Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


24 mai 2018

A la villa Casale, parmi les mosaïques

Vallée des temple d'Agrigente (photo par Axel)
[Cliquer sur la légende pour la photographie en grand format]

L’enfilade des temples déroule son cortège de colonnades au soleil.  Une vallée qui porte bien mal son nom ; promontoire serait en effet plus juste…  Au-devant, la mer et en arrière-plan s’étire le cordon coloré de la ville d’Agrigente.

Dans la tombe d’Empédocle ne repose qu’une sandale, le reste ayant été avalé par l’Etna. On raconte que le philosophe présocratique « … s'habillait de vêtements de pourpre avec une ceinture d'or, des souliers de bronze et une couronne delphique. Il portait des cheveux longs, se faisait suivre par des esclaves, et gardait toujours la même gravité de visage. Quiconque le rencontrait croyait croiser un roi » Pour souscrire à ce portrait il faut en croire, Favorinus d'Arles, philosophe sceptique du second siècle de notre ère. Ce qui nous rapproche de l’époque qui nous intéresse ici.

Car il faut nous faut désormais tourner les yeux vers l’intérieur des terres, à une bonne heure à vol d’oiseau ; ces messagers des dieux que rien ne détourne de leur route. Et de les observer passer : à destra, pour le meilleur ; à sinistra pour les augures funestes. Là-bas, à une poignée de kilomètres de la ville de Piazza Armerina, se trouvent les décombres fameux d’une villa romaine dont la construction remonte au bas-Empire, à la fin du troisième siècle. De la bâtisse en elle-même il ne reste pas grand-chose. Mais sa célébrité réside dans ses 3500 m2 de mosaïques, réparties sur une trentaine de pièces décorées : couloirs, corridors, thermes, ambulacre, palestre ou encore triclinium…

Vue de la Villa Casale (photo par Axel)

L’identification du propriétaire ou du commanditaire de la villa Casale est toujours sujet de controverse parmi les spécialistes. Lors de la mise au jour du faste des mosaïques et à la découverte conjointe de monnaie de bronze, on songea tout d’abord à une résidence impériale ; peut-être celle de l’empereur Maximilien Hercule (vers 250 – 310). Puis on pensa que cette demeure pouvait avoir appartenu à un gouverneur de Sicile du quatrième siècle, un certain Lucius Aradius Valerius Proculu, ou encore à d’autres riches notables romains. D’aucuns avancèrent même l’hypothèse d’un lupanar.
Aujourd’hui si, faute de la découverte d’indices décisifs, il est impossible de connaitre le nom du propriétaire de la villa Casale, on s’accorde sur la haute probabilité de l’influence des familles impériales romaines, ou des membres du Sénat.  

Villa Casale - Frigidarium (photo par Axel)
Redécouverte en 1812 par un antiquaire romain, « appelé Sabatino Del Muto, ayant remarqué que certaines familles de Piazza Armerina possédaient des pièces archéologiques en marbre d’époque romaine, ainsi que des monnaies et des bijoux de diverses époques »[1], la Villa Casale ne fera l’objet de fouilles ampleur qu’à partir de 1929, conduites par Paolo Orsi.  Mais malgré la découverte d’une grande mosaïque représentant les travaux d’Hercule, la poursuite des travaux lui sera interdite par la propriétaire du terrain d’alors, cette dernière ne voulant pas endommager sa noiseraie – tout comme avaient étaient stoppées en leur temps la poursuite des explorations de Del Muto par un aéropage de citoyens de Piazza Armerina (probablement intéressés à s’accaparer les trouvailles sur le site)[2].
La ville de Piazza Armerina finira par acquérir l’ensemble des terrains sur lesquels s’étendait la Villa Casale et, à partir de 1955, débuteront les travaux de fouille pour mettre au jour l’ensemble monumental en son entier. Soit 3500 m2 de sols en mosaïques.

Un mot encore, avant une petite visite en image de la Villa, à propos de la raison de l’exceptionnel état de préservation des mosaïques. J’emprunte ici à l’excellent livre d’Enzo Cammarata (voir note 1) :
« Nous pouvons situer la destruction et l’abandon de la Villa, qui se produisit durant l’époque normande, à la suite du tremblement de terre du 4 février 1169. La Villa fut alors complément ensevelie (…) Cet événement, qui a permis au site de se conserver sans altérations jusqu’à nos jours, l’a aussi sauvé des incursions désastreuses des pirates et de dangers imminents, notamment des invasions barbares, qui commencent à la crise du Moyen-Age »[3]

Et maintenant, place aux pérégrinations parmi les allées et les salles de ce joyau placé au Patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1997.
N’en voici qu’une mince partie…

-------------

Péristyle
Vaste rectangle déambulatoire entourant un jardin. « Sur le sol des quatre galeries formant le péristyle, à l’intérieur de panneaux où se trouvent des tresses multicolores avec des oiseaux et des feuilles de lierre sur les côtés, on peut voir 160 couronnes de lauriers en mosaïque. A l’intérieur de ces couronnes, se trouvent des protomés d’animaux domestiques et sauvages… »

Villa Casale - Périststyle (photo par Axel)

Villa Casale - Périststyle (photo par Axel)

Villa Casale - Périststyle (photo par Axel)


Vestibule della Domina
« La scène représentée sur le sol donne à la pièce tout entière un caractère typiquement privé. D’ici la famille propriétaire de la villa accédait au complexe thermal ».

Villa Casale, vestibule de la Domina (photo par Axel)

Villa Casale, vestibule de la Domina (photo par Axel)

Salle de danse
« Elle présente une décoration en mosaïque s’inspirant des représentations théatrales qui se déroulaient pendant les fêtes en l’honneur de Consus-Consualia. D’autres spécialistes l’ont interprété comme une danse ou comme une représentation du célèbre rapt. »

Villa Casale, Salle de danse (photo par Axel)

Salle des amours pêcheurs

Villa Casale, Salle des amours pêcheurs (photo par Axel)

Villa Casale, Salle des amours pêcheurs (photo par Axel)

Diaeta de la petite chasse
« Cette pièce fastueuse, ouverte vers le péristyle d’où l’on accédait, avait une fonction de Diaeta (séjour) d’hiver… La grande mosaïque qui orne le sol (…) est le récit d’une journée de chasse dans ses divers aspects ».

Villa Casale, Diaeta de la petite chasse (photo par Axel)

Promenoir de la grande chasse
« Ce long corridor à colonnades, fermé par des absides, présente sur le sol des lunettes ornées de belles mosaïques personnifiant la Mauritanie à gauche, et l’Inde, à droite. (…) Elle représente de grandioses scènes de chasses (…) Une note significative est ‘la présence de l’éléphant entre les deux navires, qui peut être rapportée au Triomphe et à l’apothéose impériale comme symbole de la munificence du propriétaire de la villa qui offrait des jeux dans l’amphithéâtre ». un monogramme (M.A) près de la trompe de l’éléphant pourrait indiquer le nom de son propriétaire (Maximilien Auguste ?)… »

Villa Casale, promenoir de la grande chasse (photo par Axel)

Villa Casale, promenoir de la grande chasse (photo par Axel)

Villa Casale, promenoir de la grande chasse (photo par Axel)

Villa Casale, promenoir de la grande chasse (photo par Axel)

Villa Casale, promenoir de la grande chasse (photo par Axel)

Villa Casale, promenoir de la grande chasse (photo par Axel)

Villa Casale, promenoir de la grande chasse (photo par Axel)

Villa Casale, promenoir de la grande chasse (photo par Axel)

Villa Casale, promenoir de la grande chasse (photo par Axel)

Salle des jeunes filles en bikini
« (salle) destinée (initialement) aux domestiques qui devaient s’occuper de l’appartement de la domina (…) La fonction de la pièce ayant variée, les nouveaux propriétaires superposèrent au premier pavement à dessins géométriques le pavement des dix jeunes filles en bikini » (daté du IV ième siècle.)

Villa Casale, Salle des jeunes filles en bikini (photo par Axel)

Villa Casale, Salle des jeunes filles en bikini (photo par Axel)

Villa Casale, Salle des jeunes filles en bikini (photo par Axel)

Villa Casale, Salle des jeunes filles en bikini (photo par Axel)

Villa Casale, Salle des jeunes filles en bikini (photo par Axel)

Atrium à arcades en hémicycle
« La fonction de l’atrium était de relier les cubicula (chambres à coucher) des enfants du propriétaire, à la grande Diaeta d’Arion, la salle de séjour de la domina de la villa »

Villa Casale, Atrium en arcade (photo par Axel)
Vestibule du petit cirque
« …. La décoration du sol en mosaïque montre une parodie des jeux du cirque qui rappelle les compétions des biges du Circus Maximus de Rome (…) A la place des chevaux ce sont des flamants, des oies blanches, des échassiers et des pigeons ramiers qui tirent les chars (…) Les biges représentent non seulement les 4 factions mais aussi les saisons. Les roses autour du cou des flamants indiquent le printemps ; les épis des oies blanches indiquent l’été ; les grappes de raisin des échassiers indiquent l’automne, tandis que les feuilles au cou des pigeons ramiers indiquent l’hiver ».

Villa Casale, vestibule du petit cirque (photo par Axel)

Vestibule de Eros et de pan
« Cette pièce mesurant 5,4x4,7 m (…) desservait la salle intérieure qui était utilisée comme cubiculum. (S’y trouve) la mosaïque polychrome de Eros et de Pan, engagés dans un combat à l’issue incertaine. Un cortège dionysiaque composé de trois ménades (….) prend le parti de Pan ».

Villa Casale, vestibule d'Eros et de Pan (photo par Axel)
Vestibule de Polyphème
« … pièce ornée de mosaïques représentant Ulysse et Polyphème à l’intérieur d’une grotte. La gigantesque silhouette de Polyphème trône au centre du vaste tableau qui s’inspire de l’époque homérique… »

Villa Casale, Vestibule de Polyphème (photo par Axel)

Cubiculum de la scène érotique
« Cette chambre spacieuse et luxueuse a une alcôve rectangulaire, indiquée par les piliers polygonaux. C’était la pièce qui servait de chambre à coucher au propriétaire de la villa (…) Cette décoration convient bien à l’usage de la pièce qui était le lieu des rencontres amoureuses entre le propriétaire et ses concubines qu’un malicieux a d’ailleurs identifié dans les quatre bustes représentant les saisons ».

Villa Casale, Cubiculum de la scène érotique (photo par Axel)

QUELQUES PHOTOGRAPHIES EN VRAC...















[1] L’antique Villa Romaine du Casale de Piazza Armerina, par Enzo Cammarata. Les premières pages de cette excellente synthèse se révèle d’un chauvinisme qui met de bonne humeur : « … les monnaies frappées alors qui demeurent, sans conteste possible, les plus belles du monde. (….) La Sicile devint le grenier à blé de Rome, étant donné qu’on y produisait (comme de jours d’ailleurs) le meilleur blé au monde. (…) La Sicile a toujours été dominée (…) Toutefois on a dit, et je le confirme avec orgueil, que les siciliens, par leur caractère, leur humanité, et leur sens inné de l’hospitalité, ont conquis leurs conquérants… » Enfin : « … Palerme devient la capitale du monde, tout de suite après Constantinople, sans toutefois les constructions de la Rome impériale ».
[2] Sur la naissance d’une vocation : « … mon ancêtre, éminent homme de culture, Domenico Cammarata…. ». On apprend que le le bisaïeul de l’auteur a atteint le grade 33 de la Franc maçonnerie. Cette proximité familiale explique sans doute l’arabesque expliquant l’arrêt des premières fouilles de Del Muto.
[3] Op cité, page 12.

13 mai 2018

Autour du paon... Un écrivain voyageur

Paon sauvage, Sri-Lanka (photo par Axel)
« A quelques pas de moi, perché sur l’angle de la balustrade, un paon dormait la tête sous l’aile. (…) Je battais un peu la campagne à me demander ce que je pouvais bien faire ici. Ce paon aussi, je le regardais, flairant je ne sais quelle supercherie. Malgré sa roue et son cri intolérable, le paon n’a aucune réalité. Plutôt qu’un animal, c’est un motif inventé par la miniature mogole et repris par les décorateurs 1900. Même à l’état sauvage – j’en avais vu des troupes entières sur les routes du Dekkan – il n’est pas crédible. Son vol lourd et rasant est un désastre. On a toujours l’impression qu’il est sur le point de s’empaler. A plein régime il s’élève à peine à hauteur de poitrine comme s’il ne pouvait pas quitter cette nature dans laquelle il s’est fourvoyé. (…) Je mourrai sans comprendre que Linné l’ait admis dans sa classification… »[1] 

Lecture sicilienne... 
Un avis tranché de l’écrivain voyageur. Pourquoi non ? Après tout le rêveur crépusculaire, englué dans « l’île », n’exprime ici que la singularité de son ressenti. Un instantané en quelque sorte, venu effleurer la peau sans entamer le derme du réel…

Un philosophe, remuant ses souvenirs dira plus sobrement, mais non sans élégance :  
« Le matin, on eût dit que tous les oiseaux d’Afrique se donnaient rendez-vous dans les feuillages et les frondaisons pour s’époumoner dans un récital assourdissant. Le soir, à leurs trilles, leurs chants, leur caquètements, se mêlaient les cris des paons »[2]

C’est que l’oiseau est associé parfois aussi à la mélancolie, même si la tradition alchimique, s’appropriant la symbolique du plumage ocellé de sa queue, fera écrire à Jung, dans Mysterium conjunctionis :
« L’arc-en-ciel, en tant que phénomène coloré, a pour parallèle la cauda pavonis, la queue du paon, sujet de prédilection des dessins et gravures dans les anciens ouvrages imprimés et manuscrit. (…) La cauda pavonis est encore qualifiée dans les termes suivants : âme du monde, nature, quintessence, elle fait germer toutes choses ».

Oui, à chacun son mystère…

Paon & compères au marigot... (Photo par Axel)




[1] Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion.
[2] Frédéric Schiffter, On ne meurt pas de chagrin.