Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


5 mai 2015

Sur les marches de Tonina : vie et mort des civilisations - Parmi les Mayas

Billet initial du 01 décembre 2012
(Billet initial supprimé de la plateforme overblog, infestée désormais de publicité)
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Sur les marches de Tonina : vie et mort des civilisations

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Bien avant le fameux  « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles » de Valery, savions bien à quoi nous en tenir. Il faut toute la cécité de l’arrogance pour ne point s’en apercevoir ; depuis que le monde est monde l’histoire abonde de ces grands cadavres, trépassés dans un oubli plus ou moins dense.


De même à titre individuel : nous voulons persévérer dans notre être alors que le scénario est déjà écrit. Et si chaque pas nous conduit vers l’inéluctable, nous n’en refusons pas moins de croire cet impensable. Pour paraphraser Jean-Pierre Dupuy, lorsqu’il évoque le dérèglement climatique d’origine anthropique et son emballement : nous refusons de croire ce que nous savons.

« Ceux qui ont vieilli et ceux qui sont encore jeunes

Trépassent les uns après les autres
Personne ne restera pour toujours en ce vieux monde :
Il y en a qui sont déjà partis ; nous partirons, d’autres viendront et partirons ».


Voila la vérité crue. La réalité sans fard mise en musique par Omar Khayyâm dans l’un de ses fameux quatrains.

Ainsi les cimetières, les nécropoles, les catacombes, les ossuaires et les charniers empoisonnent-ils l’optimisme triomphant des progressistes de toutes obédiences, attachés aussi bien à leur mode d’existence éphémère - et intenable - qu’à leurs chimères de jeunisme et de vie éternelle, à grands coups de génétique, de biotechnologie, de nano-artéfacts et, plus sourdement, de l’exploitation des organes d’une humanité surnuméraire réduite à sa plus extrême misère.

Avec la globalisation économique néolibérale, portée par l’idée folle d’une croissance infinie dans un monde fini, et l’extension ad nauseum de son corollaire consumériste et prédateur, les fils dégénérés de Prométhée, eurent foi en un concept vide de sens ; celui de la fin de l’Histoire. 
Mais l’Histoire s’est rappelée à eux.

Que restera-t-il de toute cette fatuité dans quelques siècles, voire même dans quelques décennies ?
Poussière.

Tournons nos regards vers le passé.
Lorsqu’elles ne se sont pas tout bonnement évanouies sans laisser de traces, les ruines des anciennes civilisations couvrent le monde. Elles hantent notre imaginaires de leurs squelettes de pierre et entretiennent la flamme de nos humeurs mélancoliques.

Les choses auraient-elles pu tourner autrement ? 

Sans doute, à en croire la théorie des mondes possibles, concept élaboré à l’origine par Leibniz. Et si ceci avait été autre ? Et si tel événement ne s’était pas produit, ou du moins était  advenu différemment ? Si, par exemple, les cathares avaient résistés au massacre commandité par l’église de Rome et avaient supplantés le culte alors officiel ? Si Colomb avait raté l’île que les indigènes appelaient Guanahani, pour aller se perdre dans l’océan, n’entonnant  son Te Deum en rémission de ses pêchés qu’à l’ultime et fatale seconde, à l’instar de ces Comprachicos d’Hugo voyant leur bateau broyé par la tempête ? Et si, et si ?...

A rebours pour Spinoza, en cela dans le sillage de Parménide, il n’est pas d’autre monde possible que celui qui est. En d’autres termes, il n’y a pas à tergiverser : ce qui existe, existe ; ce qui n’existe pas, n’existe pas.



Quoi qu’il en soit partout c’est le même spectacle. Grandeur puis désolation. Au-delà des mers ou en-deçà des sables des déserts, dans les vertes vallées irrigués par des fleuves étirés à perte de vue ou dans la rocaille inaccessible, dans les jungles tropicales aux dix mille senteurs, ou les toundra interminables ou paissent le bétail... Ici et là-bas, tôt ou tard sonne le glas.

Vue de Tonina, depuis les marches (photo par Axel)
Les perses, les hittites, les babyloniens, les mésopotamiens, les crétois, les grecs, les romains, les minoens, les phéniciens, les doriens, les égyptiens, les ottomans. Tous fauchés.
Que ce soit entre tigre et Euphrate, du côté du Nil ou de l’Indus, c’est la même partition.
Des vikings du Groenland à la civilisation Khmère d’Angkor ; de l’empire Maurya aux sociétés de la vallée de l’Indus, passant par les Anasazis d’Amérique du nord ; des îles Pitcairn à celles d’Henderson en Polynésie ; des carthaginois aux Omeyyades, sans oublier les montagnes haut-perchées des Incas : partout c’est le même champ de vestiges.

Sur les motifs de ces effondrements on tergiverse et s’interroge.
D’aucuns, non sans un certain sens du romantique, considèrent le raffinement des civilisations comme source de décadence ; renversées alors par la brutalité du sang neuf et barbare. C’est là pour grande part une illusion rétrospective.
Plus probable est la conjonction de divers facteurs ; une complexité qui se laisse difficilement réduire aux partis-pris idéologiques. Dans son célèbre essai, Effondrement, Jared Diamond pour expliquer la disparition de tant de civilisations, jadis prospères, évoque l’écocide ; un suicide sociétal adossé à la conjonction fatale de cinq calamités (Dommages environnementaux - Changements climatiques - Voisins hostiles - Soutiens de plus en plus réduits de voisins amicaux - Réponses apportées par une société à ses problèmes environnementaux). La thèse est sans doute critiquable à la marge - et elle l’est -, mais demeure à ce jour de loin la plus convaincante.
Cependant, au-delà même des tentatives d’explications, ne faudrait-il pas plus simplement voir dans ces extinctions civilisationnelles, un phénomène inhérent à tout ce qui pousse ou se construit ? A savoir que tout, tôt ou tard, est voué à se défaire, à périr ; et que tout ordre n’est qu’une étincelle arrachée par force au chaos éternel.
Tout meurt, tout passe. Seulement cette naturalisation est indigeste.
Et le pourquoi nous hante...


Tonina (vue d'ensemble) - Photo par Axel
En Mésoamérique, les fameuses civilisations remises au goût du jour au XIXe siècles par les explorateurs John Lloyd Stephen et Frederick Catherwood, connurent un sort similaire aux sociétés du bassin méditerranéen et d’ailleurs.
Les olmèques, les plus anciens d’entre eux, et qui peuplèrent de vastes territoires dès 1200 avant notre ère, mais aussi les zapotèques de la vallée d'Oaxaca, les toltèques établis autour de  Tula, leur capitale, et les mixtèques dont l’étymologie en fait les descendants des peuples des nuages. Tous effondrés.
Aujourd’hui, les civilisations les plus célèbres de cette partie du monde sont bien évidement les aztèques et les mayas. Si les premiers, après avoir séché le lac Texcoco, furent anéantis par Cortès et sa clique de dévots monothéistes au XVIe siècle, les mayas, d’une manière moins nettement identifiée, n’échappèrent pas à ce 2012 08 Mexique - Tonina012destin tragique.

Parmi les raisons évoquées pour expliquer la chute d’une civilisation dont les ruines parsèment aujourd’hui un territoire immense ( env. 340.000 km2, couvrant la péninsule du Yucatan, le Guatemala, le Salvador et la partie occidentale du Honduras), se trouvent en bonne place des thèses recoupant celles de Diamond ; à savoir une surexploitation des ressources naturelles (épuisement des sols, déforestation), ainsi qu’une crise démographique conjuguée à une hubris religieuse poussant la noblesse et le haut clergé à construire des centres cérémoniels toujours plus mirifiques (marques de démesure qui font notre admiration d’aujourd’hui). Ajoutons-y des invasions auxquelles il faut, pour faire bonne mesure, charger la barque avec des problèmes climatiques.


Le socle de Tonina - Photo par Axel

Pourtant les mayas avaient cru se prémunir du pire, faisant courir leur calendrier sur plus de 5000 ans : de temps mythiques, impossibles à rattacher à un événement tangible, aux derniers jours de l’année 2012 de notre ère ; d’où désormais la litanie farfelue et apocalyptique des inévitables cervelles fragiles. De la sortie aussi de quelques navets hollywoodiens.
Sur les escaliers de Tonina (Photo par Axel)

Ainsi les mayas situèrent-ils l’origine de leur monde à la date 13.0.0.0.0 4 ahau 8 cumku, soit en 3114 avant JC. Et vrai leur civilisation dura plus de 2500 ans, ce qui au regard de l’histoire devrait nous rendre plus modestes.
Entre rivalités et alliances prospérèrent et périclitèrent les unes après les autres les cités mayas, incapables de concevoir entre-elles une unité politique durable.
De la quête forcenée de prestige aux guerres intestines, inévitables pour croitre, dans ce monde ou tout le pouvoir repose sur les épaules du roi, et qui engage sa dynastie, il était écrit que la forêt devait reprendre bientôt ses droits.   

« Que le roi soit victorieux au combat, qu’il accomplisse avec succès et efficacité les rites nécessaires à la renaissance végétale, et la prospérité revient. (...) Mais que le roi tombe au combat, ou même qu’il soit simplement défait, et les craintes de famine deviennent réalité. » (1)

De telles déconvenues parsèmeront évidement l’histoire des cités mayas.
Ainsi en va-t-il des raids, dès 690, de Tonina sur Palenque ; attaques qui se soldèrent vers 720 par la décapitation de plusieurs seigneurs de Palenque, dont Kan-Xul II, supplice qui précédera de 10 ans la mise à sac de la cité qui avait connu son apogée sous Pakal le grand, le plus célèbre des rois maya, et monté sur le trône de Palenque en 615 ; celui là même dont les parures mortuaires seront exhumées dans les années 50 depuis les boyaux du temple des inscriptions.


Tonina, jeu de balle (photo par Axel)
Mais revenons à Tonina, complexe urbain planté parmi les collines verdoyantes de l'État du Chiapas du Mexique contemporain, et dont le nom provient du Tzeltal et signifie " Grande maison de pierre".
Si, sous l’impulsion des seigneurs de la lignée militariste dite « Squelette de serpent-Griffe de Jaguar », la société de maya Tonina connut son apogée vers VII-VIIIe siècle, elle ne connaitra pas moins le sort de Palenque dont elle avait contesté l’hégémonie régionale avec le succès que l’on sait :


« En 909, Tonina célèbre, sur le monument 101, la gloire de son roi. Peu de temps après, la cité et sa dynastie sont victimes d’un raid particulièrement violent. Les envahisseurs s’emparent de la cité, arrachent les statues de leurs socles, martèlent les visages des dirigeants. La bataille est rude, mais probablement brève. Les habitants de Tonina, l’élite de la cité, sont massacrés, leurs corps entassés dans un charnier, récemment découverts. Qui sont les vainqueurs ? On l’ignore, car ils ne laissent guère de trace de leur passage. (...) La dynastie a péri, la cité ne se relève pas. Tonina, dernière cité classique, vient de disparaitre à son tour » . (2)

Aujourd’hui, si les sites archéologiques les plus visités au Mexique sont Teotihuacan (proche de Mexico), Chichen Itza et Tulum (à proximité de la riviera maya et de Cancun), d’autres cités et complexes urbains de ces temps révolus, situés à l’écart des principaux circuits touristiques, offrent encore la possibilité du plaisir ineffable d’une relative solitude.

Ainsi en est-il de Tonina, lové dans son écrin de verdure.
Ce pourquoi est-ce sans doute l’un des site dont le souvenir marquera à jamais qui a aura eu la chance de s’y rendre par un jour de soleil.
Et parmi les collines de gravir, loin de la foule, les sept terrasses sous l’œil vigilant de quelques vautours noirs.

 
Tonina, relief gravé (photo par Axel)
 

Laissons le mot de la fin au fameux poète perse, chantre d’un hédonisme inquiet :
  
« Oh !que de temps où nous n’existions plus et où l’univers existera.
Il ne restera de nous ni nom ni trace.
Avant que nous fussions, rien ne manquait au monde ;


Il restera, tel quel, quand nous n’y serons plus ».


Au large de Tonina (photo par Axel)
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(1) Les Mayas, Eric Taladoire. Ed Chêne, P 114.
(2) op cité, P 110.
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2 commentaires:

  1. Tu as raison, il semble que tout, en ce monde, est porté à croître puis décroître. Comme l'amour (en général...) et peut-être même toutes ces idées qui orientent la marche du monde : celle de la croissance finira bien par mourir aussi, un jour ou l'autre ? (Soyons optimiste...)
    Mais... reste la Chine, cher Axel, qui parait faire exception à la règle ! La Chine qui quoi qu'on en pense investit beaucoup dans les énergies renouvelables, apparemment... :-)

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  2. Hello Christine,

    Pour ce qui est de la croissance matérielle, fatalement elle atteindra sa limite, assez vite je crois – une croissance infinie dans un monde fini est un impossible ; et là nous sommes plus très loin du point de basculement. L’empreinte écologique de l’humanité explose et désormais, dès le mois août nous avons épuisé toutes les ressources naturelles que la Terre peut produire en un an. Sans compter ce qui n’est pas renouvelable :

    http://www.consoglobe.com/epuisement-des-ressources-naturelles-et-demographie-cg

    Pour la Chine je ne sais pas. On semble là-bas prendre conscience des enjeux… Ça va dans le bon sens mais ça part de très loin… Aussi bien en matière de pollution atmosphérique qu’en désertification des sols…

    http://www.focusur.fr/a-la-une/2015/03/05/under-the-dome-le-documentaire-sur-la-pollution-en-chine

    http://www.goodplanet.info/video/2014/11/07/desertification-en-chine/

    Je ne sais absolument ce qui sortira de tout ça… Qu’est-ce qui relève du catastrophisme, de pessimisme ou d’un réalisme bien compris ?

    http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2015/04/20/les-dernieres-nouvelles-du-rechauffement-font-froid-dans-le-dos%E2%80%A6-mais-ce-n%E2%80%99est-pas-une-raison-pour-desesperer/

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