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Du côté de la baie de Somme (photo par Axel) - 2018 |
Sans doute est-ce une pathologie commune, mais je confesse
aimer me rendre au même lieu, à une ou deux années de distances ; y aviver
mes souvenirs et sonder mes états d’âme – écart, synchronicité, symbiose ou
rupture totale. Ceci est particulièrement vrai des endroits chargés émotionnellement.
La nostalgie y a évidemment sa part…
Mais s’y mêle un sentiment plus diffus, avec l’idée de la mise en pratique du
temps vécu non pas comme flèche toujours tournée vers le devenir (le temps linéaire des physiciens pour parler comme Etienne Klein), mais ce temps
cyclique propre à moult civilisations de jadis. Ce temps vécu comme « Eternel recommencement » ; non
pas à la manière de Nietzsche qui, dans l’Amor
Fati, envisageait le retour du même. Mais un cercle de nuances subtiles, avec ses constantes,
ses variations et la singularité de ses tonalités. Un cercle mouvant, ensemencé
de ces « je ne sais quoi et presque
rien » chers à Jankélévitch, et qui font toute la saveur du réel comme
il va…
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Vue du Crotoy (photo par Axel) - Avril 2018 |
Ainsi de la Baie de Somme ; du Crotoy et de
ses écrivains d’hier – de Jules Verne à Colette, du sentier côtier accroché à
la dune – ou s’ébrouent les rossignols au printemps, de la rue des mouettes –
où elles ne sont plus si nombreuses que jadis, du chemin conduisant à cet
au-delà de la Baie - là ou s’éprouve la philosophie des piquets à moules… Et tant
d’autres lieux encore sous ce ciel propices aux rêveries…
Des premières secondes d’avril 2018 à celles de 2019 – les mêmes pas, les mêmes endroits ou presque… Jour pour jour, ou si peu
s’en faut. L’an passé avec son ciel noir et ses tempêtes, le gros vent et les
éclaircies subites, posées sur les épaules du promeneur pour le réconforter du
chagrin des embruns. L’an 2019 avec son grand soleil qui, sans faiblir inondait
les sables et les flots tranquilles de son humeur joyeuse…
Se retrouver seul, au cœur de l’immensité parmi les
oiseaux, est une expérience dont la mise en mots reste fatalement en deçà du
ressenti… En particulier si, par chance, on se retrouve au détour d’une dune d’un
coup plongé au milieu d’une cohorte de passereaux rares – très rare mêmes sur
nos rivages, picorant dans les sables en quête d’insectes. Des oiseaux à la
tête peinte en jaune et noir, vagabondant
et virevoltant alentour sans trop se préoccuper de ce visiteur humain, augmenté
de son appareil photographique – et qui plus d’une heure durant, restera en
leur compagnie.
L’alouette haussecol donc, telle est l’espèce en
question. Migratrice et de passage sur les rivages de la Somme et des Hauts de France,
grosso modo de novembre à fin mars.
Ici l’expérience du terrain confère au hasard sa
part de prévisibilité… Et je savais fort bien que si je devais les trouver ce
serait à cet endroit précis, pour avoir déjà repéré les lieux l’an passé – mais
il était tard en saison pour espérer encore en croiser. Aussi, à la vue d’oiseaux
« atypiques » (à l’œil un peu exercé), le cœur du miroiseur eût un
sursaut ; ce sursaut d’excitation mêlée de doute. Puis la certitude, la
joie un peu frénétique… Une fébrilité tempérée par la nécessité de caler l’objectif
sur le rencontre à immortaliser.
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Alouette haussecol (photo par Axel) |
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Alouettes haussecols (photo par Axel) |
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Alouette haussecol (photo par Axel) |
Pour les amateurs d’étymologie.
Sur le terme générique tout d’abord : alouette,
« du latin Alauda. Le mot est en
fait d’origine gauloise, ainsi s’expliquerait le nom Alauda donné par César à
la légion de mercenaires par lui recrutée (…) L’alouette semble bien avoir été
un oiseau sacré pour les Gaulois en raison des traces laissées dans le folklore
français. Son chant est signe de joie et sa façon de voler très haut dans le
ciel est un symbole du ciel (en anglais on la nomme sky lark, et to sing like a
lark, « chanter comme une alouette », signifie être gai comme un
pinson). »
Quant à l’alouette haussecol en particulier, notons
que son nom est à mettre en relation avec le « plastron noir qui rehausse la tête du mâle. Un hausse-col était une
pièce métallique d’armure protégeant la base du cou ».
Enfin, puisque chaque espèce d’oiseaux se
caractérise en premier lieu par son nom scientifique, rappelons que l’alouette
haussecol est nomenclaturée sous le nom d’Eremophila alpestris. « Eremophila, du grec érèmia (le désert) et
philos (qui aime). Alpestris, dans le sens de montagne en général, car elle
niche en effet dans les toundras montagneuses (mais aussi au Maroc) ».
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Pouillot fitis (photo par Axel) |
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Grèbe castagneux (photo par Axel) |
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Grèbe à cou noir (photo par Axel) |
Mais en ces quelques jours, aux prémices d’avril,
il y eût bien d’autres rencontres avec nos amis ailés. Et, aux détours des
chemins, de l’estran, du maquis et d’ailleurs,
ce ne furent pas moins de 64 espèces différentes qui furent observées (sans
compter celles uniquement côtoyées par contact auditif).
Parmi les plus notables : le râle d’eau, le
phragmite des joncs, le pouillot fitis, le bouvreuil pivoine, ou encore un
oiseau au nom scientifique redoublé : Limosa
limosa (du latin limosus, qui
signifie boueux, vaseux –autrefois appelé limosa
melanura, nom qui à mon goût convenait mieux) et qui fit vivre à votre
serviteur quelques instants de grâce – mais c’est une autre histoire !
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Barge à queue noire (photo par Axel) |