Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


27 août 2014

Cassel, pérégrinations autour de « La Vierge au donateur Joos van den Damme ». Musée de Flandres...

De récentes flânerie estivale m’ayant mené en famille sur l’un des quelques promontoires du plat pays, le Castellum Menapiorum pour le dire à la mode ancienne, où Cassel selon la terminologie des plus modernes, où se déroulaient de menue festivités médiévales, il nous a pris l’idée d’aller jeter un œil - voire les deux - du côté de l’hôtel de la Noble-Cour, ancien siège de la châtellenie de Cassel, transformé désormais en une antre dédiée à l’art ; sanctuaire donc, répondant à la bien peu poétique - mais pragmatique - dénomination : « Musée départemental de Flandre ».

A sa création, en 1837, sous l’impulsion d’une sorte d’évergète du XIXe siècle, le musée abritera une collection de minéralogie et de paléontologie, dont les pièces restantes sont aujourd’hui regroupées dans un plaisant cabinet de curiosité. C’est un bel édifice que cet hôtel, dont l’aile principale, appuyée sur des fondations plus anciennes, remonte au XVe siècle ; un ouvrage classé au titre des Monuments historiques en 1910, situé fort à propos sur la place principale de cette bulle rocheuse de Cassel culminant fièrement à 176 mètres.


Enguerrand QUARTON - La Pietà de Villeneuve-lès-Avignon

Mais ce n’est point pour babiller sans désemparer d’architecture, davantage que pour me lancer dans une fastidieuse et inutile recension des œuvres abritées sous les boiseries centenaires de cette ancienne institution fondée en 1218 par la comtesse de Flandre, Jeanne de Constantinople, que j’ai pris racine derrière mon clavier afin de clore cette saison calquée, peu s’en faut, sur celle que conseillent les rythmes scolaires.

Bref, avant de m’en aller me ressourcer en la vallée de la Vézère, d’y contempler les humeurs picturales et industrieuses des époques magdaléniennes, puis après quelques détours me reposer de si belles émotions sous le plafond de Montaigne, il me faut reconnaître quelques hérésies laïques.
En effet, si les tableaux religieux et autres bondieuseries ne sont d’ordinaires point ma tasse de thé, m’adossant à l’idée que toute règle peut souffrir quelques exceptions, particulièrement lorsqu’il s’agit de se prononcer sur des matières aussi insaisissables que le goût et la sensibilité artistique, il me faut bien admettre que les couleurs et le style de certaines des œuvres à caractère ostensiblement dévot de la fin du moyen âge produisent parfois sur mes sens de singuliers effets que je ne puis réprimer (effets aux antipodes que celui produit sur mes nerfs par les immondes enfilades de crucifixions et autre poupons ailés graisseux des deux siècles suivants). Ainsi, par exemple, la célèbre Pietà de Villeneuve-lès-Avignon d’Enguerrand Quarton exposée au Louvre. Quant à la Madone entourée de Séraphin et de chérubins de Jean Fouquet, le motif de mon émoi est sans doute plus distinctement compréhensible.

Jean Fouquet - la Vierge et l'Enfant - Musée royal des Beaux-Arts, Anvers

Revenons-en à ce promontoire dominant les plaines de Flandre, à l’ombre d’un plafond jouxtant celui où Cassel s’enorgueillit d’avoir hébergé le képi du maréchal Foch durant la première guerre mondiale.
C’est donc d’une pièce dénommée « La Vierge au donateur Joos van den Damme » dont je voudrais faire ici la publicité, à défaut d’en faire l’éloge (non pas que cette peinture soit dénuée de mérite, mais je ne me sens aucune qualité à ce genre d’exercice et ne serais, à défaut d’en faire un impossible fidèle portrait, tout juste capable que de me répandre en plates paraphrases).

Pour en faire une présentation lapidaire : C’est une huile sur bois anonyme d’une taille plus qu’honnête (74,5 x 57,8 cm) dont l’épitaphe « Ici gît Joos Van den Damme, fils de Galois, qui mourut l’an 1484, le 16e jour de mai, Puisse Dieu recevoir son âme, Amen », a permis de situer l’œuvre en 1484. Acquise en 2009 auprès d’une collection privée, elle fait partie des pièces maitresse des collections du Musée de Flandre.



Pour en situer le contexte et la genèse, voici un extrait du catalogue des œuvres choisies : «Le donateur est en léger contrebas par rapport à la Vierge. Il est introduit par Sainte Barbe qui debout, derrière lui, l’accompagne et le protège. (…) Ce donateur présente une particularité iconographique qui rend notre œuvre exceptionnelle : il a les yeux clos signifiant ainsi la mort. Or cette représentation est inhabituelle dans la peinture flamande du Xve siècle. Ces particularités tiennent au fait que ce portrait est posthume et qu’un tableau épitaphe est composé d’une seule pièce (…) Il s’agit d’un tableau dévotionnel, un dernier don permettant d’assurer le salut de Joos den Damme dans l’au-delà. »  

J’ajoute devoir à une excellente guide l’explication de cette trace noire visible sur le bord droit du tableau, juste dans la crinière d’un enfant en prière : c’est la trace laissée par un cierge, placé trop près de l’œuvre. Ainsi cette brûlure serait redevable au genre d’idée contenue dans l’une des sentences de l’écrivain persan médiéval Djalal al-dîn Rûmi : « La femme est le rayon de la lumière divine » ; archangélique au point d’en noircir le bois…
Il me plait de noter et rapporter ce genre d’anecdotes tout à fait inutile.  

Dans cette œuvre, Sainte barbe est représentée avec le front épilé comme le veut le canon de l’époque. Se présente ainsi à nos regards une bien coquette martyre ; impénétrable liseuse qui à l’instar des damoiselles de la bonne société de son temps avait le souci du plaire. Il faut savoir que pour obtenir durablement ce saisissant effet, une fois dénudé le front à l’aide d’ingrédients peu engageants, afin de se prémunir de toute fâcheuse repousse de poils, il était d’usage d’appliquer sur la chair mise à nue « du sang de chauve-souris, technique déjà utilisée sous l'Empire Romain ou encore du sang de grenouilles ou de la cendre mouillée dans du vinaigre ». Ainsi est-il toujours plaisant (et rassurant) de noter que cette icône de la martyrologie chrétienne, à qui l’on ne put faire abjurer la foi malgré d’abjects sévices infligés sous la férule de son propre père, un riche païen répondant au patronyme de Dioscore, soit représentée sous le pinceau de notre artiste anonyme à la mode de son époque, faisant subir par là même à notre héroïne une sorte de rituel digne du sabbat des sorcières. Plus insolite encore est la scène qui se déroule dans le lointain au pied du castel, juste sous la ligne du regard de Sainte Barbe. Je laisse à qui de bons yeux de se faire une opinion et de choisir l’explication qu’il lui sied (étant charitable j’en ai fait un agrandissement ci-contre).

 Parfois, dit-on, les peintres artisans se faisaient facétieux, se jouant de leur commanditaire par quelques espiègleries. Ce couple formé de cette fermière agenouillée sous sa bête en est sans doute une illustration. « Le diable est dans les détails », se plaisent d’ordinaire à dire les anglo-saxons ; s’il n’y a pas ici de quoi faire capoter l’intention du pénitent, nul doute néanmoins que notre pauvre récipiendaire soit pris de hoquet sur les portes du paradis.

Sur ce, il ne reste qu’à vous souhaiter des vents favorables.
Avant de m’évanouir en ma villégiature d’été, il me reste à remercier les voyageurs s’étant égarés sur les méandres de ce blog qui a pris, au fil des mois, les allures d’une course contre les excès de ‘blogophagite’ aiguë.

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