2 mars 2018

Mille milliards pour le climat ! par Pierre Larrouturou



Une émission de la série « MATIÈRES À PENSER », avec aux commandes Dominique Rousset. En invité, Pierre Larrouturou, auteur entre autre de « Pour éviter lechaos climatique et financier » paru chez Odile Jacob l’an dernier.

Un entretien choc et sans langue de bois… J’en propose ici la transcription de gros extraits. Une émission à écouter et à faire circuler.

En guise de préambule :
« On est à un moment critique pour l’histoire de l’humanité. Sur la question du climat par exemple, mon ami Jean Jouzel a été vice-président du GIEC et a reçu le prix Nobel de la paix ; ils n’ont pas reçu le prix Nobel de chimie, pourtant ils parlent de CO2, de méthane, de température. Ils ont reçus le prix Nobel de la paix car ce qui est en jeu c’est la paix mondiale, si on ne change pas les choses d’ici 3 ou 4 ans qui viennent. Il y a vraiment une urgence. (…) Cela fait 30 ans que le GIEC a été créé, cela fait 30 ans que l’on dit que c’est grave, et si on ne bouge pas radicalement dans les prochaines années cela sera trop tard ! De notre vivant, dans 20 ans, on verra le chaos ; une souffrance en Europe terrible, des mouvements migratoires qu’on ne saura pas accueillir ; c’est donc la paix mondiale qui est en jeu. On va vers la guerre et le chaos… »



Question : Quelle est la meilleure voix pour peser sur le débat public ?
Pierre Larrouturou
Je pense qu’il faut une action en tenaille. Il faut en même temps aller rencontrer les dirigeants (sommes allés plusieurs fois à l’Elysée, avons des contacts à Bruxelles) et il faut que les citoyens s’impliquent. Mon dernier souvenir d’étudiant, c’est mon dernier cours d’histoire. J’étais à Science Po, et le meilleur spécialiste de l’Allemagne nous expliquait en avril 1989 que le mur de Berlin était encore là pendant 50 ans… Et puis 6 mois plus tard le mur est tombé, mais ce ne sont pas des grands chefs politiques qui l’on décidé, ce sont des citoyens, des gens comme vous et moi, qui en avaient marre… Il y a une phrase magnifique de Vaclav Havel, 3 semaines après la chute du mur de Berlin : « chacun de nous peu changer le monde, même s’il croit qu’il n’a pas la moindre importance ». Et c’est des gens sans importance qui ont fait un truc énorme ! je pense aussi à un texte de Hannah Arendt qui dit aussi qu’à un moment les gens sans importance n’en peuvent plus, que cela fait trop longtemps qu’il y a la crise, qu’il y a la précarité et qu’il y’en a qui se goinfrent au sommet, et donc Hannah Arendt explique comment la barbarie est possible, parce que des gens normaux, comme vous et moi, renoncent à vivre en conscience. Je pense qu’on est dans ce moment critique : serons-nous capables, en France, en Europe d’un sursaut d’imagination, d’intelligence, de fraternité ?  Ou est-ce qu’on continue parce qu’on en a marre, qu’on est déçu ou qu’on vit bien et qu’après tout on peut continuer dans la routine ? Si les citoyens ne sont pas capables de prendre du temps pour réfléchir et pour agir, on peut très vite avoir n’importe quand une crise financière, avoir n’importe quand le chaos climatique, et ça peut très mal finir.

Question : le politique ne bougera que si le citoyen se manifeste ?
Je pense. Oui il y a une inertie du pouvoir (…) sur la question du climat. Souvenez-vous du très beau discours de jacques Chirac à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». il appelait à une alliance entre l’Europe et les pays du Sud. Concrètement chaque année on diminue notre aide au développement, et on n’est pas bien capable d’accueillir les quelques millions de réfugiés qu’il faudrait qu’on accueille. Je ne juge pas les personnes mais je vois le résultat – et on ne peut pas non plus critiquer les politiques si chacun se contente de mener sa vie quotidienne normale. On a aussi les politiques qu’on mérite.

Question : Après ATD quart monde (…) vous avez proposé la semaine de 4 jours… (Une réduction du temps de travail de 39 à 32 h). Mais vous n’avez pas réussi à convaincre martine Aubry.
Mais nous avons réussi à convaincre avec la loi Robien (1996). C’est 400 entreprises qui ont mis en place ces idées. Ce n’est pas négligeable de dire, que pour casser des tabous, pour vérifier que ça marche, on a d’abord obtenu une loi qui permettait l’expérimentation. Quand vous allez chez Fleury-Michon en Vendée, chez Mamie Nova en Bretagne, ou dans mon coin du Béarn avec des PME de 3 ou 4 salariés, ils sont passés à 4 jours et l’entreprise recrute – chez Mamie Nova il y a eu 120 embauchés en CDI – Tout le monde profite des 4 jours : les ouvriers, les contremaitres, les commerciaux, le directeur de l’usine. Ça marche très bien et c’est rentable pour l’entreprise parce qu’elle arrête de payer les cotisations chômage. Quand maie Nova embauche 120 personnes, cela fait 120 personnes qui vont cotiser à la Sécu, aux caisses de retraites… On a fait la preuve qu’une vraie réduction de travail avec un financement intelligent c’est possible et c’est même un facteur de compétitivité…


Question : Avec Michel Rocard et Stéphane Hessel vous avez milité pour une Europe sociale…
En 2003 on avait rédigé un traité de convergence sociale au niveau européen, en disant : pour faire la monnaie unique nous avons été capables (de le faire)… On a dit : il faut la même ambition en matière sociale, donc nous avions écrit un traité avec 5 critères (chômage, pauvreté, logement, éducation et aide aux pays en développement) ; et puis il y avait un article du traité qui était un pacte pour l’environnement… On avait en même temps José Bové et Jacques Delors. Deux ans plus tard nous avions 400 parlementaires, nous avions été reçus à Bruxelles par le président de la Commission qui avait dit qu’il nous soutenait et qui avait demandé à Giscard d’intégrer le traité social dans les traités européen. Hélas Giscard n’avait pas voulu, parce qu’il voulait un consensus avec les anglais qui ne voulaient ni d’une Europe politique ni d’une Europe sociale.
Là où on voit que ça bouge, c’est en 2007 avec Angela Merkel réunissant tous les chefs d’Etats à Berlin pour l’anniversaire du traité de Rome. Et Angéla Merkel disait : « si on avait donné la parole au peuple allemand par référendum, comme on a fait au peuple français, le peuple allemand sans doute aurait dit non. Et Angéla Merkel disait qu’il faut un protocole social européen, et c’est Nicolas Sarkozy qui n’a pas voulu. Je dis ça car beaucoup de gens désespèrent de l’Europe en disant : rien ne bouge, les Allemands ne voudront pas. En fait, si on regarde précisément les allemands sont moins conservateurs qu’on le dit. Angéla Merkel, il y a 4 ans, pour obtenir une coalition a accepté une loi sur le salaire minimum. Angéla Merkel a fait campagne pour la taxe Tobin (…) Elle a dit : tant pis si les anglais n’en veulent pas et si le lobby bancaire n’est pas content. (…) Donc l’argument qui tue le débat en France est, dès qu’il y a une idée neuve : les allemands n’en voudront pas ; c’est pareil pour les 1000 milliards pour le climat, on se rend compte que les allemands ont accepté quand la banque centrale européenne et Mario Draghi a dit : je vais créer 1000 milliards (…) et les allemands ont laissé faire, et on montre dans notre livre qu’il en a créé 2500. C’était donc tout à fait possible.

Question : A propos de Nouvelle Donne, mouvement politique citoyen…
C’est un choix politique. C’est Federico Mayor, l’ancien patron de l’Unesco qui soutient notre initiative sur le climat. Il disait : partage c’est le mot clé, partage c’est la solution. C’est le partage des richesses. Vous avez vu qu’une étude vient de dire que les 1% les plus riches on cannibalisés 82% des richesses. Et c’est pour cela qu’on a de plus en plus de dettes. Car lorsque 1% des plus riches accaparent 80% des richesses, cela pousse les autres à s’endetter. Donc ce système est scandaleusement inégalitaire et provoque une souffrance sociale terrible et conduit à un endettement monstrueux. (…) Ce niveau d’injustice est humainement, anthropologiquement, spirituellement scandaleux et économiquement débile ! Donc partage c’est le partage des richesses, le partage du travail tout au long de la vie, c’est partage de la culture, du savoir, du pouvoir. Ça va avec le non cumul. Le plaisir de faire de la politique doit être partagé entre le plus grand nombre de gens.

Question : Comment expliquez-vous que ces propos de bon sens aient tant de mal à s’imposer dans notre société ?
Je pense qu’on vit un moment d’effondrement. (…) Jacques Julliard disait il y a dix ans qu’il y avait un pacte entre les élites et le peuple. Le peuple fait confiance aux élites parce que les élites travaillent pour le bien commun. Et manifestement Julliard disait que le pacte est rompu. Il ne s’agit pas de juger les personnes, mais manifestement on ne fait pas le maximum pour la justice sociale. On comprend que l’abstention monte. Quand vous voyez le niveau de chômage, de précarité (…) c’est vraiment fondamental que les citoyens ne se contentent pas d’aller voter une fois tous les 5 ans parce que, et c’est ce que disait Mendes France : tout est fait pour sacraliser le fait de voter. On vous dit que vous êtes une mauvaise citoyenne si vous n’allez pas voter. Mais tout est fait pour que les citoyens se détournent de l’élaboration du projet et de sa mise en œuvre. Or Mendes France disait que le plus important était l’élaboration du projet et sa mise en œuvre.(…)
Allez sur https://climat-2020.eu/ Car ce n’est pas 3 diplomates qui décident. Nous comme citoyens nous avons notre mot à dire !

Question : Pour convaincre il faut peut-être regarder la nature autour de soi, car nous sommes tous concernés. Mais il y a ce scepticisme persistant… (on vous trouve parfois) trop pessimistes…
Pessimistes ?  Quand vous voyez que 300 000 personnes en Californie doivent évacuer juste avant noël à cause des feux de forêts (qui normalement se déclarent en aout), cela montre qu’il y a quelque chose qui se passe. On a tort de croire que c’est juste un petit réchauffement, tranquille avec 1° de plus… Après tout si c’est 1° de plus – moi, quand on met dit que bientôt Paris aura le climat de Barcelone je trouve ça cool – Non ! C’est qu’on va vers un dérèglement qui s’accélère : de plus en plus d’eau là où il y a déjà trop d’eau ; de plus en plus de sécheresse là où on manque d’eau. La perturbation du cycle de l’eau a des conséquences dramatiques : l’an dernier en France la récolte des céréales a baissé de 30% à cause des inondations. Heureusement que l’Ukraine a fait une très bonne récolte, parce que si la France et l’Ukraine, avaient fait -30% sur la récolte de blé je pense qu’on aurait des tickets de rationnement pour aller chercher du pain. Il y a trois mois en France la récolte de raisin c’est -25%... En Europe il y a déjà des conséquences directes. Je ne vous parle pas des sécheresses en Afrique ! (…) Il faut un vrai plan Marshall pour l’Afrique, car si on croise la courbe de la démographie en Afrique et les problèmes d’accès à l’eau, ça va devenir absolument dramatique.
Il n’est pas trop tard pour agir. (…)



Question : 1000 milliards…
La BCE a créé 2500 milliards : en 2008, on a mis 1000 milliards en urgence pour éviter l’effondrement. Mais là ce dont on parle, ce n’est pas ce qui s’est fait en 2008, c’est ce qui s’est fait dans la routine depuis 2 ans et demi. (…) C’est très simple. Autrefois on appelait ça la planche à billets. Maintenant c’est informatique. Mario Draghi dit : on va donner 80 milliards aux banques à taux 0 ou même négatif en espérant que les banques vont relancer l’économie. Donc au total il y a eu 2500 milliards créé depuis 2 ans et demi. Ça fait au bas mot 1000 milliards par an. Ça tombe bien puisque la cour des comptes européenne dit : ce qu’on fait est catastrophiquement faible, on est en train de perdre la bataille, et  si on veut rattraper le temps perdu il faut à peu près chaque année 1100 milliards au niveau de toute l’Europe. Ça tombe bien car la BCE a créé 2500 milliards en 2 ans et demi. La question est de savoir ou va cet argent. On a regardé : il y a 11% de l’argent qui va dans l’économie réelle (prêts aux PME, des prêts immobiliers ou aux collectivités), mais 89% va à la spéculation ! Et tous les mois le FMI nous dit : attention danger, on va une crise plus grave, plus rapide qu’en 2008. Donc la question se situe d’un point de vue philosophique… on nous a dit à l’école que nous étions des Sapiens sapiens, mais on se demande si on n’est pas des Debilus debilus, puisque nous sommes incapables de réagir. Le FMI nous dit que l’argent de la BCE va à la spéculation et prépare une crise dramatique, le GIEC nous dit qu’on va vers le chaos climatique car on n’est pas capables de financer la transition ! On pourrait peut-être se dire avant qu’il ne soit trop tard : on fait un traité européen qui dit que l’argent de la BCE, on le met pour financer la transition énergétique. Dans tous les pays on saurait qu’on a de l’argent pendant 20 ans pour financer tous les travaux – et du coup parmi les gens qui nous soutiennent, il y a l’Adème qui dit qu’en France on peut créer 900 000 emplois !
(…)
Le FMI nous : on n’a rien réglé. Et on cite Stiglitz qui dit : l’économie mondiale est comme le Titanic ; on s’est contenté de déplacer les fauteuils sur le pont du navire, mais on va vers l’iceberg. Le FMI reprend l’image est dit qu’on va vers l’iceberg et qu’on accélère. Honnêtement comme citoyen ça énerve ! C’est scandaleux ! Le secteur du bâtiment pourrait créer 400 000 emplois en France si on se donnait les moyens d’isoler : notre but est que dans 20 ans tous les bâtiments publics et privés soient isolés. On ferait des économies sur nos dépenses de chauffage….

Question : L’objectif de réduction des gaz à effets de serre d’un facteur 4 n’est plus suffisant aujourd’hui…
C’est tout à fait insuffisant, surtout qu’il y a une différence entre nos émissions (qui ont quand même baissées de 15%) et notre empreinte ; c’est-à-dire que si on tient compte de tous les produits industriels qui viennent de Chine et qui sont consommés chez nous, notre empreinte n’a baissé que de 3 ou 4%. On s’est engagés devant toute la communauté internationale à diviser par 4, à faire du – 75% en en vérité en gros nous sommes à -5.

Question : et le plan prévu par le nouveau gouvernement : 50 milliards pour la transition ?
… Ça ne suffira pas. En gros, avec ce qu’on propose, il faudrait chaque année 60 milliards. Mais il y a une prise de conscience. Emmanuel Macron a organisé le « one planet submit » le 12 décembre et ses premiers mots, devant 3000 personnes, dont 80 chefs d’Etats : on est en train de perdre la bataille, on le sait.

Question : Mais vous dites que ce n’est pas perdu !
Ça se joue dans les 3 ans qui viennent. C’est comme quand vous avez une maladie grave : si vous êtes opéré dans les 2 mois qui viennent vous pouvez être sauvés et vivre 40 ans derrière. Mais si vous laissez la maladie prospérer dans 2 ans c’est foutu. C’est pour ça qu’on veut un traité….

Question : Mais pourquoi un traité ? Mais aussi un referendum…
Un traité européen car aucun pays tout seul ne peut financer la transition énergétique. On le voit en France. Mais en Allemagne il y a quelques jours, le patronat de l’industrie dit qu’il lui faut 1500 milliards. Il dit qu’il faut qu’on réussisse, que c’est une obligation morale, que c’est une opportunité pour se moderniser, pour innove. Mais ça coute entre 1500 et 2300 milliards selon les scénarios ; on ne sait pas comment faire, ça va endetter les Lander. La coalition a explosé sur la question de savoir comment financer la sortie du charbon. Donc en Allemagne, comme en France, comme en Italie, etc. on ne sait pas comment financer. La solution est donc au niveau européen puisque la BCE crée chaque année 1000 milliards et qu’on peut aussi avoir des ressources propres en taxant les bénéfices (on montre comment il y a un dumping fiscal européen ; il n’y a jamais eu autant de bénéfices et le taux est descendu à 20% en Europe alors qu’aux Etats-Unis il est à 38% depuis Roosevelt.) On voit qu’avec ces deux sources on pourrait diviser par deux la facture dans tous les pays. L’Europe est le bon moyen pour trouver les financements. Et pourquoi un traité ? Pour qu’il y ait une stabilité. (…)
Pour le referendum c’est une idée d’Habermas qui est que l’Europe va mourir s’il n’y a pas un nouveau projet. Sur la question du climat on a besoin d’être ensembles. Habermas dit qu’il faut de nouveau traités, mais qu’ils soient approuvés par les peuples – dont il ne faut pas avoir peur. Habermas dit qu’il faudrait que la même semaine (partout en Europe). Ça ne serait pas un referendum pour ou contre Mr Macron, Mme Merkel, etc. Et si on montre que l’Europe met la finance au service du climat, qu’au lieu de laisser l’argent à la spéculation l’Europe le met à la création d’emplois…. L’enjeu serait très clair. C’est la meilleure façon de montrer que l’Europe est utile et qu’elle retrouve ses valeurs.

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