Voilà le genre de livre qu’on a envie des glisser par « inadvertance » dans la boite aux lettre du voisin… Mieux ce « Petit éloge des amoureux du silence » mériterait une diffusion à large échelle, tant « le silence s’effondre ». Car ne nous y trompons pas : le bruit est un fléau ! Une violence infligeant une souffrance véritable – Ce n’est pas pour rien que l’on torture avec les décibels.
Ce que vise l’auteur ce sont,
en premier lieu, les bruits de voisinages : « Ces dommages protéiformes (…), ces bruits volontaires, susceptibles d’être
limités, atténués, maitrisés, évitables ». Ces « bruits de comportement, ou bruit » domestiques ».
Mais pas que… Aldous Huxley le relevait déjà en 1945 : « le XXe siècle est, entre autre chose, l’Age
du bruit ». Nous n’avons fait depuis lors qu’accélérer le mouvement,
sur fond d’individualisme forcené, avec, pour toute philosophie, ce cri du cœur :
« Je suis chez moi, je fais ce que je veux ! » S’y ajoute
souvent, relève l’ami de Montaigne, un fond de perversité, cette « ignominie des situations qui laissent
aux bruyants le droit de supplicier la faiblesse ». Il en va de même
lorsque le tact, le savoir-vivre ou l’élégance de la discrétion se frottent à
la vulgarité d’égos querelleurs et tout puissants ; ancrés dans cette
époque « de rafistolages où l’on
occupe ses loisirs à taper, taper, retaper ».
« Le bruit c’est la vie, proclament les frivoles. Baliverne : le
bruit est un échec, une tare ». D’ailleurs le livre s’adosse sur du
vécu… Un vécu largement partagé ; entre les gosses d’à côté, petits singes
hurleurs à qui on ferait bien manger de la terre pour les faire taire, et dont
les parents confondent absence de règles et épanouissement (« confusion déplorable »); le roi bricolage
encore, adepte de la perceuse, de la chignole ou forcené du marteau ; sans
oublier l’aficionado de la tronçonneuse et du taille-haie – et ces handicapés
de la tondeuse, lamentables doryphores incapables de venir à bout de leur gazon
en moins de trois heures…
Pourtant « reconnaitre la nuisance, c’est déjà l’amoindrir »,
car « de tous, le plus mal vécu est
le bruit évitable, celui que rien ne justifie »… Et de prendre un
exemple pour illustrer la chose :
« J’en veux aux ouvriers, leurs travaux nous tourneboulent et leurs
horaires commandent aux nôtres. Leurs tâches sont ingrates, mon animosité à
leur égard m’embarrasse, mais ils figurent – force est de l’admettre – aux avant-postes
des bruyants. Qu’y peuvent-ils ? Il faut bien que les travaux se
réalisent. Oui. Néanmoins, pour atténuer le dommage, il suffirait d’un zeste de
politesse. D’un protocole de courtoisie : prévenir les résidents et
riverains, s’excuser du désordre, s’arranger pour les horaires, fixer une
durée. Prendre en considération l’intérêt de tous. Une sorte de contrat moral
entre gens civilisés. Ne pas imposer sa loi. Ne pas décider unilatéralement du
début et de la fin du chambard, de ses interruptions,
de ses reprises. »
Mais peut-être se vengent-ils
ainsi de la médiocrité de leur condition. A moins qu’il ne s’agisse que d’une
question de productivité, d’insouciance mêlée à un handicap de l’empathie :
« ces personnes qui, si vous vous
plaignez du bruit, ont l’impression que vous gémissez pour rien, à cause d’un
mal fantomatique (..) Elles vous trouvent douillet. Elles ne pensent pas que ce
mal qui vous tourmente est effectif (…)Pour elles il n’y a jamais de bruit ».
Et pour finir, l’expérience d’un
bruit grotesque, qui n’en est pas moins odieux, sinon atroce… Et qui justifia
le troisième déménagement de l’auteur : le sifflotement du voisin d’en
face !
« Je répétais à mes proches, à mes amis : ‘cette ritournelle suraiguë
me vrille les nerfs. Représentez-vous le crissement incessant d’une pointe de
compas sur du verre’. Se fiant, comme toujours, à leur inexpérience plutôt qu’aux
faits, ils en plaisantaient : ‘Te mettre dans un état pareil pour un type
qui sifflote !’. Je leur répliquais : ‘Colletez-vous cette bizarrerie
ne serait-ce qu’une matinée, vous commenterez ensuite.’. Ils souriaient.
Faisaient l’expérience. ET, sidérés, me plaignaient de tout cœur. »
Pour ma part je ne serais pas
enclin à sourire, ayant eu à subir dans mon entourage professionnel immédiat,
les trilles intermittentes d’un rossignol du japon, dont les mélodies, répétées
en boucles jusqu’à nausée, me donnaient des envies de meurtre…
Mais comme il en va toujours ce
genre de fâcheux, pourrissant sans vergogne la vie d’autrui - y mettant même
parfois une pincée de vice -, sont souvent eux-mêmes des pourfendeurs des
bruits d’autrui. A l’instar de ces voisins, laissant hurler toute l’année leur
progénitures contre ma haie, mais n’hésitant pas à faire appel à la police pour
faire cesser les nuisances causées par une fête tout à fait exceptionnelle au
gîte d’en face. De cette espèce était le mélomane buccal, tortionnaire de notre
auteur :
« Caractériel : le terme était juste. Que des enfants jouent dans
les parages, que des gammes de piano s’échappent d’une habitation proche, le
siffloteur se ruait dehors. Il ordonnait aux enfants d’aller jouer plus loin,
au pianiste de mettre immédiatement fin à ses gammes. Il ne tolérait aucun
bruit. Seuls les siens avaient droit de cité. Il coupait à la scie électrique
une branche dans son jardin, tronçonnait la branche, rabotait les tronçons,
clouait des morceaux de contreplaqué, martelait de la tôle, faisait longuement
vrombir le moteur de sa voiture, et sans fin, dans son jardin comme dans sa
villa, il sifflotait à tue-tête. »
Il y aurait beaucoup à dire
encore de ces « déjection sonores »
qui nous pourrissent la vie ; le sujet est inépuisable. Mais finissons sur
une anecdote : « En Gironde, en
novembre 1999, une femme de 56 ans abattit au fusil de chasse ses voisins, un
couple de sexagénaires dont les 6 chiens aboyaient jour et nuit depuis 15ans ».
D’où l’importance sans doute, de suggérer à l’école, dans le cadre des leçons d’instruction
civique, une lecture approfondie de ce petit livre. Le monde ne s’en portera
que mieux !
En attendant, il est loisible
aussi d’écouter à feu doux l’émission Répliques du 17 septembre 2016, en
présence de l’auteur et de l’historien Alain Corbin.