Cela faisait un moment que j’avais repéré ce roman de Jean Rolin (sorti
en 2018). Enfin j’écris roman mais il s’agit plutôt d’une enquête romanesque et
les personnages cités, pour la plupart, sont des figures bien réelles. En
particulier le colonel Richard Meinetzhagen qui, disons-le fut un sale type doublé
d’un mythomane.
Le prétexte de ce livre est l’observation en mai 2015 d’un traquet kurde mâle « photographié à plusieurs reprises et formellement
identifié, au sommet du Puy-de-Dôme – soit à quelques milliers de kilomètres
tant de sa zone d’hivernage que de sa zone de reproduction -, posé parmi les
rochers et les blocs d’un site archéologique connu sous le nom de temple de
Mercure ». La rencontre d’un oiseau improbable dans les ruines du plus grand sanctuaire de montagne de la Gaule romaine, je l’avoue me séduit.
Et l’auteur de remonter à la source de la découverte de cet oiseau au
début du XIXe siècle par deux ornithologues allemands, Wilhem Friedrich Hemprich et Christian Gottfried Ehrenberg. Le nom scientifique donné à l’oiseau
sera Saxicola xanthoprymna, « et qui a une date indéterminée
sera transférée du genre Saxicola au genre Oenanthe ».
C’est ici qu’intervient Richard Meinetzhagen, « le voleur d’oiseaux »
en 1954 avec son livre le plus célèbre « Birds of Arabia ». Il
y désigne le passereau de « Red-tailed chat. Par suite c’est l’appellation
de red-tailed wheatear qui a prévalu en anglais, et en français celle de
traquet à queue rousse : jusqu’à ce que, dans les premières années du XXIe
siècle, les instances qui président à ce genre de chose n’attribuent à une
partie des traquets à queue rousse le nom de traquet kurde ».
Ainsi en va la taxonomie !
Mais revenons à Meinetzhagen. Notre narrateur et enquêteur trouve « dans
la collection de la revue Ibis, des articles qu’il y avait publiés, et dont
beaucoup contiennent des informations mensongères adroitement glissées parmi d’autres
qui ne le sont pas ».
Meinetzhagen est aussi un voleur d’oiseau disions-nous. Et il se fera
pour la première fois « pincer avec des oiseaux dans son cartable, pas
moins d’une dizaine, à la sortie du British Museum en 1919 ». Pratique
qu’il renouvelle dès qu’il en a la possibilité. Pire « non content de faucher
des oiseaux un peu partout, il les réétiquette afin de s’attribuer la collecte,
mentionnant pour celle-ci des dates et des lieux de son invention, et mettant
ainsi en péril tout l’édifice de la répartition des espèces ». Un
exemple parmi d’autres avec le sizerin flammé, « que les étiquettes
falsifiées font apparaitre comme ayant été collectés Par Meinetzhagen à Blois,
en janvier 1953, alors qu’ils l’ont été réellement dans le Middlesex en 1884 ».
Mais revenons un instant sur un terme qui ne vous a peut-être pas
échappé qui est celui de « collecte ». Ce terme est l’équivalent
de l’euphémisme utilisé aujourd’hui par les chasseurs, qui on le sait ne
flinguent pas les oiseaux mais les « prélèvent ». Eh oui, à l’époque
de Meinetzhagen on pratique encore l’ornithologie à coups de fusil !
Pour l’anecdote la poursuite en 1937 par Meinetzhagen d’un gypaète
barbu pour « l’abattre (car dans les années trente, un ornithologue britannique
pouvait encore se permettre d’abattre un gypaète barbu en Afghanistan, et un ornithologue
indien de rapporter favorablement cet exploit) ». Audubon, le célèbre et
premier peintre et ornithologue du Nouveau-Monde, un siècle auparavant ne
procédait pas autrement, et trouva évident de se faire en quelque sorte « tirer
le portrait », fusil à la main plutôt qu’avec une paire de jumelles.
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Portrait de Jean-Jacques Audubon à 41 ans - Huile sur toile de John Syme, 1826 |
Ouessant est un des hauts-lieux de l’ornithologie, particulièrement en
octobre. Notre narrateur s’y rend un 16 de ce mois béni des grandes migrations.
Et note que la veille de son arrivée, ont été entre autres contactés « pas
moins de 10 pouillots à grands-sourcils, un gobe-mouche nain, un ibis falcinelle,
un bruant lapon et une fauvette babillarde, (…) et dans les premières heures de la
journée un pipit de Richard et une rousserolle des buissons ».
Meinetzhagen a séjourné à Ouessant à plusieurs reprises, et publie en
1948 un article où il se « souvient soudainement d’avoir collecté un
spécimen de locustelle fasciée, le 17 septembre 1933 à 1h20 du matin, au pied
du phare de Créac’h – comme beaucoup de menteurs, Meinetzhagen imagine qu’une
surabondance de détails rendra son mensonge plus vraisemblable ».
Menteur et mythomane, Meinetzhagen le sera bien sûr aussi dans les
autres pans de son existence. Ajoutons-y une bonne dose de propension à la
violence, sinon au meurtre : « L’un de ses crimes avérés remonte
au début de sa carrière militaire, lorsqu’en 1905, au Kenya, il propose une
trêve à un chef rebelle de la tribu des Nandi, et l’attire dans un piège où il
le fait massacrer avec son escorte. (…) Un peu plus tard, posté en Afghanistan,
il se vante d’avoir assassiné, à coups de maillet de polo, un palefrenier qui
venait de malmener son poulain préféré : mais il semble qu’il s’agisse d’une
de ses exagérations dont il est coutumier … » Il se vantera aussi « d’avoir
abattu sous sa tente, le soir de noël 1915, un officier allemand que sou titre ‘duc
de Wecklenburg’ désigne comme un personnage de fiction… » Mais le
trait le plus déplaisant de Meinetzhagen, ajoute le narrateur, « c’est
sa propension à dire dans son journal du mal de tout le monde, et en
particulier de ses amis »
Moi qui, pour avoir lu quelque part, « qu’un amoureux des
oiseaux ne pouvait pas être tout à fait mauvais », me voici contraint
à réviser mon jugement et laisser mes illusions s’envoler en ‘Idéalstan’…
Mais finissons-en avec ce singulier colonel ornithologue pour célébrer
son mariage en 1921 avec Annie Jackson, autre passionnée d’oiseaux et qui finira
en 1928 avec une balle dans la tête (1) !
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Source site Observation.org - Un oiseau peu courant ... |
Et pour enfin revenir sur les traces du fameux traquet kurde, notre
chroniqueur après sa visite au British muséum, ou il croisera Nigel Collar et Pamela Rasmussen, ornithologues de renom, nos contemporains ceux-là, parmi ses
pérégrinations se rendra en janvier 2016, à Villedieu-les-Poêles « afin
d’y rencontrer un pépiniériste normand, d’origine kurde, qu’un journaliste du
Monde m’avait signalé comme susceptible d’avoir photographié cet oiseau dans
son environnement habituel ». L’occasion de se rendre dans la cabane
camouflée dans la propriété du pépiniériste pour une petite séance de miroise :
« Tout d’abord sont arrivées des mésanges charbonnières et des mésanges
bleues, puis une un peu plus rare mésange nonnette, puis des chardonnerets, des
verdiers, enfin un accenteur mouchet ». Un régal !
Je n’ai fait ici que dévoiler que la moitié de ce petit livre (155
pages), mais d’une densité exquise. Un périple qui plaira évidement aux amis
des oiseaux, mais pas seulement. Nous ne pouvons qu’en conseiller la lecture.
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(1) "Annie Meinertzhagen died at her estate at Swordale on 6 July 1928, just over three months after the birth of her third child,[3] in an apparent shooting accident in the presence of her husband. The circumstances of her death were controversial, though no inquest or enquiry took place "