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Pegasos Hotel
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Il convient de prêter une attention particulière aux
livres que l’on emporte au bord des piscines ; une faute de goût en la
matière pouvant irrémédiablement contrarier les délices du farniente balnéaire.
Et comme il y a des gradations dans le meilleur ou
le pire, il est en général bon de prévoir, en quelque sorte, une tenue de
rechange… Mais il y a des valeurs sures.
Quoi de plus jouissif en effet, de se retrouver par
un matin calme, alangui dans un transat un Blue
Greek ou une Tequila sunrise à
portée de main, en compagnie de Stendal, de l’impératrice Elisabeth d’Autriche,
de Schopenhauer, ou encore d’Oscar Wilde. Et, lunettes de soleil ajustées aux
regards flottant des débuts de journées, relever au fil de la lecture une
citation du genre :
« Je ne
suis pas du tout cynique, j’ai seulement de l’expérience – c’est à peu près la
même chose. »
Mais j’aurai pu tout aussi bien, plutôt qu’une
phrase de Wilde, reprendre Nietzsche ou Paul Rée. Du premier, par exemple :
« Le
mesure suprême de la force : dans quelle mesure un homme peut-il vivre sur
des hypothèses, et non sur la croyance, c’est-à-dire s’aventurer sur des mers
illimités ».
Et du second, qui se targuait d’être un « penseur
occasionnel » :
« Expliquer
un objet de manière trop, profonde est une plus mauvaise chose encore que de
l’expliquer de manière trop plate ».
L’avantage des voyages hors saison scolaire, est de
presque pouvoir éviter les familles accompagnées de leur infâme progéniture. Je
dis presque car il n’est de règle qui ne souffre d’exceptions. Et il se
trouvera toujours tel ressortissant russe ou bavarois pour nous imposer, outre ses
borborygmes, les cris ou les pleurs des miniatures à son effigie – Pour faire
bonne figure, un couple aussi de franchouillards, trainant dans leur sillage
leur marmaille juste pondue. Aussi lira-t-on avec d’autant plus de délectation
que « Byron proclamait son
admiration pour Hérode et ne supportait en voyage la compagnie des enfants que
s’il était suivi d’un étrangleur. »
Il y a tout cela, et plus encore dans La Tentation
nihiliste de Roland Jaccard. Tout d’abord une mise en ambiance avec valeur quasi
programmatique : « Le nihiliste
moderne préférera les grands hôtels au tonneau de Diogène : c’est dans les
salons des palaces qu’il observera l’étrange bestiaire des
« caractères » et l’incessant manège des homuncules courant après
leurs vices et leurs affaires qui d’ailleurs n’en font qu’un. (…) cette compagnie de dandys et de
coquettes, de gandins et de séductrices n’est en réalité qu’une horde de
loqueteux auxquels on a arraché le visage, dépiauté l’enveloppe ; ils
volettent d’un point lumineux à un autre pour se dérober aux ténèbres qui
pèsent sur leurs ailes… ».
Le délice aussi d’un ton de conversation cultivée, flattant
notre goût des petites phrases, des fragments, avec cet art, sans en avoir l’air,
de toucher au cœur…
Ainsi : « Tout journal intime est celui d’un homme de trop ». Mais aussi :
« …. C’est sur une chaise électrique
qu’on devrait asseoir tous ceux qui rêvent de laisser une trace en nous
assenant le récit de leurs exploits. S’ils ont droit parfois à notre
indulgence, à nos sourires complices, à notre admiration torve, c’est pour
avoir bravé le ridicule… Ce qui, après tout, est une forme d’héroïsme qui en
vaut d’autres et qui mérite bien les applaudissements des badauds. »
Et si j’ai évoqué les bénéfices à se prélasser au
bord de la mer Égée lorsque les enfants sont à l’école, il se dégage parfois a
contrario, en ces périodes en demi-teinte, le sentiment d’être cerné par les
pensionnaires d’une maison de retraite ; avec un état de décrépitude bien
avancée pour certains, qui nous fera relever cette autre phrase : « Il nous en faudra une bonne dose pour nous
écrier joyeusement au soir de notre vie : ‘comme je deviens pittoresque !’ »
Bref, aucune ne saison ne pourrait convenir. De
toute façon « Nous nous
flattons d’aimer l’homme, mais nous haïssons notre voisin. » Et au
bord de la piscine, ou à la plage, les voisins grouillent… Alors, sinon sur les
fesses d’une jolie fille, autant porter son regard sur la ligne d’horizon, au
loin là où le ciel mange la mer et, avec Cioran, relever que « La mélancolie n’est pas le malheur, mais le
sentiment de malheur…. ». Nous rappelant en même temps qu’« aucune dépression ne résiste à une heure de
travaux manuels. » et que « c’est
le confort qui permet au désespoir cosmique de s’épanouir. Le ventre vide on ne
désespère jamais de l’univers. »
Mais le soir approche, l’ombre s’avance sur l’hôtel
et notre verre est vide. Une amertume sans net contours nous gagne… C’est toute l’ambivalence du
rapport à nos congénères. Sans eux on ne pourrait vivre. Mais dès que leur
haleine se fait sentir dans notre dos nous prend des envies de meutre !
La plage peu à peu est rendue à son désert.
Imperceptiblement,
sans avoir l’air d’y toucher. Les dernières gouttes de soleil s’épuisent – on voudrait les retenir.
Là-bas, sur les planches un jeune couple s’enlace avant de rentrer. Et penser,
avec Proust : « Ce qu’il
y a de bien avec le bonheur des autres, c’est qu’on y croit ».
Voilà qu’« à
peine a-t-on appris à se connaitre et à s’accepter que déjà la vie nous quitte ».
Un livre de voyage, assurément…