Conférence à "Sup'Aéro"
avec Aurélien Barrau.
C’est à la fois tragique et imparable… Il y a beaucoup de lucidité, de
sensibilité et de poésie aussi dans les propos d’Aurélien Barrau.
Je sais que cela ne sert pas à grand-chose, mais j’avais envie de partager quelques extraits de cette causerie toute récente.
La première partie est l’exposé d’Aurélien Barrau. C’est clair et sans concessions.
Il pose le problème exactement là où il convient de le faire. Juste un mince
passage :
« On aurait, éventuellement dans un futur lointain, une source
d’énergie qui serait presque infinie, et presque propre (…) Peu importe en réalité,
cela serait une catastrophe. Pourquoi ? Parce que le problème est ce qu’on
fait de l’énergie. Sans une révolution, non pas des usages, mais des valeurs,
nous continuerions vraisemblablement à utiliser cette énergie comme nous le faisons
aujourd’hui, pour décimer les populations animales, pour dévaster les sols,
pour raser les forêts, pour massacrer les fonds marins. Dans ces conditions quelle
importance qu’on émette du CO2 ou pas avec cette source d’énergie. Dès lors que
l’énergie est utilisée pour détruire la vie, in fine la vie est morte avec ou
sans émission de CO2 »[1]
(Vers 13mn)
Mais plutôt qu’une transcription très partielle de cet exposé, j’ai choisi
de reprendre quelques extraits de la seconde partie de la vidéo, au moment des
questions/réponses.
Source de l'image : https://www.lafactory.ma/destruction-des-ecosystemes-perte-de-biodiversite-surconsommation-ce-que-le-coronavirus-dit-de-nos-societes/ |
Question :
« Tu as beaucoup parlé d’aéronautique et du spatial, mais le spatial
a un peu aidé à la compréhension du réchauffement climatique. Quel peu être le
rôle du spatial dans la suite et prend-t-il la bonne direction ? »
Réponse AB :
(…) Sincèrement je peine un peu avec cette question. Evidement qu’il y
a beaucoup de belles conséquences du spatial. Bien évidement que cela a aidé. Évidement
que moi, dans mon métier de cosmologiste j’utilise des résultats obtenus par
des satellites et que ces résultats sont bienvenus. C’est vrai, on le sait. Le
problème c’est qu’on est à l’heure des choix. Et sincèrement je trouve pour ce
qui est de la catastrophe écologique, pour l’essentiel le spatial ne sert qu’à
corroborer ce qu’on sait déjà. Dennis Meadow avait anticipé les points de
rupture du système biosphère terrestre sans avoir besoin de satellites. On
mesure sur Terre les élévations de température, les fluctuations, les états non
linéaires, les chutes de populations, la nécrose des sols, l’acidification des
océans. Finalement on mesure très bien sur Terre la mort de la vie. Sincèrement
les satellites c’est quand même un peu une information à la marge. Et je trouve
que la direction actuelle est triste. L’espace est en train un peu de devenir,
pas exclusivement on est bien d’accord, il faut rester subtil et nuancé, mais
quand même tendanciellement je crois qu’on va vers une vaste foire publicitaire
et commerciale et je trouve ça un peu sale.
Le ciel, n’est-ce pas, on pensait que c’était la seule chose qu’ils ne
pouvaient pas nous retirer. On s’est trompé ! Même ça ils savent le
maculer. Vous avez entendu parler de cet hôtel spatial pour super riches qui
est en projet, de ces stations-services qui sont en contrat, de cette publicité
cosmique qui est en préparation. Pardon pour la métaphore, mais je trouve que
les immenses structures phalliques des fusées sont un peu une sorte de dernière
érection nihilistes… Qui signe la faillite d’une humanité arrogante et aveugle.
En ce qui me concerne j’ai tendance à considérer aujourd’hui que l’étoffe des
héros, c’est celle des Indiens qui luttent pour la survie de la forêt, c’est
celle des réfugiés qui luttent pour la survie de leurs familles, c’est celle
des animaux qui luttent pour la survie de leur meute, de leur horde, dans un
anthropocène dévasté. Honnêtement l’astronaute il est devenu, malgré lui sans
doute, l’image stéréotypée, formatée, aseptisée de l’hubris presque mortifère,
d’une société qui a perdu sa superbe.
Question :
Je suis d’accord avec toi sur le constat alarmant de la situation. Mais
j’ai un problème sur la faisabilité d’une transition écologique. Je ne vois pas
comment on peut imposer des contraintes de réduction de consommation à l’échelle
globale …
Réponse AB :
(….) Si tu veux dire que cela va être difficile, voire impossible dans
les faits, c’est à peu près mon constat aussi. C’est aussi pour ça que je me
suis totalement retiré du débat public et que je ne signe plus de pétitions, et
que je ne vais plus faire le guignol dans les émissions de radio ou de télé.
Parce que finalement il y a quelque chose d’absolument inexorable dans la
dynamique qu’on a mis en place.
Il y a plusieurs façons de le voir. Il y a une façon factuelle :
tu regardes les rapports de force, les rapports d’influence, le niveau de
compréhension, de culture et de sérieux des dirigeants politiques, et là tu
arrives forcément à la conclusion que c’est foutu ! (…)
Il y a une autre façon de voir les choses, qui est prendre un peu de
hauteur, et de se dire, au-delà de ce constat désastreux, essayons de regarder
le niveau d’inéluctabilité des différentes situations. Il y a des choses
inéluctables : par exemple, le taux de CO2 dans l’atmosphère on ne peut
pas l’épurer de façon chimique (…) Autre exemple : si on s’amuse à faire
une guerre nucléaire mondiale, on aura un taux de radiations dans l’air qui
sera, la même manière, sur des échelles de temps extrêmement grandes inchangeables.
Quand on aura flingué un million d’espèces on ne va pas les faire revivre. (…)
A contrario, l’espèce de folie, car ça relève quand même un peu d’une
aliénation, dans laquelle nous nous sommes enfermés, c’est-à-dire créer des non-sens,
qui sont dévastateurs pour les autres et suicidaires pour nous, quand on y
réfléchit deux secondes, on se dit que le système de représentation, dit
démocratique, que nous avons mis en place, devrait avoir exactement pour but de
veiller à ce genre de choses. Voilà les deux niveaux de lecture. (…)
Quand la courbe de consommation va repasser sous la courbe de
production, car ça ne peut pas être autrement, on peut tricher avec le
ministère des finances, on ne peut pas tricher avec la physique, ça va être
terrible ! Voilà… Je suis en même temps convaincu qu’on ne peut rien
faire, et en même temps cela serait tellement facile de faire quelque chose.
Question :
(…) Dans quelle mesure vous n’êtes pas d’accord avec le fait qu’on ne pourrait
pas être sauvé par le progrès ? Est-ce qu’on peut continuer à faire de la
recherche scientifique, que ce soit sur le changement climatique, que ce soit
sur des solutions qui pourraient peut-être nous permettre de vivre en peu mieux ?
…
Réponse AB :
« Je suis absolument convaincu qu’on peut être sauvé par le progrès. Ce
que je récuse, c’est l’endoctrinement des fou furieux en costume trois pièces
qui veulent nous faire croire que le progrès c’est de foutre les livres à la
benne, de tuer les oiseaux, et d’attendre le bus en alternant entre Facebook et
Twitter. C’est ça que je dis. Il faut simplement se réinvestir du concept de progrès.
La bonne question finalement et de se demander ce qu’il faut sauver et ce qu’il
faut défendre. Mais pour le moment on fait comme si nous savions où aller et
que la question était comment y parvenir. C’est faux ça ! La question il
faut qu’on se la pose. Pour moi, peut-être n’êtes-vous pas d’accord, le monde d’Elon
Musk, l’un des hommes les plus riches du monde, celui qui fait rêver les
techno-addicts, c’est un monde où, on pourra lire dans la pensée, dit-il grâce à
des dispositifs neuro-sensibles, ou les satellites artificiels auront remplacé
les étoiles, ou l’exploration spatiale sera privatisée, remplacée par de la
publicité cosmique, où on commercialise des lance-flammes, ce qu’il a fait,
pour le « fun », ou on essaye de faire croire qu’un quatre-quatre de
deux tonnes peu être une automobile écologique, où on va rendre internet
accessible en ultra haut-débit depuis le cœur du Sahara, où on mets une bagnole
en orbite, vous vous rendez compte symboliquement ce que ça veut dire, juste
pour montrer sa puissance ! Où tout s’organise pour que, lorsque s’organisent
les structures de solidarité cèderont, quelques rares milliardaires parviennent
à tirer leur épingle du jeu. Pour moi, ce monde là c’est la dystopie absolue !
C’est l’enfer sur Terre ! … Même sans le moindre effet de réchauffement
climatique, de biodiversité en chute libre, ou de pollution, pour moi le monde d’Elon
Musk c’est le pire des mondes possibles – en tout cas un des pires !
Donc la question est : ou veut-on aller ? Quel est le sujet à
défendre ? Et ça ce n’est pas une question de scientifique. La destruction
de la vie, ce n’est pas une erreur scientifique (…) Il n’est pas question dans
cette affaire de vérité ou d’astuce, il est question de choix. Il faut qu’on
comprenne que tout n’est pas compatible avec tout. (…)
Baisser les bras et arrêter certaines activités intellectuelles,
certainement pas ! Il faut les réorienter. On est devenus bêtes. On a
confondu que quelque chose soit faisable avec le fait qu’il faille le faire.
Aujourd’hui c’est : j’ai une technologie pour faire la 27G de téléphones
portables, donc je vais la faire. Pourquoi ? Parce que j’ai la possibilité
technologique de le faire. Mais cela n’a aucune sens ! (…) Tout ce qui est
faisable n’est pas souhaitable. Donc oui, faisons du progrès, mais le progrès c’est
le contraire du monde de Musk et de Bezos …
Question :
En tant que professeur, comment pensez-vous qu’il faille inclure l’écologie
dans l’enseignement ? ET plus précisément, dans une école comme la nôtre ?
Réponse AB :
(…) Mettre des cours d’écologie à « Sup-Aéro », ou à « Centrale »,
ou partout ailleurs, c’est quand même un peu mettre des cours de pacifisme dans
une entreprise de fabrication d’armes. C’est paradoxal. Car soit le cours n’est
pas entendu, soit l’entreprise ferme. Vous êtes une grande école, une école
prestigieuse, mais au-delà de « Sup-Aéro », regardez le panel des
grandes écoles françaises. Elles sont toutes le dos tourné à la vie. Elles
reflètent toutes une vision du monde qui est assez dépassée, et relèvent d’une
inertie qui devient problématique. Qu’est-ce qu’on valorise dans les grandes
écoles ? D’abord vous avez réussi
un concours très difficile, mais très formaté. Ou vous avez été entrainés à la
résolution d’exercices similaires, sans jamais devoir questionner la pertinence
de l’énoncé. Quand on y réfléchit c’est étrange tout de même … Ensuite vous avez
été aussi entrainés à ne jamais poser de questionnements philosophiques. Jamais
de contextualisation historique. Jamais de résonnances artistiques. Et une fois
que vous avez intégré l’école, je parle des grandes écoles en général, qu’est-ce
qu’on apprend essentiellement ? A construire des objets techniques, à
produire de la croissance, à manager des équipes, à artificialiser l’espace,
bref tous les points qui pris un à un sont les causes et non pas les
conséquences de la chute à laquelle on assiste.
Dans ma fac à Grenoble je fais un petit cours d’écologie avec d’autres
collègues, je ne sais pas vraiment quel sens ça a. Car il y a une capacité de
résilience de notre système qui est à la fois admirable et paniquante. Vous
vous rendez compte, et regardez « Don’t look up », si vous ne l’avez
pas encore vu, c’est parfait ! Les personnages ne sont pas exagérés. Je
vous jure je les connais tous. Je les ai vu pour de vrai. En fait vous allez
sur un plateau de télé pour dire, c’est la fin du monde les amis, il y a un
truc grave qui se passe, qui ne s’est jamais passé dans les quatre milliards d’années
d’évolution de la vie sur Terre, ce n’est pas exactement un détail et à la fin
on vient vous voir en vous demandant quoi ? Si vous êtes à la télé on vous
dit : c’était pas mal, mais attention faudrait remaquiller un peu pour la
seconde partie de l’émission… Et puis essayes de sourire un peu plus, c’est un
peu sinistre, ce n’est pas cool ! Comme dans le film, je l’ai vécu. (…) On
est encore dans la société du spectacle de Debord. Donc oui sans doute faire des
cours c’est mieux que rien. Voilà ! Mais est-ce que faire des cours, sans changer l’architecture
systémique à vraiment un sens, sincèrement je crains que non ».
Question (pour finir) :
Finalement le crash est-il évitable ?
Réponse AB :
Si on veut dire, est-ce qu’un atterrissage en douceur est encore
possible ? C’est sûr que non… On a, pendant cinquante ans, consommé deux
fois plus que ce qui était disponible de façon durable. Et puis de toute façon
on a déjà tué l’essentiel des êtres vivants sur Terre. (…) Est-ce que pour autant
le crash veut dire à la fin tout le monde est mort, bien sûr que non. Donc je
ne pense pas qu’il faille se poser la question en termes de : est-ce qu’on
peut s’en sortir ? Ce qui est intéressant dans cette question, c’est :
qu’est-ce que « le on » ? Qu’est-ce que « le s’en sortir » ?
C’est qui le on ? Les étudiants de « Sup-Aéro » ?
Les Français ? Les Européens ? Les Occidentaux ? Les riches ?
Les humains ? Les mammifères ? Les vertébrés ? Les vivants ?
Et dans le « s’en sortir », cela veut quoi ? Que le « on »
identifié reste là et tous les autres meurent ? Ou que « le on »
identifié reste- là en tant qu’espèce, mais ce n’est pas grave si les trois
quarts meurent ? Cela veut dire concrètement : vos parents,
votre copine et vos gamins vont mourir mais pas vous, donc c’est bon parce que
l’espèce n’est pas menacée.
Donc le concept de crash (…) est tellement polysémique que la chose à
mettre sur la table c’est de savoir ce qui nous importe. Ce n’est pas un détail
rhétorique ! Je suis allé à des discussions d’universitaires très intelligents
mais on ne parlait juste pas de la même chose. J’ai des collègues pour qui la
seule chose qui compte c’est la durée de vie de l’humanité. Si la durée de vie
de l’humanité ne chute pas tout va bien – d’abord elle va chuter ! Mais le
fait qu’on détruise des millions de milliards d’êtres vivants en termes de dommages
collatéraux, ce n’est même pas qu’ils s’en fichent, ce que cela ne leur
traverse même pas l’esprit. Les autres vivants ne sont pas même réifiés, ils
sont effacés. Je ne suis pas d’accord. Mais ce n’est pas un problème
scientifique c’est un problème axiologique. (…)
Regardez le débat présidentiel en ce moment en France. Je trouve ça
émétique ! (Un débat) de mesquinerie et de médiocrité. Qui pose cette
question ? Ou veut-on aller ? Personne ! Faut déjà se poser
cette question et ensuite on verra ce qu’on peut faire …
Et là déjà on n'est pas tous d’accord là-dessus (…) Certains pensent peut-être
que l’iphone 28 rend heureux. D’accord, mais mettons-le sur la table alors … Ne
faisons pas comme si c’était un implicite. Si la majorité de la population
préfère voir ses enfants crever mais avoir l’iphone 28, très bien … Mais au
moins cela sera dit et on le fera en connaissance de cause !
[1] Incise à propos de la fusion nucléaire.