1 mai 2021

Pagnol et « Le château de ma mère » ; braconnage et parties de chasse !

 

Paysages au-dessus d'Aubagne (photo par Axel)

« Le château de ma mère », est le second tome de la trilogie des souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol ; œuvre unanimement encensée. Ce volet en particulier est dit-on, « une superbe histoire sur l’amitié enfantine ». C’est possible en effet d’être touché par le mièvre et la tenue ‘morale’ de ce genre de texte, tant la nostalgie de l’enfance idéalisée est un sentiment assez largement partagé. Exaltation de bons sentiments, avec en toile de fond l’arrière-pays provençal, le soleil sur les collines, la garrigue. Voilà une recette propre à produire un « roman émouvant », récit qui sent bon le terroir et le ‘véridique’ !

 

L’ami d’enfance de Pagnol porte le sobriquet de Lili – Lili des Bellons !

 

« Avec l’amitié de Lili, une nouvelle vie commença pour moi. Après le café au lait matinal, quand je sortais à l’aube avec les chasseurs, nous le trouvions assis par terre, sous le figuier, déjà très occupé à la préparation de ses pièges.

Il en possédait trois douzaines, et mon père m’en avait acheté 24 au bazar d’Aubagne ; qui les vendait hypocritement sous le nom de pièges à rats’ » (P 29)

 

Le petit frère, quant à lui, se prénomme Paul. Et se montre plus sensible et soucieux du respect de la vie des bêtes. Et qui, emmené au relevé des pièges, réagit mal : 

 

« En arrivant au Petit-Œil, nous trouvâmes, pris au premier piège, un pinson.

Paul le dégagea aussitôt, le regarda un instant, et fondit en larmes, en criant d’une voix étranglée :

-          Il est mort ! il est mort !

-          - Mais bien sûr, dit Lili. Les pièges, ça les tue !

-          -Je ne veux pas, je ne veux pas ! il faut le démourrir ! … » (P40)

 

Un roman de la bienheureuse ingénuité ? Je laisse chacun en juger … Mais on peut y voir autre chose. Car Pagnol nous conte à la vérité, tout au long de la première partie de ce roman, une histoire d’hécatombes. Un journal faisant état de sa fierté à contribuer au massacre d’oiseaux et autres lézards (jetés) ou petits mammifères. Cela va jusqu’à nausée ; des parties de chasse en famille aux séances de braconnage avec son ami Lili – avec l’évocation au passage de la ‘traditionnelle’ chasse à la glue[1].




Sur le piégeage :

 

« Mon nouvel ami ramassa plusieurs culs-blancs, que les français appellent ‘motteux’, encore deux bédouilles (il m’expliqua que c’était un ‘genre d’alouette’ et trois ‘darnagas’. Les gens de la ville leur disent ‘bec croisé’. Mais nous on leur dit ‘darnagas’, parce que c’est un oiseau imbécile… »[2] (P 17)

 

« - Oh ! dit Lili rougissant. Je mets des pièges pour les oiseaux …

-          Tu en prends beaucoup ?

Il regarda d’abord autour de nous d’un rapide coup d’œil circulaire, puis vida sa musette sur l’herbe, et je fus confondu d’admiration : il y avait une trentaine d’oiseaux. » (P 22)

 

Et même les pique-niques prennent sous la plume de l’académicien des allures de sinistres ball-traps :

 

« Parfois l’oncle Jules, la bouche pleine, saisissait brusquement son fusil, et tirait vers le ciel, à travers les branches, sur quelque chose que personne n’avait vu : et tout à coup tombait une palombe, un loriot, un épervier… » (P 31)

 

A aucun moment du roman l’écrivain régionaliste ne s’interroge sur la cruauté de telles pratiques. Jamais il ne fait montre de la moindre tendresse pour ce qui vit autour de lui ; trop occupé au carnage. Et si un piège n’est plus à sa place :

 

« Nous battions les broussailles, en cercles concentriques, autour du lieu du guet-apens. Souvent, c’était un beau merle, une lourde grive des Alpes, un ramier, une caille, un geai… »[3] (P 32)


Les ruines d'Aubignagne (Photo par Axel)

 



C’est d’ailleurs une époque où les rapaces, encore considérés comme nuisibles ou créatures du diable, étaient abattus où massacrés à vue !

Ainsi l’anecdote d’une chouette piégée (une effraie sans doute au vu de la description – on notera que la bête, en train de s’étouffer, chuchote en réalité des maléfices.)

 

« … nous découvrîmes une chouette blanche : très haute sur ses pattes jaunes, toutes ses plumes hérissées, elle dansait le piège au cou. A demi suffoquée et chuchotant des maléfices[4] (…) la mort toute proche lui ouvrit le bec ; alors rassemblant ses dernières forces, elle repoussa violemment l’engin, et d’un seul coup, s’arracha la tête. » (P 33)

 

Plus terrible encore, l’histoire de la buse :

 

« J’eus cependant la joie et la fierté d’achever une buse aussi grande qu’un parapluie vu de profil : du fond du ravin de Lancelot, mon père la fit tomber d’un nuage ; sur le dos, les serres en l’air, l’oiseau meurtrier me regardait venir à lui. Ses yeux jaunes brillaient de haine et de menace (….) je la tuai férocement à coups de pierres ». (P 168)

 

Il y a ici, en effet, de quoi être fier ! Achever un rapace abattu au fusil par lapidation est tellement un acte héroïque ! Car le seul meurtrier ici ce n’est pas l’oiseau, qui ne tue que pour se nourrir, mais l’enfant - par ricochet que penser de l’adulte qui rapporte ce souvenir, sans éprouver le moindre regret ? Qui ne prend pas la moindre distance avec cet acte d’une cruauté et d’une bêtise crasse ? On peut au passage s’étonner que les admirateurs de Pagnol n’éprouvent le moindre embarras à la lecture de telles aventures ; d’aucuns allant jusqu’à dire que le livre est sans la moindre ‘violence’.

  

Mais sourde une crainte chez Marcel celle, à l’approche d’octobre, de la prochaine rentrée des classes :

 

« Il (Lili) s’élança soudain vers le bord de la barre, où se dressait un beau genévrier, se baissa et leva à bout de bras un oiseau que je pris pour un petit pigeon. Il cria :

-          La première sayre !

Je m’approchai.

C’était une grande grive des Alpes, celle que mon père avait un jour appelée ‘litorne’ » (pp 87/88)

 

Grives litornes (photo par Axel)

Les temps changent, mais les paysages demeurent, plus où moins abimés par l’expansion humaine. Mais il reste si bon de se glisser sur les pentes duGarlaban, sentir le vent et savourer le silence juste troublé par le trille d’une fauvette Pitchou. Et s’engouffrer dans le vallon des Piches et saluer le Circaète Jean-le-Blanc !

A jouir de la campagne provençale, au-dessus d’Aubagne, les mains dans les poches, ou une paire de jumelles en bandoulière.

 

Dans ma vieille édition du « Château de ma mère », la photographie en couverture présente un bouquet de roses. Un merle étranglé par un piège eût mieux fait l’affaire – c’est certes moins vendeur !



[2] Soit donc : traquet motteux, Pipit Farlouse et non pas le bec croisé des sapins mais la pie grièche grise.

[3] Grive des alpes : grive litorne.

[4] On notera au passage le lieu commun.


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