Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


18 juil. 2015

Histoire romantique des tortues marines de la plage du Grand Bahia Principle de Tulum

Billet initial du 14 septembre 2012
(Billet initial supprimé de la plateforme overblog, infestée désormais de publicité)

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Sur le haut de la plage, et parfois même entre les parasols au beau milieu des grappes de touristes affalés sur leurs transats, se trouvent plantées de singulières installations : trois ou quatre piquets reliés entre eux par une ficelle et agrémentés d’une petite pancarte, couverte d’inscriptions manuscrites.

Ce sont là des nids de tortues marines. 

Dans notre imaginaire teinté de romantisme, nous  pensions ces créatures antédiluviennes se rendre en des lieux égarés loin du fracas de la civilisation pour se délivrer du fruit de leurs amours. Mais d’évidence c’est là une seconde naïveté de notre part, les fidèles reptiles venant sans l’ombre d’un doute nidifier dans cette zone nommée Playa Aventuras, la seconde en importance au Mexique, bien avant que le premier hôtel ne vienne planter ses banderilles en terres mexicaines. 
 
Traces laissées par les tortues (photo par Axel)
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Situation ambiguë de l’observateur à qui l’on a passé au poignet un bracelet « all inclusive ». Contradiction qu’il faut bien assumer, et que l’on surmonte d’autant mieux au soleil, un verre de pina colada en main.
C’est pourquoi assortir un complexe hôtelier, placé en pareil endroit, d’une fondation écologique soulage au fond tout le monde. Personne n’est dupe : c’est là le supplément d’âme d’un capitalisme qu’il est convenu d’appeler éco-responsable. Mais convenons-en : cela a au moins le mérite d’exister.
En l’occurrence, l’officine locale, dénommée Eco-bahia assure différentes missions, dont la protection d’une zone d’environ 1,5km de la plage de ponte qui s’étend bien au-delà de ce périmètre, pour ce dont nous avons pu nous rendre compte.


Ici deux espèces de tortues viennent déposer leurs œufs. D’une part la tortue Cacouanne (Caretta caretta), encore dénommée grièche (taille moyenne 1,10 m pour 105 kg) et, d’autre part, plus commune sur le site, la tortue verte (Chelonya mydas) dont le nom provient d’un régime alimentaire à base d’algues teintant sa graisse de ladite couleur (taille moyenne 1,2 m pour 130 kg – certains individus pouvant atteindre 300 kg et 1,5m de taille).
Tortue verte, le long des côtes de Tulum (photo par Axel)
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Lors de la saison de ponte, c’est nuit venue qu’il est possible d’assister à ce singulier cérémoniel et apercevoir les femelles s’extraire pesamment de l’eau, puis, après avoir laissé une trace faisant songer à une grosse empreinte de pneu de tracteur, s’exténuer à creuser le sable sur toute leur hauteur avant de forer de leurs pattes arrières un puit pour y déposer leurs œufs.
C’est de la sorte qu’un soir, alors que nous revenions par la plage d’un restaurant éloigné de nos quartiers, cherchant par principe et par jeu la trace du passage de l’une de ces tortues, animés par une espèce d’incrédulité somme toute irrationnelle - du moins en ce qui me concerne, ce genre de rencontre se situant dans mon esprit au-delà du concevable -, nous aperçûmes un attroupement de quelques personnes juste sur le sortir vers notre logement.  
Un bénévole de la fondation supervisait les opérations, s’assurant de la quiétude de la pondeuse qui, visiblement, était indifférente à ces étranges mammifères postés avec révérence à moins de deux mètres de sa carapace. Un clair de demi-lune éclairait faiblement la scène.
Et ce fut le choc d’une vision saisissante, entrecoupée par la course des nuages. Car c’était là un instant magique, suspendu aux efforts de la bête, efforts si considérables dictés par l’instinct le plus impérieux, et qui lui faisait entamer le sable, le rejetant ensuite par pelleté sur nos pieds. Parfois nous percevions son souffle rauque, saccadé, et nous nous sentions humble, en profonde empathie avec cette manifestation la plus abrupte du vouloir aveugle de la vie. Ce sentiment de sourde admiration qui nous étreignait alors se résume parfaitement par cette phrase, pourtant si banale en ses contours, mais si lourde de sens et que j’entendis de la bouche de mon voisin : « La nature est quand même bien faite » ! Il avait raison. Du point de vue de la tortue, il avait parfaitement raison.

Mais nous n’en avions pas fini de nos surprises.
Peu de jours après, en plein midi, nous vîmes courir muni d’un seau le préposé diurne à la tranquillité des tortues. Ce qui ne manqua point d’alerter la vigie à mes côtés, qui aussitôt m’exhorta d’abandonner ma lecture estivale pour me ruer sus au nid équipé de mon appareil photo. Quoi de plus incongru, à une heure sans ombre ; lorsque les iguanes se figent. Et pourtant je m’exécutai. Assez vite pour apercevoir l’ébullition sous le sable.
Les minuscules tortues par grappes jaillissaient nerveuses, tendues vers un seul but, animées de cette force implacable de la nature, cette tension pour la vie consciente de la voracité de la mort. Et nous regardions dans toutes les langues de la plage ce merveilleux spectacle, tandis que le bénévole collectait ces naufragées de la coquille au fur et à mesure qu’elles se tournaient vers la mer des caraïbes. Cela dura un bon moment, jusqu’à ce que les dernières rescapées paraissent au jour, et que soit creusé par main humaine le puit de ponte, afin de s’assurer de ne qu’il ne demeura pas d’infortunées prisonnières sous le sable.
Si les tortues à peines extirpées de l’œuf sont ainsi collectées, c’est tout d’abord pour leur éviter la prédation diurne, entre autre des frégates et des iguanes. C’est aussi pour les préserver de la gène occasionnée par les touristes, pas toujours d’une délicatesse et d’un tempérament exemplaires. Enfin, ce passage par la nurserie permet à la fondation le recueil des données scientifiques, avant de relâcher leurs pensionnaires nuitamment.   
Deux rescapée au fond du nid (Photo par Axel)
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Les choses hélas ne passent pas toujours de manière aussi idylliques que celles que je viens de décrire, et souvent les œufs ne sont pas fécondés, ou il y a peu de survivants (avons assisté à une éclosion ou il n’y avait, sur tout un nid,  que deux tortues viables). 
Quoi qu’il en soit, les données sont globalement encourageantes, avec plus de mille nids pour cette saison 2012 (données à comparer à celles des années précédentes – voir site de la fondation).

Iguane - prédateurs de tortues (photo par Axel)
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Frégate - prédateurs de tortues (Photo par Axel)
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Et si je devais résumer le sentiment qui dominait alors, parmi les quelques privilégiés qui eurent le courage ou la curiosité d’assister à cette éclosion, je dirai que c’était une sorte d’empathie, mêlée d’un attendrissement émerveillé, état d’esprit pouvant apparaître un peu mièvre à qui n’a jamais fait ce genre singulier d’expérience.


Sur le sente des tortues marines (photo par Axel)
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En guise de conclusion, pour qui aurait l’idée de s’échouer en ces rivages, il est à noter que si les tortues marines viennent pondre sur la plage du Grand Bahia Principle, c’est qu’à quelques criques de là, à environ 45 mn de marche au sud, passant par un amoncellement de caillasse que notre chêne parlant préféré effleura de son pied souple sans moindre difficulté, il est possible de nager en leur compagnie, par peu de profondeur.


Tortues dans les eaux de Tulum (photo par Axel)
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Un tuba et des lunettes y suffisent, pour peu de venir assez tôt, ceci pour éviter qu’une horde de pingouin ne vienne transformer un paradis en piscine municipale.
En ce qui nous concerne, levés avec le jour, ce fut stupeur - et incrédulité encore - de découvrir, d’un coup, juste sous nos brasses, ces massives carapaces muées en danseuses ! A les toucher presque… le cou étiré parfois pour reprendre une goulée d’air.

Avec en prime un pélican qui faillit m’estourbir, alors que de retour vers le rivage je perçais un banc de poissons minuscules.

Pélican brun d'Amérique (Photo par Axel)

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