Paysages au-dessus d'Aubagne (photo par Axel) |
« Le
château de ma mère », est le second tome de la trilogie des souvenirs
d’enfance de Marcel Pagnol ; œuvre unanimement encensée. Ce volet en
particulier est dit-on, « une superbe histoire sur l’amitié enfantine ».
C’est possible en effet d’être touché par le mièvre et la tenue ‘morale’ de ce
genre de texte, tant la nostalgie de l’enfance idéalisée est un sentiment assez
largement partagé. Exaltation de bons sentiments, avec en toile de fond l’arrière-pays
provençal, le soleil sur les collines, la garrigue. Voilà une recette propre à
produire un « roman émouvant »,
récit qui sent bon le terroir et le ‘véridique’ !
L’ami
d’enfance de Pagnol porte le sobriquet de Lili – Lili des Bellons !
« Avec l’amitié de Lili, une nouvelle vie
commença pour moi. Après le café au lait matinal, quand je sortais à l’aube
avec les chasseurs, nous le trouvions assis par terre, sous le figuier, déjà
très occupé à la préparation de ses pièges.
Il en possédait trois douzaines, et mon
père m’en avait acheté 24 au bazar d’Aubagne ; qui les vendait
hypocritement sous le nom de pièges à rats’ » (P 29)
Le
petit frère, quant à lui, se prénomme Paul. Et se montre plus sensible et
soucieux du respect de la vie des bêtes. Et qui, emmené au relevé des pièges,
réagit mal :
« En arrivant au Petit-Œil, nous trouvâmes,
pris au premier piège, un pinson.
Paul le dégagea aussitôt, le regarda un
instant, et fondit en larmes, en criant d’une voix étranglée :
-
Il est mort ! il est mort !
-
- Mais bien sûr, dit Lili. Les pièges, ça les
tue !
-
-Je ne veux pas, je ne veux pas ! il faut le
démourrir ! … » (P40)
Un
roman de la bienheureuse ingénuité ? Je laisse chacun en juger … Mais on
peut y voir autre chose. Car Pagnol nous conte à la vérité, tout au long de la
première partie de ce roman, une histoire d’hécatombes. Un journal faisant état
de sa fierté à contribuer au massacre d’oiseaux et autres lézards (jetés) ou petits
mammifères. Cela va jusqu’à nausée ; des parties de chasse en famille aux séances
de braconnage avec son ami Lili – avec l’évocation au passage de la ‘traditionnelle’ chasse à la glue[1].
Sur le piégeage :
« Mon nouvel ami ramassa plusieurs
culs-blancs, que les français appellent ‘motteux’, encore deux bédouilles (il
m’expliqua que c’était un ‘genre d’alouette’ et trois ‘darnagas’. Les gens de
la ville leur disent ‘bec croisé’. Mais nous on leur dit ‘darnagas’, parce que
c’est un oiseau imbécile… »[2] (P
17)
« - Oh ! dit Lili rougissant. Je
mets des pièges pour les oiseaux …
-
Tu en prends beaucoup ?
Il regarda d’abord autour de nous d’un
rapide coup d’œil circulaire, puis vida sa musette sur l’herbe, et je fus
confondu d’admiration : il y avait une trentaine d’oiseaux. » (P 22)
Et
même les pique-niques prennent sous la plume de l’académicien des allures de
sinistres ball-traps :
« Parfois l’oncle Jules, la bouche pleine,
saisissait brusquement son fusil, et tirait vers le ciel, à travers les
branches, sur quelque chose que personne n’avait vu : et tout à coup
tombait une palombe, un loriot, un épervier… » (P 31)
A
aucun moment du roman l’écrivain régionaliste ne s’interroge sur la cruauté de
telles pratiques. Jamais il ne fait montre de la moindre tendresse pour ce qui
vit autour de lui ; trop occupé au carnage. Et si un piège n’est plus à sa
place :
« Nous battions les broussailles, en cercles concentriques,
autour du lieu du guet-apens. Souvent, c’était un beau merle, une lourde grive
des Alpes, un ramier, une caille, un geai… »[3] (P
32)
Les ruines d'Aubignagne (Photo par Axel) |
C’est d’ailleurs une époque où les rapaces, encore considérés comme nuisibles ou créatures du diable, étaient abattus où massacrés à vue !
Ainsi
l’anecdote d’une chouette piégée (une effraie sans doute au vu de la
description – on notera que la bête, en train de s’étouffer, chuchote en
réalité des maléfices.)
« … nous découvrîmes une chouette
blanche : très haute sur ses pattes jaunes, toutes ses plumes hérissées,
elle dansait le piège au cou. A demi suffoquée et chuchotant des maléfices[4] (…) la mort toute
proche lui ouvrit le bec ; alors rassemblant ses dernières forces, elle
repoussa violemment l’engin, et d’un seul coup, s’arracha la tête. »
(P 33)
Plus
terrible encore, l’histoire de la buse :
« J’eus cependant la joie et la fierté
d’achever une buse aussi grande qu’un parapluie vu de profil : du fond du
ravin de Lancelot, mon père la fit tomber d’un nuage ; sur le dos, les
serres en l’air, l’oiseau meurtrier me regardait venir à lui. Ses yeux jaunes
brillaient de haine et de menace (….) je la tuai férocement à coups de pierres ».
(P 168)
Il
y a ici, en effet, de quoi être fier ! Achever un rapace abattu au fusil
par lapidation est tellement un acte héroïque ! Car le seul meurtrier ici ce
n’est pas l’oiseau, qui ne tue que pour se nourrir, mais l’enfant - par
ricochet que penser de l’adulte qui rapporte ce souvenir, sans éprouver le
moindre regret ? Qui ne prend pas la moindre distance avec cet acte d’une cruauté
et d’une bêtise crasse ? On peut au passage s’étonner que les admirateurs de
Pagnol n’éprouvent le moindre embarras à la lecture de telles aventures ;
d’aucuns allant jusqu’à dire que le livre est sans la moindre ‘violence’.
Mais
sourde une crainte chez Marcel celle, à l’approche d’octobre, de la prochaine
rentrée des classes :
« Il (Lili) s’élança soudain vers le bord de
la barre, où se dressait un beau genévrier, se baissa et leva à bout de bras un
oiseau que je pris pour un petit pigeon. Il cria :
-
La première sayre !
Je m’approchai.
C’était une grande grive des Alpes,
celle que mon père avait un jour appelée ‘litorne’ » (pp 87/88)
Grives litornes (photo par Axel) |
Les
temps changent, mais les paysages demeurent, plus où moins abimés par
l’expansion humaine. Mais il reste si bon de se glisser sur les pentes duGarlaban, sentir le vent et savourer le silence juste troublé par le trille d’une
fauvette Pitchou. Et s’engouffrer dans le vallon des Piches et saluer le
Circaète Jean-le-Blanc !
A
jouir de la campagne provençale, au-dessus d’Aubagne, les mains dans les
poches, ou une paire de jumelles en bandoulière.
Dans
ma vieille édition du « Château de ma mère », la photographie en
couverture présente un bouquet de roses. Un merle étranglé par un piège eût
mieux fait l’affaire – c’est certes moins vendeur !
[1] https://www.liberation.fr/environnement/biodiversite/chasse-a-la-glu-la-france-collee-par-la-justice-europeenne-20210317_7NKL6DM5KRHDLLLBCJJATHCW3I/
[2]
Soit donc : traquet motteux, Pipit Farlouse et non pas le bec croisé des
sapins mais la pie grièche grise.
[3] Grive des alpes :
grive litorne.
[4] On notera au passage le
lieu commun.
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