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Abbaye de Fontenay, vu depuis l'entrée (photo par Axel) |
Aux
prémices de l'automne, par un dimanche matin ensoleillé, muser sur une route
sinueuse de Bourgogne ; à frôler les méandres du ruisseau de Fontenay, d'une
combe l'autre...
Et,
en la meilleure compagnie qui puisse être, de s'apercevoir que passé les
premières grappes de randonneurs, communiant dans un grégarisme de bon aloi
avant d'aller se perdre par cohortes dans les bois, arrivant sous le porche
d'entrée de l'abbaye, à la porterie pour la première visite guidée de la
journée, nous sommes seuls.
Il
va être dix heures, et le soleil, perché en oblique sur Fontaneatum
(littéralement « qui nage sur les sources » nous réchauffe, tandis
que nous nous tenons sur ce qui marquait jadis « la frontière entre son
univers clos et protégé et le monde extérieur, (là où) le frère portier
était chargé d’accueillir ceux qui se présentaient au seuil du monastère :
novices, pèlerins, voyageurs, marchands, mais aussi pauvres et infirmes qui
demandaient l’aumône. » Ici le regard embrasse un large espace de
pelouses harmonieusement enroulées autour d'allées de cailloux blanc. A dextre,
au loin en partie masquée par un gros arbre, se devine la forge ; à sinistra
pointe la tour circulaire du pigeonnier (ou du colombier), bâtisse adossée au
chenil où se tenaient jadis en pension les chiens des ducs de Bourgogne.
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Abbaye de Fontenay, vue avant (photo par Axel) |
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Abbatiale (Photo par Axel) |
Embarqués
dans les allées de verdures flamboyantes, parvenir au seuil de l'église
abbatiale, habités de la crainte de bousculer le silence. Le dépouillement de
l'architecture, dont les flancs juste percés de maigres fenêtres tapissent le
sol de raies de lumières, concoure à la sérénité des lieux ; une majesté
sobre où la façade sans la moindre fioriture pour distraire l’œil, s'ouvre sur une
nef avec collatéraux, aboutissant aux arches lumineuse du cœur. C’est là une
invite, si ce n’est à la méditation, du moins à entretenir une certaine
austérité du regard pour saisir la quintessence de l’art roman.
Construiteentre 1139 et 1147 sur un plan en croix latine, l’abbatiale compte parmi les
plus anciennes du monde cistercien. Sur le versant ouest du transept repose la
statue de la Vierge de Fontenay, une œuvre caractéristique de la statuaire
bourguignonne et qui manqua de disparaître lors de la Révolution. Cette dame à
l’enfant veillait jadis sur « la porte
des morts » (le cimetière des moines) ; toute une symbolique. De
l’autre côté du transept empruntons alors l’escalier menant au dortoir. Mais
avant cela il n’est pas interdit de se perdre du côté de l’autel, là où
reposent quelques personnalités qui contribuèrent peu ou prou à l’histoire des
lieux. Ainsi l’évêque Ebrard de Norwich qui, fuyant les persécutions dans son
pays, trouva refuge à Fontenay en 1139. Si la solitude de la contrée répondait
parfaitement aux règles cisterciennes, le monastère n’en était pas moins alors
lové au cœur d’un marécage insalubre. L’homme était immensément riche. Aussi se
résolut-il à investir ses avoirs dans l’amélioration et la construction de
plusieurs édifices de Fontenay, dont l’abbatiale dans laquelle il fut enseveli.
Mais sa foi ne lui fit pas oublier d’ériger un château hors de l’enceinte du
monastère pour établir sa résidence, castel dont les faméliques vestiges
aujourd’hui reposent sous la végétation de la forêt environnante. Autre
résident notoire de l’abbatiale, le chevalier Mello d’Epoisses, dont le gisant
trône en bonne place au côté de celui de son épouse. Et si « les prescriptions de la règle de Cîteaux,
interdisant d’ensevelir les étrangers dans l’enceinte du monastère, furent
généralement observées dans les autres abbayes, à Fontenay, la tolérance semble avoir été plus larges ». Et
nombre de « solliciter la faveur
d’une sépulture dans l’enceinte de l’abbaye qu’ils avaient, le plus souvent,
enrichie de leurs libéralités ». Le prix du paradis escompté,
probablement…
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Fond de l'abbatiale (photo par Axel) |
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Vierge à l'enfant (photo par Axel) |
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Abbatiale, escalier vers le dortoir (photo par Axel) |
Imaginer les moines, allongés sous la voûte immense du dortoir, enténébrée de leurs doutes. Là sur leur paillasse par une
nuit d’hiver, tout habillés, prêts comme de bons soldats de Dieu à se
rendre aux mâtines puis aux Leudes ; mortification du corps dans l’espérance
d’un salut pour l’âme...
Leur chef de file, Bernard de Clairvaux,
avait un jour affirmé, en 1128 lors d’un concile ou il fera reconnaître la
milice du Temple : « Les affaires de
Dieu sont les miennes, dit-il et rien de ce qui le regarde ne m’est étranger
! » Est-ce sans doute ce savoir qui le 31 mars 1146, jour de Pâques, l’incitera
à prêcher la calamiteuse seconde croisade. Il faut dire que l’homme avait déjà,
dans son ouvrage Liber ad milites templide laude novae militiae, rédigé aux alentours de 1120, justifié
l’utilisation de la violence :
« Pour les chevaliers du
Christ, au contraire, c'est en toute sécurité qu'ils combattent pour leur
Seigneur, sans avoir à craindre de pécher en tuant leurs adversaires, ni de
périr, s'ils se font tuer eux-mêmes. Que la mort soit subie, qu'elle soit
donnée, c'est toujours une mort pour le Christ : elle n'a rien de
criminel, elle est très glorieuse. Dans un cas, c'est pour servir le Christ ;
dans l'autre, elle permet de gagner le Christ lui-même : celui-ci permet
en effet que, pour le venger, on tue un ennemi, et il se donne lui-même plus
volontiers encore au chevalier pour le consoler. Ainsi, disais-je, le chevalier
du Christ donne-t-il la mort sans rien redouter ; mais il meurt avec plus
de sécurité encore : c'est lui qui bénéficie de sa propre mort, le Christ
de la mort qu'il donne.
Car ce n'est pas sans
raison qu'il porte l'épée : il est l'exécuteur de la volonté divine, que
ce soit pour châtier les malfaiteurs ou pour glorifier les bons. Quand il met à
mort un malfaiteur, il n'est pas un homicide, mais, si j'ose dire, un malicide.
Il venge le Christ de ceux qui font le mal ; il défend les chrétiens. S'il
est tué lui-même, il ne périt pas : il parvient à son but. La mort qu'il
inflige est au profit du Christ ; celle qu'il reçoit, au sien propre. De
la mort du païen, le chrétien peut tirer gloire, puisqu'il agit pour la gloire
du Christ... »
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Gisants (photo par Axel) |
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Dortoir (photo par Axel) |
Du
dortoir, se diriger ensuite vers le cloître. Et déambuler sous le préau parmi
la dentelle de pierre formé par les colonnades ; ce paysage vierge à cette
heure de présence humaine, offert tel que devaient le connaitre les moines alors
qu’ils y venaient lire. Formé de quatre galeries, le cloître présente un
rectangle de 36 mètres sur 38, ouvert en son centre sur une pelouse percée d’un
chemin en croix. Le soleil de fin de matinée s’y prélasse en oblique. Des
oiseaux virevoltent, pas loin sur les toits. Des bergeronnettes grises et des
rougequeues noirs.
De
là, revenir vers l’ombre se perdre un instant du côté de la salle capitulaire,
là où les religieux se réunissaient sous la houlette de l’abbé pour y lire et
commenter une partie de la Règle de Saint-Benoit. Une ombre tapissée de lumière,
venue du jardin situé à l’arrière du complexe, s’étale sur le dallage de ce
cœur névralgique de l’abbaye, là où on faisait aussi « part des décès survenus dans les autres
monastères par la lecture des lettres connues alors sous le nom de ‘Rouleaux
des Morts’ »
Et
si l’on poursuit ce pèlerinage selon l’humeur dans le prolongement des arcades
en ogive, on arrivera dans une autre salle, dont une partie tenait lieu de
scriptorium, et où jadis les moines copistes s’affairaient à leur interminable
labeur de recopie et d’enluminure de manuscrits. On ne saura sans doute jamais si parmi eux se
cachait un facétieux personnage, tel ce Frère Odilon de l’abbaye d’Ouche qui,
dit-on, s’égayait à assortir son travail d’innovations de son cru. Ainsi
« quand il en voulait à quelqu’un,
il vous le plaçait bel et bien en Enfer, souffrant de supplices atroces qu’il
inventait avec une luxuriante imagination… ».
Ou encore de s’amuser à « …donner
à Marie-Madeleine les traits d’une tavernière bien connue dans le pays ».
De quoi le rendre éminemment sympathique. Mais on devine le prieur de l’abbaye
moins enthousiaste, surtout après s’être rendu compte d’avoir « bénéficié (…) d’une place d’honneur à la
droite de Satan ».
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Transept de l'abbatiale, vue du dortoir (photo par Axel) |
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Colonnes du préau (photo par Axel) |
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Cloître (photo par Axel) |
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Colonnades du cloître (photo par Axel) |
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Salle capitulaire (photo par Axel) |
Sobre
et paisible, le jardin à la française donnant sur l’arrière de l’abbaye, fut
réaménagé en 1997 en jardin paysager. Jadis les moines y avaient leur potager
où ils faisaient aussi bien pousser leurs légumes que tout un assortiment de plantes
médicinales. Aujourd’hui, il est si bon de s’y promener sans la moindre
intention, puis de s’arrêter sur un banc pour y laisser filer le temps entre
ses doigts. Sur les pelouses viennent par intermittence danser les passereaux.
Tout autour, une myriade d’arbres en majesté aux feuillages encore vigoureux se
penchent aux dessus de nos têtes ; une palette de tons agréable à l’œil propre
à susciter la rêverie.
Alors,
reprenant nos déambulations, aller buter au fond du parc sur une jolie fontaine
en surélévation. Gardée par un ange en arme, elle semble vouloir parachever l’œuvre
de Fontenay. Se déverse sur chacun de
ses flancs un petit escalier de pierre. En contrebas un banc menu. L’endroit parait familier – une impression de déjà-vu. Cela
s’explique si l’on sait qu’à cet endroit précis fut tournée, en 1989 une scène fameuse du film Cyrano de Bergerac – et même si l’on n’a pas vu cette séquence cinématographique,
force est de reconnaître que la composition architecturale de ce bassin imprime
nos sens à la manière d’un archétype…
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Arbre en majesté (photo par Axel) |
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Salle capitulaire (photo par Axel) |
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Vue arrière de l'abbaye (photo par Axel) |
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Poterie du bassin devant la forge (photo par Axel) |
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Sur le flanc du parc (photo par Axel)
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Bassin devant la forge (photo par Axel)
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Cincle plongeur (photo par Axel) |
Plus
loin se trouve encore la forge, dont nous tairons la façon dont fut restauré le
grand marteau actionné hydrauliquement.
Mais
juste rappeler que dans le grand bassin qui la dessert, il arrive parfois que
le Cincle plongeur vienne y faire ses ablutions, pour le plus bonheur de l’ami
des oiseaux.
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Vue avant, sur le flanc ouest de l'abbayes de Fontenay (photo par Axel) |
Il
y aurait encore tant à dire, ou à décrire.
De
ces salles dont nous n’avons pas parlées et qui tapissent Fontenay de leurs
souvenirs. Ainsi le chauffoir ou encore l’enfermerie.
Il
nous faudra revenir.
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Fontaine "Cyrano" (photo par Axel) |
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