Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


1 déc. 2020

Montaigne, par temps de Covid

 

Lecture .... (photo par Axel)

Me voici quelques années déjà avec les Essais du sieur de Montaigne résolument à portée de main ; allant mon rythme dans cette lecture délicieuse, porté par le sentiment d’avoir trouvé là un bon compagnon qui me cause par-dessus l’épaule. De l’abandonner parfois des semaines. Mais toujours y revenir.

Suivant sa leçon, je vis du jour à la journée, ne cherchant « aux livres qu’à m’y donner du plaisir par un honnête amusement »[1]. Une conversation dilettante, en bonne compagnie.

Et là, profitant du crépuscule, de finir le dernier chapitre du livre II où il y malmène l’engeance des médecins de son temps. Qu’on se rassure, ainsi qu’il le confesse à Madame de Duras, à la fin du chapitre « … je n’eusse pas osé remuer si hardiment les mystères de la médecine, attendu le crédit que vous et tant d’autres lui donnez, si je n’y eusse été acheminé par ses auteurs mêmes. Je crois qu’ils n’en ont que deux anciens Latins, Pline et Celsus. Si vous les voyez quelque jour, vous trouverez qu’ils parlent bien plus durement à leur art, que je ne fais : je ne fais que la pincer, ils l’égorgent »[2].

L’effet produit par cette lecture est singulier, tant il sonne juste par ces temps de Covid et de la guerre des experts proclamés. Car Montaigne est inactuel. C’est-à-dire actuel par son atemporalité - touchant à quelques chose de l’universelle condition des hommes. Et s’il affirme : « La santé je l’ai libre et entière, sans règle, et sans autre discipline, que ma coutume et de mon plaisir », c’est que, selon lui, « les médecins ne se contentent point d’avoir la maladie en gouvernement, ils rendent la santé malade, pour garder qu’on ne puisse en aucune saison échapper leur autorité. D’une santé constante et entière, n’en tirent-ils pas l’argument d’une grande maladie à venir ? » Comment lui donner tort ? La vie, on le sait, est mortelle !


Vue depuis la tour de Montaigne (photo par Axel)

Et Montaigne, du dedans de sa tour, de décrire par le menu, au fil des pages, toutes les contradictions, proférés avec moult assurance par maîtres de cette science pour un même mal - en particulier de la Gravelle, qui l’accompagna des années ; un plaisant catalogue des ordonnances et prescriptions aux antipodes les unes des autres – ce qui n’est pas sans faire songer aux débats récents sur le port du masque ou la Chloroquine par exemple.

Si aujourd’hui ces discours quant aux bons remèdes et manières de se tenir lors d’une épidémie, nous émeuvent tant, au lieu de nous trouver tranquilles, suscitant d’affreux débats et autres vains pugilats, c’est que, nous dit Montaigne « c’est la crainte de la mort et de la douleur, l’impatience du mal, une furieuse et indiscrète soif de la guérison, qui nous aveugle ainsi : c’est pure lâcheté qui nous rend cette croyance si molle et maniable ». Pire, désormais ce n’est plus même la maladie tombée sur nos bronches qui nous retourne, mais juste la peur de la voir surgir au coin de la rue. Ceci expliquant sans doute qu’il nous arrive de croiser, le soir dans une rue déserte ou dans les bois, au milieu de nulle part, tel promeneur harnaché de son masque et qui, sur votre passage, s’empêtre dans un détour considérable…

« Ce fut me semble Périclès, lequel était enquis, comme il se portait : vous le pouvez (dit-il) juger par là : montrant des amulettes, qu’il avait attaché au cou et au bras. Il voulait inférer, qu’il était bien malade, puisqu’il en était venu jusques là, d’avoir recours à choses si vaines, et de s’être laissé équiper en cette façon ».

Montaigne à sa manière nous donne leçon de juste mesure. Ni crédulité ni désinvolture. Mais une invite à exercer son esprit critique. Et pour finir d’une boutade : « Un médecin vantait à Nicoclès, son art être de grande autorité : vraiment c’est sûr, dit Nicoclès, qui peut tuer impunément tant de gens ».

Vue de la tour de Montaigne (photo par Axel)


[1] Essais, Livre II, Chapitre X (Des livres)

[2] Essais, Livre II, Chapitre XXXVII (De la ressemblance des enfants aux pères)



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