Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


29 nov. 2018

Au cap Gris-Nez, parmi les oiseaux

Vue du Gris-nez (photo par Axel)

Il est singulier, pour qui habité dans les Hauts-de-France, et qui éprouve une affection particulière pour les oiseaux, d’être habité du sentiment tenace de n’avoir jamais posé ses semelles au cap Gris-Nez. Ce qui est objectivement faux, et sans doute m’y suis-je déjà rendu lorsqu’enfant j’accompagnais mes parents dans les périples les plus lointains que leurs moyens d’alors leur permettaient. Du côté de Wissant en particulier. Mais ces souvenirs sont si loin, si parcellaires qu’il ne me restait rien des paysages tout en ondulation du bord de mer, dans le boulonnais, là où la terre s’en va saluer les falaises anglaises, dressées en face, presque à portée de bras.     

Ce qui frappe lorsqu’on se rapproche du Gris-nez c’est l’absence d’arbres, de bosquets. Mais l’absence n’est pas un manque, tout au contraire. Et avec un beau soleil de novembre, tôt le matin, la lumière y est sublime, les prairies d’un vert intense dégoulinant jusqu’à la ligne d’horizon, avant de s’écrouler dans la mer. Le nom de Gris-nez provient du vieux flamand, Grisenesse, qui signifie « cap gris », le suffixe nesse, étant lui-même issu du saxon naes, voulant dire promontoire. Gris, cette avancée plantée en surplomb du « channel » ne l’est pas véritablement, sauf peut-être par gros temps. Aussi, soit-il permis de préférer une autre étymologie, avec Swartenesse, le « cap noir ». Non pas ce noir du désespoir, du deuil ou de la désolation, mais le fuligineux des songes mystérieux, filant à tire d’aile au ras des vagues. Car le Gris-nez est un paysage épique à sa manière, une lande côtière habité de ses mystères…  C’est également un haut lieu d'observation des oiseaux migrateurs.

En surplomb de la falaise (photo par Axel)
Il est bon de s’y poster sur les hauteurs, accroché au bord du vide cinglé par le vent, et se délecter du spectacle des magnifiques voiliers du ciel que sont les goélands. Un défilé permanent à portée de main, ou presque… Pareils à ces « Indolents compagnons de voyages » de Baudelaire, ils observent curieusement ces bipèdes accroupis dans l’herbe et qui les fixent de leurs binoculaires. Mais le parallèle s’arrête là. Nonchalants les goélands, avec les labbes beaucoup plus rares, incarnent à leur façon la noblesse des nues en ces latitudes tempérées du bord de mer. D’une envergure certes plus modeste que l’Albatros ils se laissent porter par le vent et tissent leur route au gré des opportunités…

Goéland argenté (plumage adulte hivernal (photo par Axel)
Ces oiseaux appartiennent à la grande famille des laridés. Ils sont d’ailleurs souvent les oubliés des observateurs. Cela tient sans doute à diverses raisons. Parmi celles-ci, le sentiment pour le commun qu’il s’agit là d’oiseaux banals, ordinairement rangés en deux catégories fourre-tout : les mouettes et les goélands, sans prendre conscience de la diversité des espèces observables. Or, ce n’est pas moins de 6 variétés de goélands et 5 de mouettes, que l’on peut voir plus ou moins aisément dans les hauts-de-France. Ceci sans tenir compte des raretés ou des sternes et autres guifettes. Pour la passionnés d’oiseaux se greffe une autre difficulté : celle de pouvoir à coup sûr identifier l’espèce observée. Car si, d’une part, certaines variations peuvent être ténues en membres de deux espèces en plumage d’adulte nuptial (par exemple entre un goéland argenté et Leucophée), d’autre part ces oiseaux changent de plumage en hiver, écueil auquel s’ajoute celui de leur croissance, sachant qu'ils mettent de 2 à 4 ans (selon l’espèce) avant d’atteindre l’âge adulte. Ainsi parlera-t-on par exemple d’un goéland marin immature, en plumage de premier hiver, de premier été, de second hiver, etc. Les nuances sont très subtiles et il faut imaginer que certains critères ne tiennent qu’à différence de coloration de certaines parties de rémiges.
Mais rien n’interdit de les photographier à loisir, de se délecter de cette diversité extrême ; de cette mise à l’épreuve de l’acuité de nos sens.

Goéland Marin (second ou troisième hiver) (photo par Axel)
Deux goélands immatures (photo par Axel)

Goéland argenté (adulte hivernal) (photo par Axel)


Mais au Gris-nez, nombre d’ornithologues plus ou moins aguerris, ainsi que les miroiseurs[1] de toutes plumes, viennent la plupart du temps équipés de leurs longues-vues pour s’adonner à ce qu’on appelle, faute de mieux, « sea watching » - le terme français reste à inventer ! Les meilleures conditions météorologiques pour ce genre de pratique sont réunies lorsque soufflent des vents de nord-ouest assez forts pour pousser les oiseaux de passage au plus près des côtes (de la jolie brise au grand frais – degré Beaufort 4 à7). 
Fou de Bassan à la pêche (photo par Axel)

Dans ce couloir migratoire, faisant goulot d’étranglement (l’impression est très relative lorsqu’on se trouve face à l’immensité des flots), on vient pour l’essentiel observer les espèces dites pélagiques ; c’est-à-dire passant l’essentiel de leur vie en mer, n’y faisant exception qu’en période de reproduction ; soit les océanites et les puffins, les labbes, les alcidés (pingouins et assimilés), le fulmar boréal et le fou de Bassan. Mais il n’est pas rare d’y voir passer ou s’arrêter d’autres familles oiseaux : des grèbes huppés venus batifoler dans les vagues, des grappes de macreuses, de tadornes, de cormorans ou de bernaches, cravachant droit juste au-dessus de l’eau. Parfois, plus singulièrement on découvrira assez haut dans le ciel le flip-flop tranquille d’un groupe de vanneaux huppés, surgis sur la ligne d’horizon l’air de rien.
Parmi les individus des espèces pélagiques, certains ne font que filer, solitaires ou le plus souvent en groupe, tandis que d’autres s’ébattent dans les flots pour le plus grand plaisir des observateurs. Parmi ces derniers une place particulière doit être faite ici au fou de Bassan, assez nombreux au Gris-Nez, et dont on peut à loisir admirer l’impressionnante technique de pêche !




Fou de bassan (photo par Axel)
Vol de pingouins Torda & posé un fou de Bassan (Photo par Axel)
Bécasseaux variables (photo par Axel)


Mais le Gris-Nez ne se limite pas au cap proprement dit et sa falaise. Et à marée presque haute, un tour le long de la plage se révèlera être le complément ornithologique indispensable de qui souhaite observer les limicoles, littéralement les oiseaux du limon.
Sans entrer ici dans le détail il faut savoir que ces familles oiseaux se caractérisent aussi par des plumages distincts selon les saisons et les âges. D’où parfois certaines difficultés à l’identification.
Au nourrissage les limicoles ne sont en général pas farouches et, pour peu que l’on soit assez discret, il n’est pas rare de pouvoir les approcher à quelques mètres. C’est là un enchantement toujours renouvelé. Ainsi voir filer à vos pieds en tous sens, le long de la ligne des vagues, des bécasseaux sanderling dans leur livrée blanche est un régal. Souvent ils sont accompagnés de bécasseaux variables. Mais en observant mieux les alentours, on découvrira avec eux souvent d’autres espèces, dont le Tournepierre à collier, le chevalier gambette, le grand Gravelot et parfois le Pluvier argenté.




Grand Gravelot (photo par Axel)
Bécasseaux sanderling au nourrissage (photo par Axel)
Vol de limicoles : bécasseaux variables & Sanderling et 1 Tournepierre prêt à décoller (Photo par Axel)
Bécasseau Sanderling (au premier plan) & 2 variables (photo par Axel)


Enfin, si le cœur vous en dit et que le soleil n’est pas encore trop bas sur l’horizon, pas très loin du cap, en direction de Wissant, il sera possible, pour finir la journée en beauté, de faire halte aux observatoires de Tardinghem à la rencontre du martin-pêcheur, de la bécassine des marais, du râle d’eau et bien d’autres espèces encore : la buse variable et le faucon crécerelle, des canards (sarcelles d’hiver, canards souchets, chipeau ou siffleurs), des échassiers (grand aigrette, héron cendré) et moult sortes de passereaux.

Bécassine des marais (photo par Axel)



[1] Miroise (terme québécois) : activité de loisir ou de curiosité qui consiste à rechercher visuellement, ou auditivement les oiseaux, à les identifier et à facultativement enregistrer leur présence dans une comptabilité sommaire. C'est l'équivalent en anglais de birding, ou de bird-watching (le terme ornithologie devrait être réservé à l'activité scientifique, alors que miroise convient bien à l'activité de loisir)