Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


8 oct. 2017

En bonne compagnie... Avec Clément Rosset

Lire Clément Rosset, accompagné d'un verre de vin....

Dehors le soir tombe. Je regarde les feuilles déjà rougies du Sumac de Virginie, habité d’un sentiment de plénitude. Magie d’un bon feu de bois qui crépite et m’enveloppe de sa chaleur. Un fond musical tourne sur mon iPod – en aléatoire. Je me suis concocté une tequila surine, que je savoure à lampées minuscules. 

Tantôt je lisais un extrait du de l’esquisse biographique de Clément Rosset. Le philosophe au camembert y évoquait le pur bonheur d’exister et la joie, cette joie comme « dégustation de l’existence », sentiment « inséparable de la connaissance et l’acceptation absolue de tout le tragique de l’existence ». C’est tout à fait cela : une dégustation de l’existence ; volupté du plaisir à être tout simplement !

Le livre est tombé entre mes mains un peu par hasard. Car je m’en allais, c’est devenu si rare, jeudi midi chercher le dernier Frédéric Schiffer... Mais hélas à la librairie point encore de hamac... Mais j’eus par contre la joie de découvrir, sous une jolie couverture blanche encre marine, ce petit recueil d’entretiens avec Santiago Espinosa dans le rôle de l’interviewer...

Depuis lors je déambule dans le livre sans hâte, à pas minuscules, ravi.  Raffolant de ces anecdotes qui tapissent l’existence de leur singularité ; ces « je ne sais quoi et presque rien », si essentiels, mais qui au fond n’expliquent rien – et c’est tant mieux ! 
Une phrase soulignée ici, un paragraphe entouré là, car les livres se vivent… Ainsi à propos des Matinées savantes
« On y ajouté le Discours sur l’écrithure (avec un « h » comme pastiche de la façon dont Derrida écrit différence et différance). Derrida n’a jamais pu l’avaler. » Un travers que Rosset reconnais d’ailleurs avoir eu dans ses premiers écrits : 
« Il y a eu cette époque, et j’en suis un peu désolé, où je pensais que, pour faire de la philosophie, il fallait écrire des choses qui paraissent un peu énigmatiques, des chose qui n’ont pas grand sens mais vont dans le goût du jour ». 
Mais pour lui, très vite, « qui disait réflexion philosophique, disait clarté, aucune complication, aucune ambiguïté, et pour cela il faut bien écrire, c’est-à-dire simplement… »

Autre passage :
Dans la joie, la musique y a sa part. Et le philosophe de penser en particulier à « ce thème récurrent chez Nietzsche qui fait de la musique une expérience cruciale et la condition sine qua non de l’apparition de la joie : ‘Sans musique la vie serait une erreur’ ».

Quant à l’éternel retour (du même) : 
Santiago Espinosa : « … imaginez que Ségolène Royal va revenir toute l’éternité ? »
Clément Rosset : « C’est un scénario digne d’un film d’épouvante ! »

Et ainsi de suite. Bref, un livre indispensable…

27 sept. 2017

Denis Moreau au Hellfest !



Feuilletant ce soir la dernière mouture du Philosophie magazine, tout juste tombé dans ma boite aux lettres, je tombe sur un article consistant intitulé : « Hellfest, la douceur du métal ».

Aussitôt vu aussitôt lu.

Le rédacteur immergé en terres métalleuses n’est autre que Denis Moreau. Alors là !.. Il faut un peu de temps pour m’en remettre. Car si j’ai aimé lire Dans le milieu d’une forêt, je n’aurai jamais imaginé le cartésien, catholique de surcroît, tel un poisson dans l’eau, naviguer dans les eaux sulfureuses du festival de Clisson…

Et l’article est bon !




 Ce n'est pas un monde de brutes !


Extrait :

« Laure (…) 29ans, porte ainsi un splendide costume de ‘faune’ parce qu’elle ‘rencontre le sacré dans la nature’ et que cela va bien avec son groupe favori, Wardruna, qui tente de ressusciter la vision du monde des vikings. Le Hellfest (…) est un lieu où s’exprime, sous forme rock’n’roll, le retour de paganisme auquel nous assistons dans notre occident déchristianisé »

« Platon, avec sa condition humaine écartelée entre intelligible et sensible, est assez rock. (…) L’éthique III de Spinoza et son cortège tiraillé de passions tristes sont rock. (…) Kierkegaard et Schopenhauer sont rock. Levinas pas du tout. Mais le king, c’est Pascal… »


Mise en forme !

Pour la suite, rendez-vous chez votre marchand de journaux favori.



23 sept. 2017

Giacomo Leopardi, autour des Pensieri

Paon-du-jour, à l'automne 
Avec l’automne, les derniers papillons virevoltent enivrés de nectar sur les baies mauves ou rouges. Rodent les araignées… 

Le soleil est pale, souffreteux à l’instar du poète situé au-delà des lacs ; A Bologne, Naples ou Florence ; là ou est venu le visiter Stendhal. Le romantisme italique de Canti ne se dément pas… Son charme un peu désuet peut laisser perplexe. Je préfère sans conteste la brièveté plus incisive des Pensées. On raconte cependant que le grand œuvre de Giacomo Leopardi  est le Zibaldone, somme philosophique inachevée de plus de 2000 pages. C’est possible. On y trouve « Deux vérités que d'ordinaire les hommes n'admettent pas: l'une est qu'ils ne savent rien; l'autre qu'ils ne sont rien. Ajoutez-en une troisième, intimement liée à la précédente: qu'ils n'ont rien à espérer après la mort. »

Né à l’aube du XIXe siècle et trépassé sous l’ombre du Vésuve à moins de 40 ans, il devra sa postérité aux Chants, écrit entre l’automne 1816 et le printemps 1836. Athée parmi les dévots ; « le philosophe pessimiste était, de son vivant, moins connu que le poète nostalgique et surtout que le savant spécialiste de l’Antiquité et que l’observateur satiriste de la vie politique »[1].

« La première édition des Pensieri a été publiée de façon posthume dans l’édition des Opere en 1845. »[2]. 111 saillies d’un style ciselé, pour certaines frappées de noirceur lucide, pour d’autres teintés de cette incapacité à vivre par soi-même l’indicible : « L’ennui est l’apanage des gens d’esprit ».
En voici quelques-unes, choisies sans doute à l’emporte-pièce ; au grès de l’humeur du moment…

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Giacomo Leopardi

V
« Dans les choses profondes, c’est toujours le petit nombre qui est le plus perspicace ; la majorité, elle, ne s’entend qu’aux évidences… »

IX
« Si contre l’avis général tu as prédit avec succès l’issue d’un affaire, ne va pas croire que tes contradicteurs, devant la confirmation de tes dires, vont reconnaître la finesse et la portée supérieure de tes analyses : il nieront plutôt le fait ou la prédiction elle-même, allégueront que les circonstances ont changé et trouveront toujours quelque moyen et de persuader les autres que c’est eux qui avaient raison et toi qui avait tort »

XLV
« … les faibles  vivent suivant le bon plaisir du monde, et les forts, selon le leur »

LXXVI
« Il est au monde rien de plus rare qu’une personne que l’on peut supporter tous les jours »

LXXXVI
« Le moyen le plus sûr de cacher aux autres les limites de son savoir est de ne jamais les dépasser ».

CVIX
« L’homme est presque toujours aussi méchant qu’il lui est nécessaire ; et s’il se conduit bien c’est sans doute qu’il n’a pas besoin de recourir à la méchanceté. J’ai vu des gens armés d’une morale irréprochable commettre les actes les plus atroces pour échapper à quelque terrible danger qu’il leur était impossible d’éviter autrement ».

CX
« Il est curieux de voir combien l’excellence adopte fréquemment les manières simples, alors que les manières simples passent si souvent pour signe de médiocrité ».






[1] Chants, introduction par René de Ceccatty.
[2] Giacomo Leopardi, Pensée, éditions Allia.