Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?
A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.
Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...
30 janv. 2016
16 janv. 2016
If I was your vampire… Du mythe au fantasme, ou De Dracula à Underworld (Des striges à Requiem)
Dans le cimetière de Budapest (photo par Axel) |
J’aime ce romantisme noir ; ces histoires de sépulcres où le sang se mêle
aux vapeurs méphitiques de candélabres faméliques… Ce suintement d’outre-tombe
rampant dans les caveaux ; chuchotements désespérés et avides de ces ombres
ténues qu’aucun fil ne retient plus à la vie…
Un voile tenu étiré au-dessus d’un marécage de pensées glauques. Un théâtre où
se meuvent les passions les plus sourdes ; entre sexe et effroi, pour
paraphraser le titre d’un essai commis, dans un tout autre contexte, par
l’auteur des Ombres errantes.
Les vampires sont des prédateurs, certes. Mais si
fragiles… Pourvus d’une éternité dont ils finissent de se lasser…
« Je ne suis rien. Dépourvu de vie. Dépourvu
d’âme. Détesté et redouté. Je suis mort aux yeux du monde. Je suis ce monstre
que les hommes de chair veulent tuer... », dira le plus célèbre entre eux.
Le vampire est ainsi une puissance vaine ; l’archétype
du damné, cerné d’un manteau de ténèbres. Un nostalgique de la lumière qui, parfois,
las de son existence prédatrice se dispose à l’ultime consumation pour pouvoir
contempler de ses yeux, une dernière fois, l’aube poindre sur l’horizon.
Peut-on tuer qui est déjà mort ? C’est une bonne question. Ce qui est sûr,
c’est qu’à l’immortel gorgé de sang il faudra boire la coupe jusqu’à la lie… Et
tel semble bien être le destin de ces réprouvés que l’on envie et que l’on
craint, qui nous répugnent et nous fascinent tout à la fois. Se nourrir de ses
anciens congénères n’est pas anodin. Le cannibalisme, à quelques exceptions
faites, est un acte rituel où l’on ingère la force, l’esprit de l’ennemi tué ou
du défunt. Il en va de même des vampires. En suçant le sang, ils s’approprient
l’âme de leurs victimes. Ils boivent leurs souvenirs.
Le mot vampire apparait, et c’est là un paradoxe d’apparence, au Siècle des
Lumières (vers 1725) à la suite d’affaires troubles relatant des cas
d’apparition de buveurs de sang revenus des morts. Ainsi l’affaire Arnold
Paole, soldat autrichien mort en 1727 dans le village de Medvegia en Serbie,
consignée dans le rapport d’un chirurgien mandaté par sa gracieuse majesté
Marie-Thérèse d’Autriche, intitulé Visum
et Repertum. L’expert en question se nommait Johannes Flückinger. Il ne pouvait savoir
que son texte, daté de 1732, largement diffusé en Europe, notamment en France
et en Angleterre, serait la source et la caution de ce qui deviendrait, au-delà
même de la vampirologie, une véritable fascination pour ces créatures sorties
du cercueil de nos fantasmes. En voici la teneur :
« Ayant entendu dire à plusieurs reprises
que dans le village de Medwegya, en Serbie, les soi-disant vampires faisaient
mourir un grand nombre de personnes en leur suçant le sang, j'ai reçu l'ordre
et la mission du commandement supérieur de sa Majesté de faire la lumière sur
cette question et d'enquêter avec l'appui d'officiers et de deux
Unterfeldscherer ; notre examen des faits se fit par-devant le capitaine de la
compagnie des Heiduques, Gorschitz Heiduck Burjaktar, et les autres Heiduques
les plus anciens de l'endroit. Ceux-ci, après qu'on les eut interrogés,
déclarèrent unanimement qu'il y a environ cinq ans un Heiduque du pays, nommé
Arnold Paole, se brisa le cou en tombant d'une charrette de foin ; ledit Arnold
Paole aurait raconté à plusieurs reprises au cours des années précédentes avoir
été victime d'un vampire près de Cassowa, dans la Perse Turque.
A) C'est pourquoi il aurait
lui-même mangé de la terre dans la tombe d'un vampire, se serait frotté du sang
de celui-ci afin (comme il est courant) de se libérer de son action maléfique.
Pourtant, vingt ou trente jours après sa mort, des gens se plaignirent que le
nommé Arnold Paole venait les tourmenter et qu'il avait fait mourir quatre
personnes. Pour mettre fin à ce danger, le Heiduque conseilla aux habitants de
déterrer le vampire, ce qui fut dit fut fait, quarante jours après la mort de
celui-ci, et on le trouva en parfait état de conservation, les chairs non
décomposées, les yeux injectés de sang frais qui lui sortait également par les
oreilles et par le nez, salissant sa chemise et son linceul. Les ongles de ses
mains et de ses pieds s'étaient détachées et d'autres repoussaient à leur
place, d'où l'on conclut qu'il était un archi-vampire. Aussi, selon la coutume
de là-bas, on lui enfonça un pieu à travers le cœur. Mais tant qu'on se livrait
à cette action :
B) Il poussa un grand cri et
une forte quantité de sang jailli de son corps. On brûla celui-ci le jour même
et les cendres furent jetées dans le tombeau. Mais les gens prétendent là-bas
que tous ceux qui sont victimes d'un vampire en mourant le deviennent à leur
tour. C'est pourquoi il fut décidé d'exécuter de la même manière les quatre
corps cités ci-dessus. L'affaire ne s'arrêta pas là, car on était persuadé que
ledit Arnold Paole avait attaqué non seulement des gens mais aussi du bétail. »
Peu avant le cas Arnold Paole, il y avait eu celui non moins singulier de
Peter Plogojowitz, paysan serbe mort en 1725 à Kisilova (l’actuelle Hongrie) et
qui, trois jours après son décès, reviendra hanter son propre fils avant de
finir par le tuer. Mais ce n’était là que la première victime d’une étrange
épidémie. En effet, peu après (10 semaines pour être précis) neuf villageois,
aussi bien jeunes que vieux, moururent d'épuisement suite à une perte de sang
excessive. Avant de trépasser, tous affirmèrent avoir reçu en rêve la sinistre
visite du vieux Plogojowitz. Ce dernier se serait penché sur eux pour les
mordre et boire leur sang.
Lorsque exhumé quelques temps plus tard le corps du paysan, on constata avec
effroi que loin de s’être décomposé, il était revêtu d’une nouvelle peau, que
ses ongles avaient été remplacés, et que de sa bouche sortait du sang frais. Il
va s’en dire qu’on lui planta aussitôt un pieu dans le cœur. L’histoire raconte
qu’au moment ou le piquet perçait la cage thoracique, le sang gicla de la
bouche et des oreilles du cadavre, et qu’il eut une magnifique érection. Ceci
fait, selon la coutume locale, in hoc casu, on réduisit le corps en
cendre.
S’inspirant en grande partie de ces témoignages, un abbé bénédictin du nom de
Dom Augustin Calmet, commettra en 1751 une somme sur les vampires et le
vampirisme appelée à circuler largement. Son titre en était : « Dissertation
sur les revenants en corps, les excommuniés, les oupires ou vampires,
brucolaques, etc. ».
C’est en s’adossant à cet ouvrage que le Dictionnaire de Trévoux (1771) donnera
sa propre définition du vampire :
« Vampire, Wampire, Oupire et Upire, n. et
f. Les Vampires sont une sorte de revenants qu'on dit infester la Hongrie, la
Moravie, la Bohême, etc. Ce sont des gens qui sont morts depuis longtemps et
qui reparaissent, se font voir, marchent, parlent, sucent le sang des vivants,
en sorte que ceux-ci s'exténuent à vue d'oeil, au lieu que les cadavres, comme
des sangsues, se remplissent de sang en telle abondance qu'on le voit sortir
par les conduits et même par les pores. Pour se délivrer des Vampires, on les
exhume, on leur coupe la tête, on leur perce le cour, on les empale, on les
brûle. »
Le vampire est ainsi la figure synthétique du revenant. Un archétype en
quelque sorte, incarnant depuis la nuit des temps ces cauchemars venus nous
hanter dès que la lumière du jour décline. Le froid, les ténèbres et la mort :
tels sont les ingrédients de l’éternel recette...
Déjà, dans l’antiquité, cette peur viscérale de la mort faisait craindre, tant
aux grecs qu’aux romains, le vol sinistre des striges, femelles hybrides
démoniaques aux cris épouvantables ; ‘oiseaux de nuit’ qui s’en prenaient aux
nouveau-nés pour leur sucer le sang ! Le pendant arabe de la stryge (du
grec strigx) est la goule ; bête immonde se
repaissant de la chair corrompue des cadavres. Tant d’autres créatures
fantastiques hantèrent encore les nuits de nos ancêtres. Ainsi, parmi ces
mangeurs d’âmes, les Lémures, âmes damnées en déshérence ; cohortes d’hommes et
de femmes qui ne purent aspirer au repos éternel, pour cause de mort violente
ou tragique, et qui s’en revenaient semer panique au chevet des mortels.
Il n’est pas de civilisation sans culte des morts. Bien sûr, avec l’hommage aux
ancêtres et aux trépassés on cherche à les honorer. Mais aussi - et surtout - à
s’en prémunir. Il y aurai beaucoup à dire à ce sujet. Mais ce n’est pas ici le
lieu de tels développements.
" Une folie, une épidémie de folie, comparable aux démences contagieuses qui atteignirent les peuples d’Europe au moyen âge, sévit en ce moment dans la province de Sao Paulo. Les habitants éperdus quittent leurs maisons, désertent leurs villages, abandonnent leurs cultures, se disant poursuivis, possédés, gouvernés comme un bétail humain par des êtres invisibles bien que tangibles, des sortes de vampires qui se nourrissent de leur vie, pendant leur sommeil », lit effaré le malheureux héros du Horla. Et de ses rappeler alors le beau trois-mâts brésilien qui passa sous ses fenêtres quelques semaines auparavant, avant que son mal ne se déclare.
La littérature et la poésie regorgent ainsi des thèmes des revenants et
vampires. Songeons, entre autres, à Baudelaire qui,
animé de la flamme d’un érotisme noir, dans plusieurs de ces poèmes donnera
corps à ces êtres tirés d’un sommeil éternel. Ainsi, Le
revenant :
Site de
Victoria Francès
Avant lui, Goethe s’était emparé déjà du sujet dans sa sépulcrale ode à l’amour, La fiancée de Corinthe (1797).
Le revenant de Baudelaire (support de Victoria Francès) |
Avant lui, Goethe s’était emparé déjà du sujet dans sa sépulcrale ode à l’amour, La fiancée de Corinthe (1797).
Venant d’Athènes, un jeune homme se rendit
à Corinthe, où il était encore inconnu.
Il comptait sur l’aimable accueil de l’un
de ses habitants ;
les deux pères étaient unis par les liens
de l’hospitalité,
et avaient, depuis longtemps déjà,
fiancé l’un à l’autre
leur fils et leur fille.
Mais sera-t-il encore un hôte bienvenu
s’il n’achète chèrement cette faveur ?
Il est encore un païen, ainsi que les
siens,
mais eux sont déjà chrétiens et baptisés.
Quand une nouvelle foi prend naissance,
souvent l’amour et la foi jurée
sont détruits comme une mauvaise herbe.
Déjà la maison tout entière était livrée
au repos,
pères et filles ; seule la mère veille ;
elle reçoit l’hôte avec empressement ;
elle le conduit aussitôt dans la plus
belle des chambres.
Prévenant ses désirs,
elle lui présente les vins et les mets les
plus recherchés.
Ayant ainsi pris soin de lui, elle lui
souhaite une bonne nuit.
Mais malgré le repas bien servi,
il n’éprouve aucune envie de manger ;
la fatigue lui fait délaisser mets et boisson,
et il se couche tout habillé sur son lit.
Et il est déjà presque endormi,
lorsqu’un hôte étrange
pénètre dans la chambre par la porte
ouverte.
A la lueur de la lampe il voit s’avancer
dans la chambre une jeune fille
silencieuse et pudique,
couverte d’un voile et de vêtements
blancs,
le front ceint d’un ruban noir et or.
Dès qu’elle l’aperçoit,
elle s’étonne et s’effraie,
et lève sa blanche main.
“Suis-je donc, s’écrie-t-elle, si
étrangère dans ma propre maison
que l’on ne m’ait point annoncé la présence
d’un hôte ?
C’est ainsi, hélas ! que l’on me tient
enfermée dans ma cellule,
et qu’ici, maintenant, je suis couverte de
honte !
Mais continue à reposer
sur ta couche ;
je vais m’éloigner promptement, comme je
suis venue.”
“Reste, belle jeune fille !” s’écrie le
jeune homme
en quittant précipitamment son lit.
“Voici les dons de Cérès, voici ceux de
Bacchus,
et voici, chère enfant, que tu apportes
l’amour.
Tu es pâle de frayeur !
Viens, chère jeune fille, viens,
et goûtons ensemble aux joies des dieux !”
“Reste loin de moi, jeune homme, arrête !
Je ne suis pas vouée à la joie.
Le dernier pas, hélas ! a été fait
par ma mère chérie ; égarée par la
maladie,
elle fit, en guérissant, le serment
que ma jeunesse et mon corps
seraient consacrés désormais au service du
ciel.
“Et le brillant cortège des anciens dieux
a quitté aussitôt la maison devenue
silencieuse.
On n’adore plus maintenant qu’un seul Dieu
invisible dans le ciel, qu’un Sauveur sur
la croix ;
l’on n’offre ici en sacrifice,
ni brebis ni taureaux,
mais des victimes humaines en nombre
infini !”
“Et il la questionne, et il pèse tout ses
paroles,
dont aucune n’échappe à son esprit.
“Est-il possible que, dans cette chambre
silencieuse,
ce soit ma fiancée bien-aimée qui se tient
là devant moi ?
Sois donc à moi !
Les serment de nos pères
nous ont déjà valu la bénédiction du Ciel
!”
“Ce n’est pas moi qui te suis destinée,
bon jeune homme !
C’est ma sœur plus jeune qui t’est
réservée.
Lorsque dans ma cellule silencieuse, je
serais livrée à mes tourments,
ah ! pense à moi dans ses bras,
à moi qui ne pense qu’à toi,
qui me consume d’amour,
et qui, bientôt, irai me cacher sous la
terre !”
“Non, je le jure par cette flamme
qu’Hymen, dès maintenant, fait briller
pour nous,
tu n’es perdue ni pour la joie ni pour
moi,
et tu m’accompagneras dans la maison de
mon père.
Bien-aimée, reste ici !
Célèbre à l’instant même avec moi,
bien qu’inattendu, notre festin nuptial !”
Et déjà ils échangent les gages de la
fidélité :
elle lui tend une chaîne d’or,
et il veut lui offrir une coupe
d’argent, d’un art incomparable.
“Cette coupe n’est pas pour moi ;
mais je t’en prie,
donne-moi une boucle de tes cheveux !”
A ce moment sonna l’heure lugubre des
esprits,
et alors seulement, la jeune fille parut
être à son aise.
Avidement, de ses lèvres pâles, elle but
le vin, d’un rouge sombre comme le sang.
Mais du pain de froment qu’il lui offrit
aimablement,
elle ne prit pas la plus petite miette.
Et elle tend la coupe au jeune homme,
qui, comme elle, la vide d’un seul trait,
goulûment.
Et pendant ce repas silencieux il lui
demande son amour.
son pauvre cœur, hélas ! était malade
d’amour.
Mais elle résiste
à toutes ses supplications,
jusqu’à ce qu’il tombe en pleurant sur le
lit.
Et elle vient et s’étend près de lui.
“Ah ! comme je souffre de te voir ainsi
tourmenté !
Mais, hélas ! si tu touches à mes membres,
tu sentiras en frissonnant ce que je t’ai
caché.
Blanche comme la neige,
mais froide comme la glace
est l’amante que tu as choisie !”
Il la saisit avec ardeur dans ses jeunes
bras vigoureux,
emporté par la force de son jeune amour.
“Espère cependant te réchauffer encore
près de moi,
même si c’est le tombeau qui t’a envoyée
vers moi.
Mêlons nos souffles, échangeons nos
baisers !
Que notre amour déborde !
Ne brûles-tu pas en sentant la flamme qui
me dévore ?”
L’amour les unit plus fortement encore :
des larmes se mêlent à leurs transports.
Avidement elle aspire le feu de ses
lèvres,
et chacun ne se sent vivre que dans
l’autre.
A la fureur d’amour du jeune homme
le sang figé de la jeune fille se
réchauffe,
mais dans sa poitrine le cœur ne bat pas.
Cependant la mère, attardée aux soins du
ménage,
passe encore, d’un pas glissant, dans le
couloir, devant la chambre,
écoute à la porte, écoute longtemps
ces sons étranges :
accents plaintifs et voluptueux
d’un fiancé et de sa fiancée,
balbutiements insensés de l’amour.
Elle reste debout, immobile, à la porte,
car elle veut avant tout se convaincre,
et elle entend avec colère les serments
d’amour les plus solennels,
des paroles d’amour et de caresse :
“Silence ! le coq se réveille !
- Mais la nuit prochaine
tu viendras de nouveau ?” Et baisers sur
baisers.
La mère ne peut contenir plus longtemps
son
courroux, ouvre rapidement la serrure bien
connue.
“Y a-t-il donc dans cette maison des
filles perdues
capable de se donner ainsi aussitôt à
l’étranger ?”
Elle ouvre la porte, entre,
et, à la lumière de la lampe,
aperçoit, ô Ciel, sa propre fille.
Et le jeune homme, dans le premier moment
d’effroi, veut couvrir la jeune fille avec
son voile,
cacher la bien-aimée avec le tapis.
Mais elle se débat et se dégage aussitôt.
sa haute stature
se redresse lentement dans le lit.
“Mère, mère !” dit-elle d’une voix
sépulcrale,
“Vous me reprochez donc cette nuit si
belle ?
Vous me chassez de cette chaude couche ?
Ne me suis-je donc réveillée que pour me
livrer au désespoir ?
Ne vous suffit-il donc pas
de m’avoir de bonne heure ensevelie dans
un suaire
et mise au tombeau ?
“Mais une loi qui m’est propre me pousse
hors de la tombe étroite au lourd manteau
de la terre.
Les chants psalmodiés par vos prêtre
et leur bénédiction n’ont aucun effet.
L’eau et le sel ne peuvent
éteindre l’ardeur de la jeunesse,
et la terre, hélas ! ne refroidi pas
l’amour.
“Ce jeune homme me fut promis jadis,
alors qu’était encore debout le temple de
l’aimable Vénus.
Mère, et vous avez violé votre promesse
en vous liant par un vœu barbare et sans
valeur.
Car nul Dieu n’exauce
une mère qui jure
de refuser la main de sa fille.
“Une force me chasse hors du tombeau
pour chercher encore les biens dont je
suis sevrée,
pour aimer encore l’époux déjà perdu,
et pour aspirer le sang de son cœur.
Et quand celui-ci sera mort,
je devrai me mettre à la recherche
d’autres,
et mes jeunes amants seront victimes de
mon désir furieux.
“Beau jeune homme, tes jours sont comptés.
Tu vas maintenant mourir de langueur en ce
lieu.
Je t’ai donné mon collier ;
j’emporte avec moi ta boucle de cheveux.
Regarde-la bien !
Demain tes cheveux seront gris ;
dans la tombe seulement ils redeviendront
noirs.
“Écoute maintenant, mère, ma dernière
prière ;
Fais dresser un bûcher.
Ouvre l’étroit tombeau où j’étouffe,
et rends au repos les amants en les
livrant aux flammes.
Quand l’étincelle jaillira,
quand les cendres seront ardentes,
nous nous envoleront vers les anciens
dieux !”
En matière de vampires, sans conteste le genre romanesque est dominé par la
figure emblématique du
comte Dracula, dont le nom
fut tiré d’un personnage historique de sinistre réputation, un prince roumain
ayant vécu au XVe siècle, Vlad III Basarab, dit Tepes « l'Empaleur ». Quant au
vocable "Dracul", issu du latin "draco" signifiant
"dragon", ce sera le surnom qu’adoptera Vlad « l'Empaleur », en
relation à son père qui avait fait partie de l’ordre éponyme, une institution
crée en 1408, basée sur le modèle de l'Ordre de Saint Georges.
Je ne m’étendrai pas sur les horreurs commises par ledit personnage - elles ont
déjà fait couler beaucoup d’encre – et noterai juste que "dracul" a
un second sens, "le Diable"…
Il n’est pas anodin de
relever, passant, que le chef-d’œuvre de Bram Stoker (1897) vit le jour aux
encoignures pourrissantes du puritanisme victorien. Et si tout le monde
connaît, ne serait-ce qu’au travers d’adaptations cinématographiques plus ou
moins réussies, l’histoire du célèbre Dracula, au final assez peu ce me semble
ont lus ce roman, dont l’essentiel est constitué d’extraits de journaux, de
carnets et d’échanges épistolaires.
En bref, et sans dévoiler l’intrigue, c’est l’histoire de Jonathan Harker,
anglais fiancé à une certaine Mina Murray, fort jolie femme. Il est clerc de
notaire et envoyé par son employeur en Transylvanie chez un comte, dont le
château se trouvé perché au cœur des Carpates, pour y conclure la vente d’une
propriété que ce dernier veut acquérir en Angleterre.
Dans la première partie du journal de Jonathan Harker, qui fut publié en
dehors de l’édition originale, le décors est planté de saisissante manière.
Profitant d’un jour de repos dans le périple devant le conduire chez son
client, il part en excursion aux environs de Munich. C’est la veille de
la nuit de Walpurgis.
Survient une affreuse tempête. Perdu Jonathan échoue la nuit venue dans un
vieux cimetière dominé par un grand tombeau de marbre, blanc comme neige,
notera-t-il. Sur la porte du mausolée figure cette inscription en allemand :
« Comtesse Dolingen de Gratz. Styrie. Elle a
cherché et trouvé la mort. 1801 ». Après avoir remarqué, fiché dans
le marbre au dessus du tombeau, un long pieu de fer, il revient de l’autre côté
du mausolée et relève une seconde inscription, gravée en russe cette fois :
« Les morts vont vite ».
Ce qui suivra, je le laisse découvrir.
Mais devant l’ampleur que prend ce billet, aussi bien
qu’à la vue du soleil qui transperce à présent les nuages - il est 15h en ce
samedi -, s’impose l’idée de briser là mon élan pour m’en aller jouir de ma
sieste hebdomadaire sous un pommier.
Je parlerai, peut-être, une prochaine fois de la place du vampire dans
les jeux de rôle médiévaux
fantastiques, ou encore de certaines BD ayant adapté cet univers
sombre où évoluent suceurs de sang et autres rejetons de mausolées. Parmi mes
préférés, en bref : « Je suis un vampire », de Trillo & Risso, contant l’histoire d’un
enfant devenu immortel, né à l’époque des pharaons, et que poursuit de sa haine
éternelle sa sœur aînée. « La chronique des immortels », scénarisée
par Benjamin Von Eckartsberg et
mise en image par Thomas von Kummant,
est quant à elle l’adaptation du roman éponyme de Wolfgang Hohblein. Je n’oublie pas
la série « Rapaces », commise par Marini et Dufaux,
ni l’incontournable « Requiem », le fameux
chevalier vampire imaginé par Mills et Ledroit, dont les
premiers tomes valent détour (l’abus du filon a rendu les derniers volets
insipides, sinon dispensables).
Requiem (Mills & Ledroit) |
Possible encore que j’aborde la sombre figure du vampire au travers du
mouvement gothique. Que je dise un mot de ces groupes ayant flirtés, tant dans
certains de leurs textes qu’au fil d’âpres mélodies, avec les noirceurs
vampiriques. Marilyn Manson,
évidemment, mais bien d’autres moins connus. Ainsi Inkubus Sukkubus et sa chanteuse au charme
trouble, Candia McKormack, et dont l’un des album se nomme « Vampyre
Erotica » (1997). Sinon Umbra & Imago.
Entretien avec un vampire |
Peut-être, enfin, parlerai-je de la figure du vampire
au cinéma.
Avec, par exemple, Underworld, titre
donné à une série de films dont j’ai revu hier, emporté par mon élan, le
premier opus, trouvé en version intégrale sur Youtube. Les suceurs de sang y
sont en guerre avec les Lycans, autres figures mythiques de notre imaginaire.
Et, malgré les grosses ficelles du blockbuster américain, s’y trouvent des
ingrédients propices à méditations philosophiques : une race de maître, une
race d’esclave, ségrégation, amours interdits, violence et sexe.
Avec, aussi, Entretien avec un vampire,
adaptation tirée de l’un des premiers - et des meilleurs - livres d’Anne Rice (1976). Deux mots de l’histoire :
Louis de la pointe du lac, jeune gentilhomme du XVIIIe siècle dont la propriété
se situe dans les environs de la Nouvelle-Orléans, est las de la vie
lorsqu’il croise le chemin de Lestat de Lioncourt. Ce dernier lui offre
l’immortalité, ce cadeau empoisonné.
Mais le soleil s’épuise…
Il est temps de refermer mon écran… Demain je mettrai en ligne… Enfin, enfin.
Ce soir, demain, peut-être.
Underworld |
Quoi
! C’est dans notre XVIIe siècle qu’il y a eu des vampires! c’est après le règne
des Locke, des Shaftesbury, des Trenchard, des Collins; c’est sous le règne des
d’Alembert, des Diderot, des Saint-Lambert, des Duclos, qu’on a cru aux
vampires, et que le R. P. dom Augustin Calmet, prêtre bénédictin de la
congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hidulphe, abbé de Sénones, abbaye de
cent mille livres de rentes, voisine de deux autres abbayes du même revenu, a
imprimé et réimprimé l’histoire des vampires avec l’approbation de la Sorbonne,
signée Marcilli!
Ces
vampires étaient des morts qui sortaient la nuit de leurs cimetières pour venir
sucer le sang des vivants, soit à la gorge ou au ventre, après quoi ils
allaient se remettre dans leurs fosses. Les vivants sucés maigrissaient,
palissaient, tombaient en consomption; et les morts suceurs engraissaient,
prenaient des couleurs vermeilles, étaient tout a fait appétissants. C’était en
Pologne, en Hongrie, en Silésie, en Moravie, en Autriche, en Lorraine, que les
morts faisaient cette bonne chère. On n’entendait point parler de vampires à
Londres, ni même à Paris. J’avoue que dans ces deux villes il y eut des
agioteurs, des traitants, des gens d’affaires, qui sucèrent en plein jour le
sang du peuple; mais ils n’étaient point morts, quoique corrompus. Ces suceurs
véritables ne demeuraient pas dans des cimetières, mais dans des palais fort
agréables.
Qui
croirait que la mode des vampires nous vint de la Grèce? Ce n’est pas de la
Grèce d’Alexandre, d’Aristote, de Platon, d’Épicure, de Démosthène, mais de la
Grèce chrétienne, malheureusement schismatique.
Depuis
longtemps les chrétiens du rite grec s’imaginent que les corps des chrétiens du
rite latin, enterrés en Grèce, ne pourrissent point, parce qu’ils sont
excommuniés. C’est précisément le contraire de nous autres chrétiens du rite
latin. Nous croyons que les corps qui ne se corrompent point sont marqués du
sceau de la béatitude éternelle. Et dès qu’on a payé cent mille écus à Rome
pour leur faire donner un brevet de saints, nous les adorons de l’adoration de
Dulie.
Les Grecs
sont persuadés que ces morts sont sorciers; ils les appellent broucolacas ou
vroucolacas, selon qu’ils prononcent la seconde lettre de l’alphabet. Ces morts
grecs vont dans les maisons sucer le sang des petits enfants, manger le souper
des pères et mères, boire leur vin, et casser tous les meubles. On ne peut les
mettre à la raison qu’en les brûlant, quand on les attrape. Mais il faut avoir
la précaution de ne les mettre au feu qu’après leur avoir arraché le coeur, que
l’on brûle à part.
Le célèbre
Tournefort, envoyé dans le Levant par Louis XIV, ainsi que tant d’autres
virtuoses, fut témoin de tous les tours attribués à un de ces broucolacas, et
de cette cérémonie. Après la médisance, rien ne se communique plus promptement
que la superstition, le fanatisme, le sortilège et les contes des revenants. Il
y eut des broucolacas en Valachie, en Moldavie, et bientôt chez les Polonais,
lesquels sont du rite romain. Cette superstition leur manquait; elle alla dans
tout l’orient de l’Allemagne. On n’entendit plus parler que de vampires depuis
1730 jusqu’en 1735: on les guetta, on leur arracha le cœur, et on les brilla:
ils ressemblaient aux anciens martyrs; plus on en brûlait, plus il s’en
trouvait.
Calmet
enfin devint leur historiographe, et traita les vampires comme il avait traité
l’ancien et le nouveau Testament, en rapportant fidèlement tout ce qui avait
été dit avant lui.
C’est une
chose, à mon gré, très curieuse, que les procès-verbaux faits juridiquement
concernant tous les morts qui étaient sortis de leurs tombeaux pour venir sucer
les petits garçons et les petites filles de leur voisinage. Calmet rapporte
qu’en Hongrie deux officiers délégués par l’empereur Charles VI, assistés du
bailli et du bourreau, allèrent faire enquête d’un vampire, mort depuis six
semaines, qui suçait tout le voisinage. On le trouva dans sa bière, frais,
gaillard, les yeux ouverts, et demandant à manger. Le bailli rendit sa
sentence. Le bourreau arracha le coeur au vampire, et le brûla; après quoi le
vampire ne mangea plus.
Qu’on ose
douter après cela des morts ressuscités, dont nos anciennes légendes sont
remplies, et de tous les miracles rapportés par Bollandus et par le sincère et
révérend dom Ruinart!
Vous
trouvez des histoires de vampires jusque dans les Lettres juives de ce
d’Argens, que les jésuites auteurs du Journal de Trévoux, ont accusé de ne rien
croire. Il faut voir comme ils triomphèrent de l’histoire du vampire de
Hongrie; comme ils remerciaient Dieu et la Vierge d’avoir enfin converti ce
pauvre d’Argens, chambellan d’un roi qui ne croyait point aux vampires.
" Voilà
donc, disaient-ils, ce fameux incrédule qui a osé jeter des doutes sur
l’apparition de l’ange à la sainte Vierge, sur l’étoile qui conduisit les
mages, sur la guérison des possédés, sur la submersion de deux mille cochons
dans un lac, sur une éclipse de soleil en pleine lune, sur la résurrection des
morts qui se promenèrent dans Jérusalem: son cœur s’est amolli, son esprit
s’est éclairé; il croit aux vampires! "
Il ne fut
plus question alors que d’examiner si tous ces
morts étaient ressuscités par
leur propre vertu, ou par la puissance de Dieu, ou par celle du diable.
Plusieurs grands théologiens de Lorraine, de Moravie et de Hongrie, étalèrent
leurs opinions et leur science. On rapporta tout ce que saint Augustin, saint
Ambroise, et tant d’autres saint, avaient dit de plus inintelligible sur les
vivants et sur les morts. On rapporta tous les miracles de saint Étienne qu’on
trouve au septième livre des œuvres de saint Augustin; voici un des plus
curieux. Un jeune homme fut écrasé, dans la ville d’Aubzal en Afrique, sous les
ruines d’une muraille; la veuve alla sur-le-champ invoquer saint Étienne, à qui
elle était très dévote: saint Étienne le ressuscita. On lui demanda ce qu’il
avait vu dans l’autre monde. " Messieurs, dit-il, quand mon âme eut quitté
mon corps, elle rencontra une infinité d’âmes qui lui faisaient plus de
questions sur ce monde-ci que vous ne m’en faites sur l’autre. J’allais je ne
sais où, lorsque j’ai rencontré saint Étienne qui m’a dit: " Rendez ce que
vous avez reçu. " Je lui ai répondu: " Que voulez-vous que je vous
rende? vous ne m’avez jamais rien donné. " Il m’a répété trois fois:
" Rendez ce que vous avez reçu. " Alors j’ai compris qu’il voulait
parler du Credo. Je lui ai récité mon Credo, et soudain il m’a ressuscité.
"
On cita
surtout les histoires rapportées par Sulpice Sévère dans la vie de saint
Martin. On prouva que saint Martin avait, entre autres, ressuscité un
damné.
Mais toutes
ces histoires, quelque vraies qu’elles puissent être, n’avaient rien de commun
avec les vampires qui allaient sucer le sang de leurs voisins, et venaient
ensuite se placer dans leurs bières. On chercha si on ne trouverait pas dans
l’ancien Testament ou dans la mythologie quelque vampire qu’on pût donner pour
exemple; on n’en trouva point. Mais il fut prouvé que les morts buvaient et
mangeaient, puisque chez tant de nations anciennes on mettait des vivres sur
leurs tombeaux.
La
difficulté était de savoir si c’était l’âme ou le corps du mort qui mangeait.
Il fut décidé que c’était l’un et l’autre. Les mets délicats et peu
substantiels, comme les meringues, la crème fouettée, et les fruits fondants,
étaient pour l’âme; les roast-beefs étaient pour le corps.
Les rois de
Prusse furent, dit-on, les premiers qui se firent servir à manger après leur
mort. Presque tous les rois d’aujourd’hui les imitent; mais ce sont les moines
qui mangent leur dîner et leur souper, et qui boivent le vin. Ainsi les rois ne
sont pas, à proprement parler, des vampires. Les vrais vampires sont les moines
qui mangent aux dépens des rois et des peuples.
Il est bien
vrai que saint Stanislas, qui avait acheté une terre considérable d’un
gentilhomme polonais, et qui ne l’avait point payée, étant poursuivi devant le
roi Boleslas par les héritiers, ressuscita le gentilhomme; mais ce fut
uniquement pour se faire donner quittance. Et il n’est point dit qu’il ait
donné seulement un pot de vin au vendeur, lequel s’en retourna dans l’autre
monde sans avoir ni bu ni mangé.
On agite
souvent la grande question si l’on peut absoudre un vampire qui est mort
excommunié. Cela va plus au fait.
Je ne suis
pas assez profond dans la théologie pour dire mon avis sur cet article; mais je
serais volontiers pour l’absolution, parce que dans toutes les affaires
douteuses il faut toujours prendre le parti le plus doux : Odia restringenda,
favores ampliandi.
Le résultat de tout ceci est qu’une grande partie de
l’Europe a été infestée de vampires pendant cinq ou six ans, et qu’il n’y en a
plus; que nous avons eu des convulsionnaires en France pendant plus de vingt
ans, et qu’il n’y en a plus; que nous avons eu des possédés pendant dix-sept cents
ans, et qu’il n’y en a plus; qu’on a toujours ressuscité des morts depuis
Hippolyte, et qu’on n’en ressuscite plus; que nous avons eu des jésuites en
Espagne, en Portugal, en France, dans les Deux-Siciles, et que nous n’en avons
plus.
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