J’aime les récits des écrivains voyageurs, ces rêves
incarnés où le temps s’étire à l’infini ; ces cahiers ou ces journaux de l’infime
immensité de nos espaces intérieurs. « De
l’usage du monde » aux « Chemins
noirs ». Ces histoires de pieds poudreux qui tranchent si nets sur la
toile de nos frénétiques bourdonnements ; ces anecdotes et ces singularités
d’un quotidien déroutant pour l’homme des civilisations mercantiles.
« Les
sociétés n’aiment pas les ermites », dit Sylvain Tesson. « Elles
ne leur pardonnent pas de fuir. Elles réprouvent la désinvolture du solitaire
qui jette son ‘continuez sans moi’ à la face des autres. Se retirer c’est
prendre congé de ses semblables. L’ermite nie la vocation de la civilisation,
en constitue la critique vivante. Il souille le contrat social. Comment accepter
cet homme qui passe la ligne et s’accroche au premier vent ? »[1] Il voit juste.
J’aime, disais-je la poésie des phrases simples et
profondes de tel homme qui, reclus dans une cabane perdue sur la rive occidentale du lac
Baïkal en Sibérie, reçoit comme un précieux présent la visite d’une « mésange à tête noire ». L’oiseau, ainsi
nommé par commodité[2]
par l’auteur, devient vite une indispensable compagne. Et s’il s’éloigne une
journée de sa cabane :
« Je
pense à la mésange. J’en suis déjà nostalgique. Ou comme on s’attache vite aux
êtres. La pitié m’envahit pour ces bêtes en lutte. Les mésanges gardent la
forêt dans le gel. Elles n’ont pas le snobisme des hirondelles qui passent l’hiver
en Egypte »[3]
Mésange nonnette (photo par Axel)
Sur le nom de l’espèce, le reclus sibérien affine :
« La
mésange revient. Dans mon guide ornithologique je cherche sa fiche technique. D’après
l’auteur suédois Lars Svensson, né en 1941 et auteur de multiples ouvrages
comme le célèbre guide des passereaux d’Europe, la mésange boréale se reconnait
à ce cri : « zi-zi tèèh tèèh tèèh ». La mienne ne dit pas un
mot. Sur la page d’après je lis qu’une mésange porte le nom de mésange lugubre.
La visite du
petit animal m’enchante. Elle illumine l’après-midi.[4] »
Lire ces quelques phrases illumine ma soirée.
Et d’ouvrir à mon tour mon propre guide Ornitho.
Trois espèces de mésanges se ressemblent à s’y méprendre ; il faut de l’expérience
pour les distinguer sur le terrain. Leurs noms : mésange boréale, mésange lugubre, et mésange nonnette. Cette dernière espèce, je l’ai photographiée il y
a de cela tout juste une semaine dans une forêt des Haut-de-France, comme il convient
de dire à présent. J’étais moi aussi seul. Mais une solitude hélas toute
relative.
« La
présence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquête qui vous
rend jouissance des choses »[5].
[1] Sylvain Tesson, « Dans
les forêts de Sibérie », P61.
[2] Sous une telle latitude, l’oiseau
ne peut être de l’espèce indiquée – la mésange à tête noire étant inféodée au continent
nord-américain. Mais qu’importe ! Il s’agit d’une mésange qui à la tête noire
[3]
Sylvain Tesson, op cité P58
[4] Sylvain Tesson, op cité p
55.
[5]
Sylvain Tesson, op cité P 36.
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