4 nov. 2021

Le parti pris des oiseaux : miroise et littérature

 


Stanislaw Lubienski
Stanislaw Lubienski

Le ton est celui de la conversation ; avec des anecdotes déroulées au fil des pages, truffées de références parfois savantes, parfois singulières. Les chapitres sont variés. Et avouons-le, un récit autobiographique qui débute par une phrase telle que : « Je m’intéresse aux oiseaux depuis le début de l’école primaire … », ne pouvait que me plaire – j’y vois bien sûr un écho à ma propre histoire. Mais il n’est pas nécessaire d’être ornithologue ou miroiseur pour ce délecter de la lecture d’un tel livre. Il plaira aussi aux esprits dilettantes, aux amis de « l’inessentiel », aux esthètes, aux rêveurs, aux promeneurs solitaires, aux amoureux de la tranquillité, et plus généralement à tous ceux qui aiment les pas de côté.

 

L’ouvrage fut écrit en 2016 – la traduction française et la parution aux éditions Noir et Blanc est de juin de cette année. L’auteur, Stanislaw Lubienski est écrivain et cinéaste.



 

Courlis cendrés, au large de la baie de Somme (Photo par Axel)

Quelques passages …

 

Du syndrome BCD (Birding compulsive disorder) :

« Ce syndrome est notamment responsable des coups de frein brutaux qu’ils donnent (les passionnés d’oiseaux) sans même un coup d’œil dans le rétroviseur sur des routes très fréquentées quand ils aperçoivent une chose curieuse sur le bas-côté. C’est sous l’effet de ce syndrome qu’en pleine discussion un amoureux des oiseaux fait taire tout le monde d’un chut, un doigt pointé dans la direction d’où lui parvient un bruit intéressant »[1].

Il me faut avouer être atteint à un degré assez avancé de ce syndrome… Et je ne compte plus les fois où, abandonnant toute prudence, j’ai d’un coup détourné les yeux de la route pour lever nez vers un « truc en vol », ou encore m’être arrêté en catastrophe sur le bord de la chaussée pour me précipiter en direction d’une prairie ou la lisière d’un bois, à la recherche de l’oiseau « rare » entraperçu[2]. Les symptômes auditifs sont aussi fréquents. Aussi lors d’une promenade sans but ornithologique, être pris de cette fâcheuse de manie de couper la conversation régulièrement pour annoncer le nom des chants d’oiseaux entendus !

L’auteur évoque aussi le cas des bandes-son des films[3] où « les voix d’oiseaux qu’on entend ne correspondent pas à la saison », ou ajouterai-je, ne correspondent pas au pays ou au biotope montré. Ainsi de m’être lamenté ici ou là d’entendre le cri de tel espèce d’oiseau : impossible ! – par exemple le chant d’un rossignol en plein hiver, dans une plaine des Hauts-de-France.

 

Milan royal en migration (baie de Somme, octobre 2021) - Photo par Axel

Sur la cohabitation entre miroise et photographie :

« Les observateurs d’oiseaux nourrissent souvent des griefs envers les photographes. L’éthique fait l’objet entre eux d’un éternel débat. A-t-on le droit de s’approcher tout près d’un oiseau dès lors que celui-ci se sent menacé ? La diversité et les bas prix du matériel disponible sur le marché font que tout un chacun peut se sentir une âme de photographe, qu’il sache ou non faire des images. Pullulent sur Internet des photos médiocres dont le seul intérêt est qu’elles montrent les plumages des oiseaux dans leur moindre détail. M. (l’ami photographe de Stanilaw) est bon techniquement, il sait exactement quel effet il veut obtenir, et il a aussi une chose qui ne s’achète pas : du talent. Il est capable de réfréner son instinct et de rester à une distance respectable s’il juge le pas suivant inutile »[4].

L’idéal est d’associer si possible ces deux activité et de les pratiquer en âme et conscience, éthiquement (la paire de jumelles et l’appareil photo).

Selon ma propre expérience, si les brebis galeuses se rencontrent surtout chez les photographes[5], certains observateurs ne sont pas en reste. La recherche à tout prix de la coche ou « du cliché » écrasent parfois toute autre considération. Il y a peu était relayé à ce propos sur les réseaux sociaux le « Coup de gueule d’un photographe animalier »[6], suscitant diverses réactions. Ma propre contribution avait été celle-ci :

« Il peut y avoir en effet chez certains des problèmes manifestes de comportement. Mais personne n’est irréprochable. Mais si on écarte même les cas les plus grossiers ou évidents, reste qu’il y a souvent dérangement. A partir de quelle distance gênons-nous ? Quelles fréquences de visites sont acceptables ? quel nombre de photographes ? Quel niveau de bruit ? Etc.

Car la chasse photographique animalière, en particulier pour les oiseaux, est un loisir devenu en vogue et en croissance exponentielle. C’est bien, mais cela a ses effets indésirables (même si on est respectueux) – pour la faune mieux vaut un promeneur qui reste tranquille et passe sur le sentier qu’un chasseur d’image qui fouille les buissons et cherche à approcher la faune… S’ajoute la circulation d’informations, les applications qui localisent les « raretés ». Pour ceux qui connaissent certains lieux et s’adonnent à la « Miroise » depuis 10 ans, 20 ans ou plus, qui n’a pas vu l’évolution de la fréquentation ? Il y a certes l’évolution démographique mais pas que … Le constat est une « disneylandisation » de certains sites. Et là où en rencontrait un observateur tous les 15 jours, avec qui on avait plaisir à échanger, on en croise désormais 5 à l’heure, sans compter les groupes plus ou moins discrets. Quitte à passer pour un vieux grincheux, j’ai la nostalgie de ces époques plus solitaires… ».

C’est loin d’éteindre le sujet ! Et dans son ouvrage Stanislaw Lubienski ajoute :

« Les photographes du dimanche ne savent pas se contrôler, ils poursuivent les oiseaux avec une inconscience totale, sans leur laisser aucun moment de tranquillité et en les dérangeant dans leur recherche de nourriture ». Et de conclure : « En dépit de l’adage, la fin NE JUSTIFIE PAS les moyens ».

 

En baie de Somme, vue du Crotoy - taux idéal de fréquentation (photo par Axel)

Un autre sujet de discorde, surtout en milieu périurbain, est la cohabitation, sur les rares espaces sinon de nature, du moins de verdure, entre les amoureux des oiseaux et les autres franges de populations. Et l’auteur d’évoquer le sujet. Cela se passe du côté de Varsovie :

« Une chaleur accablante, l’air immobile, inerte, et la lampe du soleil allumée dès le point du jour. Les troupeaux arrivent dès l’aurore avec leurs crocodiles gonflables, leurs transats et leurs draps de plage imprimés de bonnes femmes nues. Des foules d’hommes torse nu. Une exhibition des corps peu appétissants et de tatouages difformes. Sonneries de téléphones portables. De vieux Homo sapiens mâles se rafraichissent dans l’eau tels des hippopotames poussifs. Des mamies se font bronzer à demi dévêtues. Les préposés aux barbecues surveillent leurs braises avec zèle et chaque buisson dégage une odeur de pisse. A joutez à cela les détritus. Des monceaux de canettes vides. Des emballages en aluminium nagent majestueusement sur l’étang et des goulots de bouteilles dépassent timidement des roseaux »[7].

Qui n’a pas vécu ce genre de situation ? (Qu’on soit d’ailleurs miroiseur ou simple amoureux du calme). Voir à ce sujet cet autre billet : Un dimanche aux Cinq Tailles

 

Pluviers argentés au repos ( Photo par Axel)

Mais il est question de bien d’autres choses dans ce plaidoyer pour les oiseaux. De James Bond, l’ornithologue ; de peinture et de cigognes, avec l’évocation d’un peintre polonais Jozef Chelmonski et son tableau éponyme. Des cigognes encore et du suivi des nidifications, de leur recul… A propos d’ailleurs de ces oiseaux l’auteur relève que : « l’ancien Testament rangeait la cigogne parmi les oiseaux impurs et prohibait la consommation de sa chair »[8]. Et de citer : « Parmi les oiseaux, voici ceux que vous aurez en horreur et dont, par conséquent, vous ne mangerez pas : l’Aigle, le Gypaète, l’Aigle marin, les différentes espèces de vautours, toutes les espèces de corbeaux, l’Autruche, la Chouette, la Mouette, les différentes espèces d’éperviers, le Hibou, le Cormoran, l’Ibis, le Cygne, le Pélican, le Charognard, la Cigogne, les différentes espèces de hérons, la Huppe et la Chauve-souris »

 

Grands cormorans en vol au dessus des vagues (Photo par Axel)

Au fil des pages, et autres périples de l’auteur, on croisera avec plaisir aussi et surtout moult espèces ailées – furtivement ou plus amplement. J’en cite ici une poignée : la barge rousse, les roitelets huppés et triple bandeaux, la mésange noire, l’autour des palombes, le faucon pèlerin, le jaseur boréal, le pouillot siffleur, la chouette de l’Oural, la grive musicienne, le pic noir, le pic syriaque, le blongios nain, le rollier d’Europe, le rougegorge, la sterne arctique, etc.


Evoquons encore le sort de la Tourte voyageuse, espèce de pigeon exterminée par l'homme en quelques dizaines d'années. Le grand pingouin, décimé lui aussi à la fin du XIXe siècle ...  

 

A sa façon le Parti pris des oiseaux est un livre tragique.

 



[1] Page 54

[2] La dernière illustration en date, il y a peu : au détour d’un virage, non loin de la forêt de Crécy, un oubli de la route pour avoir vu un rapace en vol aux ailes blanches et pointes noires. C’était un beau mâle de busard Saint-Martin en migration, plutôt rare en nos contrées.

[3] Ajoutons aussi certains documentaires ou spectacles de toutes sortes.

[4] P 126

[5] Les pires sont ceux qui n’éprouvent pas d’intérêt particulier pour les oiseaux, et qui souvent ne savent pas ce qu’ils photographient, pratiquant cette activité de loisir d’une manière indifférente. Ils pourraient tout aussi bien « faire » du paysage, du portrait, ou n’importe quoi d’autre… Mais la chasse photographique est à la mode, alors c’est ce qu’ils font- et ils cherchent la coche ! Parfois même il sont nettement mieux équipé que le véritable passionné, trimbalant en bandoulière des milliers d’euros, vêtus comme pour un safari.

[6] https://phototrend.fr/2017/01/david-wolberg-coup-de-gueule-ethique-photo-animaliere/

[7] Page 157

[8] Page 113

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