyens se laissent
mener par le bout du nez, se font berner par des politiciens habiles ou
corrompus, et manipuler par des médias avides de scoop. Mais n’ont-ils aucun
moyen de les contrôler ? Pourquoi sont-ils devenus tellement
amnésiques ? Pourquoi oublient-ils si facilement que le même R, le même M,
il y a un an, il y a quatre ans, tenait de tout autres discours ? Ont-ils
été zombifiés par des esprits maléfiques ? »
Castoriadis, Les enjeux
intellectuels de la démocratie, une société à la dérive (1986)
« La vraie démocratie c’est, il y a une phrase merveilleuse d’Aristote,
qui est citoyen ? Est citoyen quelqu’un qui est capable de gouverner et
d’être gouverné. Est-ce qu’il y a 40 millions de citoyens en France en ce
moment ? Mais pourquoi ils ne seraient pas capables de gouverner ?
Mais parce que toute la vie politique vise précisément à leur désapprendre à
gouverner. Elle vise à les convaincre qu’il y a des experts à qui il faut
confier les affaires. Et donc il y a une
contre-éducation politique. Au lieu que les gens s’habituent à exercer diverses sortes d’initiatives, de
responsabilités, de pouvoir, etc. Ils
s’habituent à suivre ou à voter pour options que d’autres leur présentent.
Alors évidemment, comme les gens ne sont loin d’être idiots, le résultat c’est
quoi ? C’est qu’ils y croient de moins en moins. Il qu’il y a ce cynisme,
l’apathie politique… »
Castoriadis, Entretien en 1998
(Là-bas si j’y suis)
En invité de l’émission Nicolas
Poirier, excellent passeur. Extrait :
« Pour Castoriadis il n’y a pas de philosophie préalable à partir
de laquelle on devrait tirer des orientations programmatiques qu’on
appliquerait à une réalité sociale et historique qui serait vierge de tout
présupposé. La politique c’est une activité, c’est une praxis, pour reprendre
un peu un terme d’origine aristotélicienne sinon marxienne, qui a sa
spécificité, un mode d’agir qui lui est propre. Et qui en aucun cas peut se
déduire d’une ontologie ou d’une métaphysique préalable. C’est ce qu’il
critique notamment chez Platon, où on veut fonder finalement la citoyenneté sur
l’expertise et sur la détention d’une épistémè. (…) Il faut lire Platon comme
anti-modèle en quelque sorte. Il faut se référer plutôt aux historiens, aux
premiers penseurs présocratiques, mais pas du tout à la métaphysique de Platon.
Pour Castoriadis il y a une expertise, un savoir dans des domaines très
précis. Un professeur, un médecin, un pilote d’avion, un artisan dans un
domaine spécialisé, etc. Mais dans le domaine des affaires humaines il n’y a
pas d’expertise, parce qu’Aristote dit qu’en politique on statue toujours sur ce qui est de l’ordre de la contingence
et non pas de l’ordre de ce qui est la nécessité. La politique pour Castoriadis
c’est de l’ordre de l’opinion, mais une opinion qui peut être éclairée. Ce
n’est pas le préjugé, la passion. Ce n’est pas l’expression des pulsions. (…) Cela
ne peut pas être une expertise technique, une compétence qui serait acquise
dans des instituts politiques, dans des écoles nationales d’administration, ou
même en faisant une thèse de doctorat sur
la philosophie politique. (…)
Quand on parle des élections ont dit que c’est démocratique. Or
Castoriadis réaffirme : (…) dans le domaine démocratique on vote pour
instituer des lois et non pas pour donner mandat à des chefs. Comme le dit
Rousseau : un peuple libre obéit a des lois, pas à des chefs (…)
Selon Castoriadis, la plupart des philosophes classiques modernes
auraient considéré les institutions contemporaines comme des oligarchies. (…).
Pour Montesquieu, par exemple, il y a trois formes de régime : la
monarchie, le despotisme et la république. (…). Et dans un régime républicain (il
fait distinction) : lorsque le corps social exerce directement le pouvoir
on a une démocratie ; lorsqu’au contraire il délègue à une minorité de
personnes sélectionnée on a un aristocratie. Pour lui notre régime serait une
aristocratie élective, d’où l’idée de Castoriadis que nous vivons dans des
oligarchies libérales ».
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