Lecture .... (photo par Axel) |
Me voici quelques années déjà
avec les Essais du sieur de Montaigne résolument à portée de main ;
allant mon rythme dans cette lecture délicieuse, porté par le sentiment d’avoir
trouvé là un bon compagnon qui me cause par-dessus l’épaule. De l’abandonner parfois
des semaines. Mais toujours y revenir.
Suivant sa leçon, je vis du jour
à la journée, ne cherchant « aux livres qu’à m’y donner du plaisir par
un honnête amusement »[1].
Une conversation dilettante, en bonne compagnie.
Et là, profitant du crépuscule,
de finir le dernier chapitre du livre II où il y malmène l’engeance des
médecins de son temps. Qu’on se rassure, ainsi qu’il le confesse à Madame de
Duras, à la fin du chapitre « … je n’eusse pas osé remuer si hardiment les mystères de la médecine,
attendu le crédit que vous et tant d’autres lui donnez, si je n’y eusse été
acheminé par ses auteurs mêmes. Je crois qu’ils n’en ont que deux anciens
Latins, Pline et Celsus. Si vous les voyez quelque jour, vous trouverez qu’ils
parlent bien plus durement à leur art, que je ne fais : je ne fais que la
pincer, ils l’égorgent »[2].
L’effet produit par cette lecture
est singulier, tant il sonne juste par ces temps de Covid et de la guerre des
experts proclamés. Car Montaigne est inactuel. C’est-à-dire actuel par son
atemporalité - touchant à quelques chose de l’universelle condition des hommes.
Et s’il affirme : « La santé je l’ai libre et entière, sans règle,
et sans autre discipline, que ma coutume et de mon plaisir », c’est
que, selon lui, « les médecins ne se contentent point d’avoir la
maladie en gouvernement, ils rendent la santé malade, pour garder qu’on ne
puisse en aucune saison échapper leur autorité. D’une santé constante et
entière, n’en tirent-ils pas l’argument d’une grande maladie à venir ? »
Comment lui donner tort ? La vie, on le sait, est mortelle !
Vue depuis la tour de Montaigne (photo par Axel) |
Et Montaigne, du dedans de sa tour, de décrire par le menu, au fil des pages, toutes les contradictions, proférés avec moult assurance par maîtres de cette science pour un même mal - en particulier de la Gravelle, qui l’accompagna des années ; un plaisant catalogue des ordonnances et prescriptions aux antipodes les unes des autres – ce qui n’est pas sans faire songer aux débats récents sur le port du masque ou la Chloroquine par exemple.
Si aujourd’hui ces discours quant
aux bons remèdes et manières de se tenir lors d’une épidémie, nous émeuvent
tant, au lieu de nous trouver tranquilles, suscitant d’affreux débats et autres
vains pugilats, c’est que, nous dit Montaigne « c’est la crainte de la
mort et de la douleur, l’impatience du mal, une furieuse et indiscrète soif de
la guérison, qui nous aveugle ainsi : c’est pure lâcheté qui nous rend
cette croyance si molle et maniable ». Pire, désormais ce n’est plus
même la maladie tombée sur nos bronches qui nous retourne, mais juste la peur
de la voir surgir au coin de la rue. Ceci expliquant sans doute qu’il nous
arrive de croiser, le soir dans une rue déserte ou dans les bois, au milieu de
nulle part, tel promeneur harnaché de son masque et qui, sur votre passage,
s’empêtre dans un détour considérable…
« Ce fut me semble
Périclès, lequel était enquis, comme il se portait : vous le pouvez
(dit-il) juger par là : montrant des amulettes, qu’il avait attaché au cou
et au bras. Il voulait inférer, qu’il était bien malade, puisqu’il en était
venu jusques là, d’avoir recours à choses si vaines, et de s’être laissé
équiper en cette façon ».
Montaigne à sa manière nous donne
leçon de juste mesure. Ni crédulité ni désinvolture. Mais une invite à exercer
son esprit critique. Et pour finir d’une boutade : « Un médecin
vantait à Nicoclès, son art être de grande autorité : vraiment c’est sûr,
dit Nicoclès, qui peut tuer impunément tant de gens ».
Vue de la tour de Montaigne (photo par Axel) |
[1] Essais,
Livre II, Chapitre X (Des livres)
[2] Essais,
Livre II, Chapitre XXXVII (De la ressemblance des enfants aux pères)
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