Vue de Lindos, depuis la route nord (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Des sept
sages de la Grèce antique (οἱ
ἑπτά σοφοί) ;
L’un
déambulait dans les rues pentues de Priène, sous l’ombre du mont Mycale. Il
pensait que « La plupart des hommes sont mauvais». Comment lui donner tout
à fait tort, alors qu’il vivait dans une ville qui bientôt verrait le passage
d’Alexandre qui, à défaut de faire de l’ombre au Cynique, déposera, pour prix
de ses forfaits, une offrande au temple d’Athena, dont il ne reste aujourd’hui debout que 5
colonnes ?
Mais Bias
de Priène s’inclinera devant la postérité de son voisin de Milet, Thalès,
philosophe et mathématicien, ayant eu le bonheur de trépasser alors qu’il assistait à une joute athlétique
– mort par déshydratation, une
manière d’illustrer la vertu thérapeutique du sport….
Des quatre autres justes grecs de la tradition je
ne dirai rien ici, pour ne m’intéresser qu’au dernier, Cléobule de Lindos, dont
la devise était « La modération est le plus grand bien. »
(Μέτρον ἄριστον), ce qui vaut bien autre chose… Il n’était d’ailleurs pas
l’homme d’une unique formule, et on lui doit aussi l’idée qu’il « faut marier
les filles quand elles sont encore des jeunes filles pour l’âge, et déjà des
femmes pour la raison ».
Né vers 630 av. JC,
il deviendra par héritage tyran de la cité. A l’origine de la reconstruction du
temple d’Athéna (détruit depuis le VIIIe s), son règne coïncidera avec l’apogée
de Lindos et, à son trépas vers 560, il recevra cette épitaphe : « Le sage Cléobule est mort, et sur lui
pleure. Lindos, sa patrie que la mer de toutes parts entoure. »[1]
Vue du village de Lindos, grimpant vers la forteresse (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
La légende veut que Lindos fût fondé par le petit-fils du dieu Hélios, figure tutélaire de l’île de Rhodes.
Il faut dire qu’avec
son acropole posée sur un énorme rocher planté au-dessus de la mer Egée et dont
le sommet, à la forme d’un plateau triangulaire, porte à sa proue un temple
d’Athéna, les lieux en imposent.
Dans les faits, les
premiers vestiges archéologiques sur le site remontent à l’époque néolithique
et des tombes mycéniennes (14ième siècle av. JC), démontrent la
présence des Achéens dans la région.[2]
Une histoire vieille de plus de trois mille ans. Nous y reviendrons.
Sur les pentes de Lindos (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Corneille mantelée (photo par Axel [cliquer pour grand format] |
Au premier plan, un
groupe d’arbres isolé dans la rocaille se serre dans le silence… Une corneille
mantelée rigole. Et les derniers kilomètres…
Venelles de Lindos (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
A mi-parcours, si on
jette un coup d’œil en contrebas sur les ondulations du paysage, on pourra aviser,
lovée à flanc de paroi entre deux plateaux de caillasse, une étrange cavité
située au-delà du croissant du village. Flanquée de fragments de colonnades, ce
gouffre d’ombre constitue les restes du mausolée de la famille d’un certain
Archocratès, prêtre de la déesse. L’ensemble est daté de deux siècles avant JC.
Tout passe…
Entrée de la forteresse médiévale (Photo par Axel) [Cliquer pour grand format] |
Trirème gravée (Photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Un destin illustre
était promis à cette île bénie des dieux. Aussi n’est-il pas surprenant de voir
Homère, dans son catalogue des vaisseaux (passage du chant II de l’Iliade), indiquer que les rhodiens envoyèrent, sous le
commandement de Tlépolème, neufs nefs à la guerre de Troie : « Tlépolème,
le noble et grand Héraclide,avait amené de Rhodes neuf vaisseaux de Rhodiens à
la fière attitude ; ils habitaient Rhodes, répartis en trois
groupes : Lindos, Iélysos et la blanche Camire ».
Colonne gravée (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Eschine, l’un des grands orateurs de l’antiquité grecque et adversaire de Démosthène, y fondera en 324 av JC une école de rhétorique. Viendra plus tard Charès, l’architecte du célèbre colosse, érigé en 292 av JC et qui sera renversé 65 ans plus tard par un tremblement de terre. Puis Apollonios, poète épique du IIIe av JC, fauteur des Argonautiques, une épopée en quatre chants, restée dans les mémoires…
Les secousses
telluriques fréquentes, associés à la conquête de Rhodes par le romain Cassius
en 42 avant l’ère chrétienne, sonneront le déclin de l’île. De nombreux
conquérants s’y succéderont ensuite. Parmi eux, les Chevaliers de l’Ordre de
Saint-Jean qui, de 1309 à 1522, gouverneront Rhodes, avant de céder la place
pour quatre siècles aux Ottomans. Rhodes ne sera finalement rattachée à la
Grèce qu’à la fin de la seconde guerre mondiale, après être passée en 1912 sous
férule italienne.
Heurs et malheurs
d’une île au cours des âges…
Mais il en temps de
payer son écot à la modernité, et pénétrer dans l’enceinte médiévale. Car c’est
ce qui fait aussi la richesse de Lindos : la superposition visible des
époques.
Chaos de pierre (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Aux pieds de la
muraille, un imposant escalier mène au palais du chevalier gouverneur. Avant
cela il nous faut admirer, sculptée à même la pierre, la proue d’une trirème
daté de 170 av. JC, destinée à servir de support à une statue en bronze à la
gloire d’une figure honorée par les habitants de Lindos.
Intérieur de la forteresse de Lindos (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Ensuite, sans oublier de saluer au passage les anciennes inscriptions et les socles de figures effondrées, déambulant sans suivre une quelconque logique de visite, fuyant plutôt le contact avec les pèlerins grégarisés sous le franc soleil égéen, encore peu nombreux à cette heure matinale, on passera le long des créneaux de la forteresse médiévale, dans un chaos de pierre pour rejoindre les Propylées et l’allée romaine conduisant au temple d’Athéna.
Faucon crécerelette (Photo par Axel) [Cliquer pour grand format] |
Vue du port de Saint-Paul, depuis le temple d'Athéna (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Temple d'Athéna (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Vue du village depuis la proue du rocher de Lindos (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
A flanc de falaise (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Colonnes de l'allée hellénistique (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Colonnades et escaliers de Lindos (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Pierres gravées (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
En contrebas, vue de l'allée hellénistique (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Chapelle byzantine de Lindos (photo par Axel) [Cliquer pour grand format] |
Au pied du mur de la chapelle de Lindos (photo par Axel) [Cliquer pour grand format] |
Vue de la chapelle (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Enfin, avec le soleil du zénith perché à la verticale au-dessus de nos têtes, nos pas iront se perdre au-delà de l’escalier post-hellénistique, dans le désordre des allées encombrées de vestiges et d’arbustes. Et laisser les accidents du paysage nous conter l’histoire d’un monde qui n’est plus ; entre un passé bel et bien révolu, ravivé par nos songeries, et ce présent immédiat, illustré par le ronflement d’un bateau venus déposer sa cargaison humaine aux pieds du rocher…
Arrivée du bateau à Lindos (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Forteresse de Lindos (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Vue de Lindos (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Vue de Lindos (photo par Axel) [Cliquer pour grand format] |
Proue du rocher de Lindos (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
Théâtre antique de Lindos (photo par Axel) [cliquer pour grand format] |
S’adonner face à la
mer au ravissement de l’instant.
Pourquoi non ?
Méditation... (photo par Kristof) [cliquer pour grand format] |
[1] Cité par Diogène Laërce.
[2] Nombre d’informations
historiques sur Lindos reprises dans ce billet proviennent d’un petit guide de
voyage intitulé Lindos, 30 siècles de
beauté, (editions Marmatakis).
[3] Sommes venus en mai, hors
période de vacances scolaire. Je n’ose imaginer la fréquentation du site en
plein été.
[4]
Paul de Tarse aurait sejourné à Lindos en 57, lors de son périple vers Ephèse.
[5]
Voir le document https://kernos.revues.org/452
« Le décret précise les noms des deux
auteurs de la Chronique, Tharsagoras, fils de Stratos, de Ladarma et
Timachidas, fils d’Hagesitimos, de Lindos, qui est le fils du proposant du
décret » et la note de
bas de page correspondante : « Timachidas
est cité ailleurs, comme grammairien notamment, ce qui a poussé des auteurs
modernes à le considérer comme seul véritable auteur de la
« Chronique ». On peut se demander pourquoi le décret, proposé par le
père de Timachidas, mentionnerait un autre auteur que son fils, s’il n’avait
pas une part reconnue de responsabilité dans le texte. »
Paysages de rêves, de mythes, tes photos sont superbes. Très bel article également, on fait une très agréable balade dans le temps et l'espace, merci Axel ! On médite aussi...
RépondreSupprimerQuel magnifique reportage ! Merci
RépondreSupprimerLavallière