Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


25 sept. 2022

Promenade à la Mothe-Chandeniers

 

Vue des façades Sud et Est (photo par Axel)

S’il est des lieux qui suintent le romantisme, au sens d’une poétique des ruines, l’archétype en est assurément le château de la Mothe-Chandeniers.

A déambuler dans la région de Chinon, entre la forteresse royale et les chais à flanc de falaise ou il est bon de se rafraîchir tout dégustant un cru millésimé, le détour est imperceptible, surtout si on arrive par Loudun et ses diables, méditant sur le destin torturé de Sœur Jeanne, dite des Anges

 

Arrivé aux Trois-Mouthiers, entre les cours paisibles de la Barousse et de la Boire, la vue du château depuis le parking n’est guère engageante. Ne dépassent en effet au-dessus des arbres que les toitures d’une poignée de tours emballées dans un dense treillis d’échafaudages. De quoi refroidir les élans lyriques, et d’être tenté de passer son chemin. Mais, contrairement au dicton, les premières impressions ne sont pas forcément les bonnes … Et passé le guichet, une fois engagé dans le parc, abordant les ruines par leur versant sud c’est le ravissement !  

 

Ramier perché (photo par Axel)

Vue de la façade Sud (Photo par Axel)

Balcon de la façade Sud (photo par Axel)

Façade Sud (Photo par Axel)

Abandonné pendant près d’un siècle et retourné à la nature le château fut racheté en 2017 par une société à fonds participatifs, devenant à la foulée la plus grande copropriété du monde. Ainsi est-il possible, à peu de frais, de devenir Co-châtelain de la Mothe-Chandeniers et de contribuer à la préservation et la restauration du château, en conservant bien sûr la féérie des lieux … La nature entremêlée à la pierre et ses reflets d’eau ; inextricablement embrassés.

 

« Le château forteresse est mentionné dès la fin du XIe siècle sous le nom de la Mothe-de-Bauçay. Hugues III de Bauçay en est probablement le seigneur et bâtisseur. Cette puissante famille possédera cette terre jusqu’au début du XVe siècle. A cette époque, Marie de Bauçay apporte le château en dot à Guillaume de Chaunay, seigneur de Champdeniers (Deux Sèvres). La famille de Rochechouart prend possession des lieux en 1448 lorsqu’Anne de Chaunay se marie à Jean de Rochechouart, formant ainsi la branche des Rochechouart-Chandenier. Le château porte alors le nom de la Mothe-Chandenier ou Mothe-de-Bauçay.[1] »

Je passe ici les détails, mais le château passera ensuite, au fil des siècles entre différentes mains et sera reconstruit dans les années 1870 dans un style néogothique. Le feu le ravagera en 1932 et il tombera peu à peu à l’état de ruine ; des ruines ou la nature reprendra ses droits, conférant au fil des ans un aspect fantastique à l’édifice …

 

Angle de la façade Est (photo par Axel)

Miroir d'eau (photo par Axel)

Balcon vénitien de la façade Est (photo par Axel)

Des arbres sinuent aux fenêtres, des grappes de lierre plongent des balcons. La blancheur de l’architecture tranche idéalement avec le glauque limpide des douves. Sensation renforcée par la verdure s’élançant des murs. Ici ou là des branchages cherchent le ciel et la lumière. Les oiseaux viennent s’y reposer. Des ramiers et des tourterelles, des rougegorges flamboyants et des mésanges afférées … Les recoins et les niches sont aussi le domaine des troglodytes aux chants explosifs … S’ébrouent parmi les buissons les grives et les merles furtifs qui viendront au crépuscule se percher haut pour nous enchanter de leur répertoire. Et la nuit venue on imagine bien venir se poser dans l’échancrure d’un mur, une chevêche d’Athéna – vigie du domaine. Sans oublier au printemps la mélodie du rossignol, si chère à Châteaubriand.

 

La visite des lieux s’inscrit dans une circonvolution trigonométrique, cercle à rebours qui se termine par la cour intérieure. Bref, pour l’essentiel une promenade nonchalante et rêveuse autour du château.

Chaque façade a son charme et ses mystères.

La façade sud est la première que l’on découvre. L’effet est saisissant et on ne lasse pas d’admirer on ne sait d’ailleurs trop quoi - à boire l’ambiance si particulière qui se dégage de ce fragile équilibre entre nature et architecture. Impressionnés sans doute par l’harmonie des lieux ; cette délicatesse silencieuse et un peu flottante …

On emprunte alors un pont suspendu en bois qui amène nos regards sur la façade est, là où se trouvent la terrasse et le balcon vénitien. Le lichen y prospère et poussent des petits cornouillers. Au fils de l’eau, entre deux tours opportunément dissymétriques, les arches et colonnades se mirent dans le miroir à la fois mouvant et immobile de l’onde.

Façade Nord (photo par Axel)

Pont qui conduit à la cour intérieure (photo par Axel)

Mécanisme de l'écluse (photo par Axel)

De la façade Nord on retiendra surtout le romantisme du mécanisme rouillé actionnant les écluses de la douve du château. Altérité du métal et de ses engrenages …  

Dans la cour intérieure enfin, redevenue sauvage, se côtoient le blason des famille Ardouin et D’Ornezan et les mousses, les fougères et la verdure de l’ombre venue recouvrir d’anciens escaliers.

Cour intérieure (photo par Axel)

Cour intérieure (photo par Axel)

Cour intérieure (photo par Axel)

Cour intérieure (photo par Axel)

Cour intérieure (photo par Axel)

Cour intérieure (photo par Axel)



8 sept. 2022

Le Traquet Kurde, histoire d’un périple …

 


Cela faisait un moment que j’avais repéré ce roman de Jean Rolin (sorti en 2018). Enfin j’écris roman mais il s’agit plutôt d’une enquête romanesque et les personnages cités, pour la plupart, sont des figures bien réelles. En particulier le colonel Richard Meinetzhagen qui, disons-le fut un sale type doublé d’un mythomane.

 

Le prétexte de ce livre est l’observation en mai 2015 d’un traquet kurde mâle « photographié à plusieurs reprises et formellement identifié, au sommet du Puy-de-Dôme – soit à quelques milliers de kilomètres tant de sa zone d’hivernage que de sa zone de reproduction -, posé parmi les rochers et les blocs d’un site archéologique connu sous le nom de temple de Mercure ». La rencontre d’un oiseau improbable dans les ruines du plus grand sanctuaire de montagne de la Gaule romaine, je l’avoue me séduit.

Et l’auteur de remonter à la source de la découverte de cet oiseau au début du XIXe siècle par deux ornithologues allemands, Wilhem Friedrich Hemprich et Christian Gottfried Ehrenberg. Le nom scientifique donné à l’oiseau sera Saxicola xanthoprymna, « et qui a une date indéterminée sera transférée du genre Saxicola au genre Oenanthe ».

C’est ici qu’intervient Richard Meinetzhagen, « le voleur d’oiseaux » en 1954 avec son livre le plus célèbre « Birds of Arabia ». Il y désigne le passereau de « Red-tailed chat. Par suite c’est l’appellation de red-tailed wheatear qui a prévalu en anglais, et en français celle de traquet à queue rousse : jusqu’à ce que, dans les premières années du XXIe siècle, les instances qui président à ce genre de chose n’attribuent à une partie des traquets à queue rousse le nom de traquet kurde ».

Ainsi en va la taxonomie !

 

Mais revenons à Meinetzhagen. Notre narrateur et enquêteur trouve « dans la collection de la revue Ibis, des articles qu’il y avait publiés, et dont beaucoup contiennent des informations mensongères adroitement glissées parmi d’autres qui ne le sont pas ».

Meinetzhagen est aussi un voleur d’oiseau disions-nous. Et il se fera pour la première fois « pincer avec des oiseaux dans son cartable, pas moins d’une dizaine, à la sortie du British Museum en 1919 ». Pratique qu’il renouvelle dès qu’il en a la possibilité. Pire « non content de faucher des oiseaux un peu partout, il les réétiquette afin de s’attribuer la collecte, mentionnant pour celle-ci des dates et des lieux de son invention, et mettant ainsi en péril tout l’édifice de la répartition des espèces ». Un exemple parmi d’autres avec le sizerin flammé, « que les étiquettes falsifiées font apparaitre comme ayant été collectés Par Meinetzhagen à Blois, en janvier 1953, alors qu’ils l’ont été réellement dans le Middlesex en 1884 ».

 

Mais revenons un instant sur un terme qui ne vous a peut-être pas échappé qui est celui de « collecte ». Ce terme est l’équivalent de l’euphémisme utilisé aujourd’hui par les chasseurs, qui on le sait ne flinguent pas les oiseaux mais les « prélèvent ». Eh oui, à l’époque de Meinetzhagen on pratique encore l’ornithologie à coups de fusil !

Pour l’anecdote la poursuite en 1937 par Meinetzhagen d’un gypaète barbu pour « l’abattre (car dans les années trente, un ornithologue britannique pouvait encore se permettre d’abattre un gypaète barbu en Afghanistan, et un ornithologue indien de rapporter favorablement cet exploit) ». Audubon, le célèbre et premier peintre et ornithologue du Nouveau-Monde, un siècle auparavant ne procédait pas autrement, et trouva évident de se faire en quelque sorte « tirer le portrait », fusil à la main plutôt qu’avec une paire de jumelles.

 

Portrait de Jean-Jacques Audubon à 41 ans - Huile sur toile de John Syme, 1826

Ouessant est un des hauts-lieux de l’ornithologie, particulièrement en octobre. Notre narrateur s’y rend un 16 de ce mois béni des grandes migrations. Et note que la veille de son arrivée, ont été entre autres contactés « pas moins de 10 pouillots à grands-sourcils, un gobe-mouche nain, un ibis falcinelle, un bruant lapon et une fauvette babillarde, (…) et dans les premières heures de la journée un pipit de Richard et une rousserolle des buissons ».

Meinetzhagen a séjourné à Ouessant à plusieurs reprises, et publie en 1948 un article où il se « souvient soudainement d’avoir collecté un spécimen de locustelle fasciée, le 17 septembre 1933 à 1h20 du matin, au pied du phare de Créac’h – comme beaucoup de menteurs, Meinetzhagen imagine qu’une surabondance de détails rendra son mensonge plus vraisemblable ».

 

Menteur et mythomane, Meinetzhagen le sera bien sûr aussi dans les autres pans de son existence. Ajoutons-y une bonne dose de propension à la violence, sinon au meurtre : « L’un de ses crimes avérés remonte au début de sa carrière militaire, lorsqu’en 1905, au Kenya, il propose une trêve à un chef rebelle de la tribu des Nandi, et l’attire dans un piège où il le fait massacrer avec son escorte. (…) Un peu plus tard, posté en Afghanistan, il se vante d’avoir assassiné, à coups de maillet de polo, un palefrenier qui venait de malmener son poulain préféré : mais il semble qu’il s’agisse d’une de ses exagérations dont il est coutumier … » Il se vantera aussi « d’avoir abattu sous sa tente, le soir de noël 1915, un officier allemand que sou titre ‘duc de Wecklenburg’ désigne comme un personnage de fiction… » Mais le trait le plus déplaisant de Meinetzhagen, ajoute le narrateur, « c’est sa propension à dire dans son journal du mal de tout le monde, et en particulier de ses amis »

Moi qui, pour avoir lu quelque part, « qu’un amoureux des oiseaux ne pouvait pas être tout à fait mauvais », me voici contraint à réviser mon jugement et laisser mes illusions s’envoler en ‘Idéalstan’…

 

Mais finissons-en avec ce singulier colonel ornithologue pour célébrer son mariage en 1921 avec Annie Jackson, autre passionnée d’oiseaux et qui finira en 1928 avec une balle dans la tête (1) !

 

Source site Observation.org - Un oiseau peu courant ...

Et pour enfin revenir sur les traces du fameux traquet kurde, notre chroniqueur après sa visite au British muséum, ou il croisera Nigel Collar et Pamela Rasmussen, ornithologues de renom, nos contemporains ceux-là, parmi ses pérégrinations se rendra en janvier 2016, à Villedieu-les-Poêles « afin d’y rencontrer un pépiniériste normand, d’origine kurde, qu’un journaliste du Monde m’avait signalé comme susceptible d’avoir photographié cet oiseau dans son environnement habituel ». L’occasion de se rendre dans la cabane camouflée dans la propriété du pépiniériste pour une petite séance de miroise : « Tout d’abord sont arrivées des mésanges charbonnières et des mésanges bleues, puis une un peu plus rare mésange nonnette, puis des chardonnerets, des verdiers, enfin un accenteur mouchet ». Un régal !

 

Je n’ai fait ici que dévoiler que la moitié de ce petit livre (155 pages), mais d’une densité exquise. Un périple qui plaira évidement aux amis des oiseaux, mais pas seulement. Nous ne pouvons qu’en conseiller la lecture.



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(1) "Annie Meinertzhagen died at her estate at Swordale on 6 July 1928, just over three months after the birth of her third child,[3] in an apparent shooting accident in the presence of her husband. The circumstances of her death were controversial, though no inquest or enquiry took place "