Une émission de la série « MATIÈRES À PENSER »,
avec aux commandes Dominique Rousset. En invité, Pierre Larrouturou, auteur
entre autre de « Pour éviter lechaos climatique et financier » paru chez Odile Jacob l’an dernier.
Un entretien choc et sans langue de bois… J’en
propose ici la transcription de gros extraits. Une émission à écouter et à
faire circuler.
En guise de préambule :
« On est
à un moment critique pour l’histoire de l’humanité. Sur la question du climat
par exemple, mon ami Jean Jouzel a été vice-président du GIEC et a reçu le prix
Nobel de la paix ; ils n’ont pas reçu le prix Nobel de chimie, pourtant ils
parlent de CO2, de méthane, de température. Ils ont reçus le prix Nobel de la
paix car ce qui est en jeu c’est la paix mondiale, si on ne change pas les
choses d’ici 3 ou 4 ans qui viennent. Il y a vraiment une urgence. (…) Cela
fait 30 ans que le GIEC a été créé, cela fait 30 ans que l’on dit que c’est
grave, et si on ne bouge pas radicalement dans les prochaines années cela sera
trop tard ! De notre vivant, dans 20 ans, on verra le chaos ; une
souffrance en Europe terrible, des mouvements migratoires qu’on ne saura pas
accueillir ; c’est donc la paix mondiale qui est en jeu. On va vers la guerre
et le chaos… »
Question : Quelle est la meilleure voix pour
peser sur le débat public ?
Pierre Larrouturou |
Je pense qu’il faut une action en tenaille. Il faut
en même temps aller rencontrer les dirigeants (sommes allés plusieurs fois à
l’Elysée, avons des contacts à Bruxelles) et il faut que les citoyens
s’impliquent. Mon dernier souvenir d’étudiant, c’est mon dernier cours
d’histoire. J’étais à Science Po, et le meilleur spécialiste de l’Allemagne
nous expliquait en avril 1989 que le mur de Berlin était encore là pendant 50
ans… Et puis 6 mois plus tard le mur est tombé, mais ce ne sont pas des grands
chefs politiques qui l’on décidé, ce sont des citoyens, des gens comme vous et
moi, qui en avaient marre… Il y a une phrase magnifique de Vaclav Havel, 3
semaines après la chute du mur de Berlin : « chacun de nous peu
changer le monde, même s’il croit qu’il n’a pas la moindre importance ».
Et c’est des gens sans importance qui ont fait un truc énorme ! je pense
aussi à un texte de Hannah Arendt qui dit aussi qu’à un moment les gens sans
importance n’en peuvent plus, que cela fait trop longtemps qu’il y a la crise,
qu’il y a la précarité et qu’il y’en a qui se goinfrent au sommet, et donc
Hannah Arendt explique comment la barbarie est possible, parce que des gens
normaux, comme vous et moi, renoncent à vivre en conscience. Je pense qu’on est
dans ce moment critique : serons-nous capables, en France, en Europe d’un
sursaut d’imagination, d’intelligence, de fraternité ? Ou est-ce qu’on continue parce qu’on en a
marre, qu’on est déçu ou qu’on vit bien et qu’après tout on peut continuer dans
la routine ? Si les citoyens ne sont pas capables de prendre du temps pour
réfléchir et pour agir, on peut très vite avoir n’importe quand une crise
financière, avoir n’importe quand le chaos climatique, et ça peut très mal
finir.
Question : le politique ne bougera que si le
citoyen se manifeste ?
Je pense. Oui il y a une inertie du pouvoir (…) sur
la question du climat. Souvenez-vous du très beau discours de jacques Chirac à
Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons
ailleurs ». il appelait à une alliance entre l’Europe et les pays du Sud.
Concrètement chaque année on diminue notre aide au développement, et on n’est
pas bien capable d’accueillir les quelques millions de réfugiés qu’il faudrait
qu’on accueille. Je ne juge pas les personnes mais je vois le résultat – et on
ne peut pas non plus critiquer les politiques si chacun se contente de mener sa
vie quotidienne normale. On a aussi les politiques qu’on mérite.
Question : Après ATD quart monde (…) vous avez
proposé la semaine de 4 jours… (Une réduction du temps de travail de 39 à 32
h). Mais vous n’avez pas réussi à convaincre martine Aubry.
Mais nous avons réussi à convaincre avec la loi Robien (1996). C’est 400 entreprises qui ont mis en place ces idées. Ce n’est
pas négligeable de dire, que pour casser des tabous, pour vérifier que ça
marche, on a d’abord obtenu une loi qui permettait l’expérimentation. Quand
vous allez chez Fleury-Michon en Vendée, chez Mamie Nova en Bretagne, ou dans
mon coin du Béarn avec des PME de 3 ou 4 salariés, ils sont passés à 4 jours et
l’entreprise recrute – chez Mamie Nova il y a eu 120 embauchés en CDI – Tout le
monde profite des 4 jours : les ouvriers, les contremaitres, les
commerciaux, le directeur de l’usine. Ça marche très bien et c’est rentable
pour l’entreprise parce qu’elle arrête de payer les cotisations chômage. Quand
maie Nova embauche 120 personnes, cela fait 120 personnes qui vont cotiser à la
Sécu, aux caisses de retraites… On a fait la preuve qu’une vraie réduction de
travail avec un financement intelligent c’est possible et c’est même un facteur
de compétitivité…
Question : Avec Michel Rocard et Stéphane
Hessel vous avez milité pour une Europe sociale…
En 2003 on avait rédigé un traité de convergence
sociale au niveau européen, en disant : pour faire la monnaie unique nous
avons été capables (de le faire)… On a dit : il faut la même ambition en
matière sociale, donc nous avions écrit un traité avec 5 critères (chômage,
pauvreté, logement, éducation et aide aux pays en développement) ; et puis
il y avait un article du traité qui était un pacte pour l’environnement… On
avait en même temps José Bové et Jacques Delors. Deux ans plus tard nous avions
400 parlementaires, nous avions été reçus à Bruxelles par le président de la
Commission qui avait dit qu’il nous soutenait et qui avait demandé à Giscard
d’intégrer le traité social dans les traités européen. Hélas Giscard n’avait
pas voulu, parce qu’il voulait un consensus avec les anglais qui ne voulaient
ni d’une Europe politique ni d’une Europe sociale.
Là où on voit que ça bouge, c’est en 2007 avec
Angela Merkel réunissant tous les chefs d’Etats à Berlin pour l’anniversaire du
traité de Rome. Et Angéla Merkel disait : « si on avait donné la
parole au peuple allemand par référendum, comme on a fait au peuple français,
le peuple allemand sans doute aurait dit non. Et Angéla Merkel disait qu’il
faut un protocole social européen, et c’est Nicolas Sarkozy qui n’a pas voulu.
Je dis ça car beaucoup de gens désespèrent de l’Europe en disant : rien ne
bouge, les Allemands ne voudront pas. En fait, si on regarde précisément les
allemands sont moins conservateurs qu’on le dit. Angéla Merkel, il y a 4 ans,
pour obtenir une coalition a accepté une loi sur le salaire minimum. Angéla
Merkel a fait campagne pour la taxe Tobin (…) Elle a dit : tant pis si les
anglais n’en veulent pas et si le lobby bancaire n’est pas content. (…) Donc
l’argument qui tue le débat en France est, dès qu’il y a une idée neuve : les
allemands n’en voudront pas ; c’est pareil pour les 1000 milliards pour le
climat, on se rend compte que les allemands ont accepté quand la banque
centrale européenne et Mario Draghi a dit : je vais créer 1000 milliards (…) et
les allemands ont laissé faire, et on montre dans notre livre qu’il en a créé
2500. C’était donc tout à fait possible.
Question : A propos de Nouvelle Donne,
mouvement politique citoyen…
C’est un choix politique. C’est Federico Mayor,
l’ancien patron de l’Unesco qui soutient notre initiative sur le climat. Il
disait : partage c’est le mot clé, partage c’est la solution. C’est le
partage des richesses. Vous avez vu qu’une étude vient de dire que les 1% les
plus riches on cannibalisés 82% des richesses. Et c’est pour cela qu’on a de
plus en plus de dettes. Car lorsque 1% des plus riches accaparent 80% des
richesses, cela pousse les autres à s’endetter. Donc ce système est
scandaleusement inégalitaire et provoque une souffrance sociale terrible et
conduit à un endettement monstrueux. (…) Ce niveau d’injustice est humainement,
anthropologiquement, spirituellement scandaleux et économiquement débile !
Donc partage c’est le partage des richesses, le partage du travail tout au long
de la vie, c’est partage de la culture, du savoir, du pouvoir. Ça va avec le
non cumul. Le plaisir de faire de la politique doit être partagé entre le plus
grand nombre de gens.
Question : Comment expliquez-vous que ces
propos de bon sens aient tant de mal à s’imposer dans notre société ?
Je pense qu’on vit un moment d’effondrement. (…)
Jacques Julliard disait il y a dix ans qu’il y avait un pacte entre les élites
et le peuple. Le peuple fait confiance aux élites parce que les élites
travaillent pour le bien commun. Et manifestement Julliard disait que le pacte
est rompu. Il ne s’agit pas de juger les personnes, mais manifestement on ne
fait pas le maximum pour la justice sociale. On comprend que l’abstention
monte. Quand vous voyez le niveau de chômage, de précarité (…) c’est vraiment
fondamental que les citoyens ne se contentent pas d’aller voter une fois tous
les 5 ans parce que, et c’est ce que disait Mendes France : tout est fait
pour sacraliser le fait de voter. On vous dit que vous êtes une mauvaise
citoyenne si vous n’allez pas voter. Mais tout est fait pour que les citoyens
se détournent de l’élaboration du projet et de sa mise en œuvre. Or Mendes
France disait que le plus important était l’élaboration du projet et sa mise en
œuvre.(…)
Allez sur https://climat-2020.eu/ Car ce n’est pas
3 diplomates qui décident. Nous comme citoyens nous avons notre mot à
dire !
Question :
Pour convaincre il faut peut-être regarder la nature autour de soi, car nous
sommes tous concernés. Mais il y a ce scepticisme persistant… (on vous trouve
parfois) trop pessimistes…
Pessimistes ? Quand vous voyez que 300 000 personnes
en Californie doivent évacuer juste avant noël à cause des feux de forêts (qui
normalement se déclarent en aout), cela montre qu’il y a quelque chose qui se
passe. On a tort de croire que c’est juste un petit réchauffement, tranquille
avec 1° de plus… Après tout si c’est 1° de plus – moi, quand on met dit que
bientôt Paris aura le climat de Barcelone je trouve ça cool – Non ! C’est
qu’on va vers un dérèglement qui s’accélère : de plus en plus d’eau là où
il y a déjà trop d’eau ; de plus en plus de sécheresse là où on manque
d’eau. La perturbation du cycle de l’eau a des conséquences dramatiques :
l’an dernier en France la récolte des céréales a baissé de 30% à cause des
inondations. Heureusement que l’Ukraine a fait une très bonne récolte, parce
que si la France et l’Ukraine, avaient fait -30% sur la récolte de blé je pense
qu’on aurait des tickets de rationnement pour aller chercher du pain. Il y a
trois mois en France la récolte de raisin c’est -25%... En Europe il y a déjà
des conséquences directes. Je ne vous parle pas des sécheresses en
Afrique ! (…) Il faut un vrai plan Marshall pour l’Afrique, car si on
croise la courbe de la démographie en Afrique et les problèmes d’accès à l’eau,
ça va devenir absolument dramatique.
Il n’est pas
trop tard pour agir. (…)
Question :
1000 milliards…
La BCE a créé
2500 milliards : en 2008, on a mis 1000 milliards en urgence pour éviter
l’effondrement. Mais là ce dont on parle, ce n’est pas ce qui s’est fait en
2008, c’est ce qui s’est fait dans la routine depuis 2 ans et demi. (…) C’est
très simple. Autrefois on appelait ça la planche à billets. Maintenant c’est
informatique. Mario Draghi dit : on va donner 80 milliards aux banques à
taux 0 ou même négatif en espérant que les banques vont relancer l’économie.
Donc au total il y a eu 2500 milliards créé depuis 2 ans et demi. Ça fait au
bas mot 1000 milliards par an. Ça tombe bien puisque la cour des comptes
européenne dit : ce qu’on fait est catastrophiquement faible, on est en
train de perdre la bataille, et si on
veut rattraper le temps perdu il faut à peu près chaque année 1100 milliards au
niveau de toute l’Europe. Ça tombe bien car la BCE a créé 2500 milliards en 2
ans et demi. La question est de savoir ou va cet argent. On a regardé : il
y a 11% de l’argent qui va dans l’économie réelle (prêts aux PME, des prêts
immobiliers ou aux collectivités), mais 89% va à la spéculation ! Et tous
les mois le FMI nous dit : attention danger, on va une crise plus grave,
plus rapide qu’en 2008. Donc la question se situe d’un point de vue
philosophique… on nous a dit à l’école que nous étions des Sapiens sapiens, mais on se demande si on n’est pas des Debilus debilus, puisque nous sommes
incapables de réagir. Le FMI nous dit que l’argent de la BCE va à la
spéculation et prépare une crise dramatique, le GIEC nous dit qu’on va vers le
chaos climatique car on n’est pas capables de financer la transition ! On
pourrait peut-être se dire avant qu’il ne soit trop tard : on fait un
traité européen qui dit que l’argent de la BCE, on le met pour financer la
transition énergétique. Dans tous les pays on saurait qu’on a de l’argent
pendant 20 ans pour financer tous les travaux – et du coup parmi les gens qui
nous soutiennent, il y a l’Adème qui dit qu’en France on peut créer
900 000 emplois !
(…)
Le FMI
nous : on n’a rien réglé. Et on cite Stiglitz qui dit : l’économie
mondiale est comme le Titanic ; on s’est contenté de déplacer les
fauteuils sur le pont du navire, mais on va vers l’iceberg. Le FMI reprend
l’image est dit qu’on va vers l’iceberg et qu’on accélère. Honnêtement comme
citoyen ça énerve ! C’est scandaleux ! Le secteur du bâtiment
pourrait créer 400 000 emplois en France si on se donnait les moyens
d’isoler : notre but est que dans 20 ans tous les bâtiments publics et
privés soient isolés. On ferait des économies sur nos dépenses de chauffage….
Question :
L’objectif de réduction des gaz à effets de serre d’un facteur 4 n’est plus
suffisant aujourd’hui…
C’est tout à
fait insuffisant, surtout qu’il y a une différence entre nos émissions (qui ont
quand même baissées de 15%) et notre empreinte ; c’est-à-dire que si on
tient compte de tous les produits industriels qui viennent de Chine et qui sont
consommés chez nous, notre empreinte n’a baissé que de 3 ou 4%. On s’est
engagés devant toute la communauté internationale à diviser par 4, à faire du –
75% en en vérité en gros nous sommes à -5.
Question :
et le plan prévu par le nouveau gouvernement : 50 milliards pour la
transition ?
… Ça ne suffira
pas. En gros, avec ce qu’on propose, il faudrait chaque année 60 milliards.
Mais il y a une prise de conscience. Emmanuel Macron a organisé le « one
planet submit » le 12 décembre et ses premiers mots, devant 3000
personnes, dont 80 chefs d’Etats : on est en train de perdre la bataille,
on le sait.
Question :
Mais vous dites que ce n’est pas perdu !
Ça se joue dans
les 3 ans qui viennent. C’est comme quand vous avez une maladie grave : si
vous êtes opéré dans les 2 mois qui viennent vous pouvez être sauvés et vivre
40 ans derrière. Mais si vous laissez la maladie prospérer dans 2 ans c’est
foutu. C’est pour ça qu’on veut un traité….
Question :
Mais pourquoi un traité ? Mais aussi un referendum…
Un traité
européen car aucun pays tout seul ne peut financer la transition énergétique.
On le voit en France. Mais en Allemagne il y a quelques jours, le patronat de
l’industrie dit qu’il lui faut 1500 milliards. Il dit qu’il faut qu’on
réussisse, que c’est une obligation morale, que c’est une opportunité pour se
moderniser, pour innove. Mais ça coute entre 1500 et 2300 milliards selon les
scénarios ; on ne sait pas comment faire, ça va endetter les Lander. La
coalition a explosé sur la question de savoir comment financer la sortie du
charbon. Donc en Allemagne, comme en France, comme en Italie, etc. on ne sait
pas comment financer. La solution est donc au niveau européen puisque la BCE
crée chaque année 1000 milliards et qu’on peut aussi avoir des ressources
propres en taxant les bénéfices (on montre comment il y a un dumping fiscal
européen ; il n’y a jamais eu autant de bénéfices et le taux est descendu
à 20% en Europe alors qu’aux Etats-Unis il est à 38% depuis Roosevelt.) On voit
qu’avec ces deux sources on pourrait diviser par deux la facture dans tous les
pays. L’Europe est le bon moyen pour trouver les financements. Et pourquoi un
traité ? Pour qu’il y ait une stabilité. (…)
Pour le
referendum c’est une idée d’Habermas qui est que l’Europe va mourir s’il n’y a
pas un nouveau projet. Sur la question du climat on a besoin d’être ensembles.
Habermas dit qu’il faut de nouveau traités, mais qu’ils soient approuvés par
les peuples – dont il ne faut pas avoir peur. Habermas dit qu’il faudrait que la
même semaine (partout en Europe). Ça ne serait pas un referendum pour ou contre
Mr Macron, Mme Merkel, etc. Et si on montre que l’Europe met la finance au
service du climat, qu’au lieu de laisser l’argent à la spéculation l’Europe le
met à la création d’emplois…. L’enjeu serait très clair. C’est la meilleure
façon de montrer que l’Europe est utile et qu’elle retrouve ses valeurs.
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