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Énigme de Bologne
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Fut un temps où je frayais dans
l’exotisme alchimique de la prose du Jung. J’étais jeune, malléable et
idéaliste à ma manière, n’ayant quasiment pas d’autre lectures que celles du
« sage de Bollingem ». Aussi n’était-il pas étonnant d’entretenir des
rêves de mandala, d’anima et d’animus, de principes mercuriels arrachés
d’athanors fuligineux, ou encore de pierres philosophales cachés dans le plus
ignoble des fumiers. Prophéties oniriques auto réalisatrices ! Et de
reprendre en cœur la formule fameuse chez les chercheurs d’un or qui n’est pas
celui du vulgaire : V.I.T.R.I.O.L (Visita
Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem - Visite l’intérieur de la terre et en
rectifiant tu trouveras la pierre cachée).
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Bologne - Fontaine de Neptune |
Il faut dire qu’avec Jung, une
fois dépoussiérée la phraséologie alcoolisée de synchronicité, sinon trempée
dans les fourneaux de la fontaine de vie, tout est religieux – certes à la
sauce germanique ; un religieux habité par l’expérience numineuse, ou si l’on
préfère, teinté d’une spiritualité ‘archétypale’. Dans cette toile infalsifiable
la symbolique est partout et nulle part tout à la fois, insaisissable,
indicible. Pas étonnant que les adeptes des sciences occultes de toutes
obédiences aient pu trouver dans cette mythologie mystico-ésotérique si bien
leur compte ; de même les soubrettes new
age et autres ‘initiés’ au long court avec lesquels il est toujours
flatteur de marquer accointance - Jung ne va d’ailleurs pas sans Mircea Eliade,
historien des religions que l’on sait. A
son propos Daniel Dubuisson dans ses roboratives « Mythologies du XXe siècle » raconte : « A l’intérieur de l’univers mystique d’Eliade
les choses et les êtres ordinaires, concrets, s’effacent (ou se spiritualisent)
et cèdent la place à des pseudo-essences. Seuls subsistent alors : la vie,
l’âme, la création, la sainteté, l’homme, la connaissance, le temps, l’univers,
la sacralité, la réalité, le monde, la présence, l’être, l’au-delà, l’esprit…[…]
Chacun d’eux, suivant le cas, c’est-à-dire suivant la seule fantaisie d’Eliade,
sera : sacré, divin, intégral, cosmique, surhumain, profond, total, intégral,
spirituel, atemporel, absolu, primordial, mystique, religieux…[…] Est laissé au
lecteur, avec ce lexique de base, le plaisir d’imaginer lui-même d’amusants
pastiches « à la manière de …». Mais qu’il se rassure, ceux-ci sont faciles à
composer, n’importe quel substantif pouvant s’associer à n’importe quel
épithète. (Ce n’est) au fond qu’un procédé rhétorique assez sommaire : apposer
des prédicats mystiques très vagues sur les notions les plus floues afin de
produire un effet surprenant, une atmosphère mystérieuse, intemporelle,
irréelle. »
Bref, à cette époque, l’esprit
farci de tout ce fatras, me hantait l’Enigme de Bologne, épitaphe
énigmatique, apparue au XVe siècle. C’est
dans Mysterium coniunctionis, ouvrage
de Jung tournant comme on devine autour de la conjonction des opposés, dualités
souvent agencées en quaternités que je la découvris :
« On cite une
épitaphe trouvée à Bologne et connue sous le nom d’Inscription
d’Aelia-Laelia-Crispis et il est démontré que l’épitaphe et les nombreux commentaires
à son sujet révèlent le travail de l’inconscient collectif. (…). Les
interprétations de Barnaud et de Maier sont fondées sur les idées alchimiques
de prima materia, lapis, démembrement, panacée et conjonction. Celles de
Malvasius révèlent des projections d’anima et d’archétypes féminins : le
chêne, un numen féminin considéré comme la source de la fontaine, le vase, la
mère et la source de vie. On trouve des images semblables dans les rêves
d’aujourd’hui. Le thème du chêne est examiné à la lumière du mythe de Cadmos et
de ses symboles de perte d’anima dans l’inconscient, de relation incestueuse,
de passage à l’exogamie, de combat des complexes et du problème moral des
opposés. Il y a une interprétation alchimique du même mythe : Cadmos est
le Mercure sous sa forme masculine (le soleil) à la recherche de son complément
féminin (la lune) ; afin de supprimer le chaos, il doit tuer le serpent
pour permettre la conjonction et l’harmonie de ces éléments. Les dépouilles du
combat sont offertes au chêne, représentant l’inconscient, source de vie et
d’harmonie. L’énigme de Bologne et les commentaires sont un parfait exemple de
la méthode alchimique en général. On trouve des analogies dans la littérature
médiévale, dans le "Roman de Merlin", "l’Epigramme de l’hermaphrodite"
attribuée à Mathieu de Vendôme et celle de "Niobé métamorphosée". La
définition par Richard White de l’âme comme le soi de l’humanité est
interprétée comme une référence possible à l’inconscient collectif ; on
note également sa découverte de la nature androgyne de l’âme humaine. On
commente l’interprétation de Veranus comme une anticipation de la théorie
sexuelle de l’inconscient de Freud. L’interprétation de C. Schwartz voit
l’Eglise dans l’inscription de Bologne : le symbole de l’église étant ici
l’expression et le substitut des mystères de l’âme que les philosophes
humanistes projetaient sur l’épitaphe d’Aelia. L’étude de l’inscription et de
ses interprétations débouchent sur la conclusion que l’inconscient collectif,
via les archétypes, fournit les conditions a priori du sens. »
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Place centrale de Bologne (Piazza Maggiore) |
Evidement chez Jung toutes les
interprétations convergent sur l’idée d’un inconscient collectif. Pourtant la
pierre au texte singulier, « entièrement basé sur l’oxymore et sur les
négations »
suscita d’autres pistes comme « l’identification
avec l’Idée platonicienne ». D’aucuns crurent même pouvoir
réduire le texte à une péripétie de couche : « il s’agirait de la pierre tombale d’une fille, Aelia Laelia
Crispis elle-même, promise en mariage avant même de naître, mais morte à cause
d’un avortement ». Et de considérer l’énigme révélée…
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A Bologne, sur les dalles de l'université... |
Des forgeries de l’exaltation au
forçage de la raison, mieux valait-il, sans doute, en rester à ces points
d’interrogation faisant le charme des babils sans conséquences. Il n’empêche qu’alors,
tout à mon excitation initiatique, je commis avec Quantom 1+3 une paraphrase de
l’énigme, intégrée sur une compilation de titre regroupés sous l’expression évocatrice
– valant programme - de « L’œuvre au noir » (il est assez
cocasse aujourd’hui de devoir m’en aller chez un hébergeur russe pour retrouver
ces vieux morceaux ; l’orthographe des titres des plages musicales y est souvent
sauvagement estropiée, mais allons…).
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Musée d'histoire médiévale |
Cela remonte à bien des années.
Mais occasion m’ayant été offerte en octobre dernier de visiter le cœur de la Dotta, je ne pouvais décemment
escamoter une visite au palais Fava, abritant le musée d’histoire médiévale ou
repose la fameuse inscription gravée. Une visite de courtoisie, motivée par ces
espèces de nostalgies ne souhaitant pas s’afficher comme telles. Mais un
premier tour des collections ne permis pas de localiser, parmi les stèles et
autres marbres gravé, AELIA LAELIA CRISPIS… Peut-être étais-je étrangement
passé au travers ; peut-être la pierre n’était-elle pas si remarquable que
cela. Mais une seconde visite au pas de charge ne leva pas le voile ! Renseignements
pris il s’avéra que la dalle n’était tout
simplement plus visible car, aussi incroyable que cela puisse paraître, on l’avait
recouverte d’une vitrine contenant une collection d’armures des plus
ordinaires… De quoi fulminer une bulle d’excommunication envers les coupables !
Exit donc l’énigme.
L’anecdote démontre d’ailleurs assez le caractère vain des fétichisations du
passé… De son caractère éminemment
déceptif.
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La fontaine de Neptune - Détail |
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Dans les rues de Bologne |
Mais rien n’interdit aux amateurs
des anciennes pierres une balade plus prosaïque, en dilettante dans les
venelles du vieux Bologne, de s’y perdre avec délice, si l’on y parvient - ce
n’est pas là chose si aisée à accomplir, le centre historique d’Emilie-Romagne n’étant
pas très étendu… Flâner ici ou là, sans véritable but ; ou encore se
laisser guider, ce que nous fîmes sans atermoyer, ayant pour nous montrer la
voie la meilleure nautonière qui puisse être en la personne de la fille de
votre serviteur…
C’est sur la piazza Maggiore que
commence le périple, au pied de la monumentale fontaine de Neptune, lieu de
retrouvailles par excellence. Incontournable objet de fascination à l’érotisme
à fleur de peau… De là, pour qui ne verse pas trop dans les bondieuseries, sans
trop se formaliser de la façade inachevée de la basilique San Petronio, autant
filer sous les arcades bordant la place pour admirer le palais de
l’Archiginnasio, édifice de style Renaissance, siège de l’université depuis leXVIe siècle. Il faut dire qu’à Bologne la tradition universitaire remonte en
l’an 1088, ce qui en fait la plus ancienne implantation d’Europe. Y étudièrent entre
autres Erasme, Copernic et Durër – aujourd’hui
l’université de Bologne n’a en rien perdu de sa vivacité, la cité fourmillant
d’étudiants. Et rien n’est plus délicieux, au détour d’une ruelle, que de pénétrer
dans la cour de l’un de ces lieux de savoir pour prendre la mesure du plaisir éprouvé
à résider en un lieu si chargé d’histoire ; y faire pourquoi non ses
gammes intellectuelles. Mais on peut aussi plus directement jouir du soleil
matinal pour déambuler dans les jardins du cloitre du sanctuaire de San
Domenico.
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Bologne - Cloitre de San Domenico |
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Mélanie, dans la cour de l'université |
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Tour Asenelli |
De là, pour peu que l’on soit en
bonne forme il ne restera qu’à fondre sur les tours penchés du cœur de la cité…
Car si Bologne compte un nombre considérables de tours médiévales (pas moins de
180, selon la légende), les plus célèbres sont sans conteste celles d’Asinelli
et de Garisenda. La première est la plus haute de la ville et culmine à 97m.
Garisenda est quant à elle la plus penchée et présente un déport par rapport à
son axe de 3,2m, ce qui confère à ce jumelage une fort étrange perspective, les
tours semblant prises d’ivresse. Asenelli fut érigée au XIIe siècle. De son
sommet on embrasse toute la cité, la vue se perdant sur les collines alentours.
Mais pour apprécier ce panorama à couper le souffle, il faudra à l’aventurier
des villes grimper les 498 marches de l’escalier en colimaçon, où se croiser
est toujours un exercice périlleux – plusieurs paliers permettent les
regroupements, tant que des petits repos mérités. Quoi qu’il en soit, c’est là
un exercice des plus salutaires, vivement conseillé.
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Vue de Bologne depuis le sommet de la tour |
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Sanctuaire de la madone de San Luca |
Au milieu de l’après-midi, à la
poursuite du soleil, il sera bon d’obliquer au sud en direction du sanctuaire
de la madone de San Luca, culminant sur le Colle
della guardia à 300 au-dessus de la cité, et chemin faisant passer au
travers une interminable allée d’arcades, longue de 3,5 km sans discontinuité
(Le Portico di San Luca). Car le périple se doit de se faire à pieds,
que l’on soit amateur de processions, ou plus prosaïquement un voyageur
impénitent. Pour les amateurs de précisions ou d’anecdotes, notons que le
nombre d’arches s’élève à 666 qui est, selon certains manuscrits de
l’apocalypse, le « nombre de la Bête ». En d’autres termes, le
pèlerin qui ne parviendrait pas à accomplir l’ascension à genoux se verrait métaphoriquement
condamné à rester dans les ténèbres infernales. Car le chemin de pénitence se
termine par un escalier assez raide, au bout duquel est planté une croix
monumentale qui, par effet de contraste, au coucher du soleil imprime une
sensation de lueur divine ; bref de quoi doper le croyant à bout de
souffle…
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Vue sur Bologne depuis le sanctuaire de la madone de San Luca |
Passé la dernière arche c’est un
paysage de quiétude qui s’offrira à la vue des plus pugnaces avec, en contrebas, la ville
lovée au creux de sa vallée, respirant paisiblement son âge dans le
clair-obscur du soir. Et si le monument en lui-même ne révèle pas pour le
profane d’intérêt particulier autre que son implantation, parmi les visiteurs
du lieu on pourra les jours de chance toujours s’égayer de la présence de
moines et de moniales en goguettes échoués là en nombre…. Et de les voir par quatre s’entasser d’excitation
dans de minuscules véhicules mixtes pour redescendre à leurs prières, après bien
sûr avoir contemplé l’image de la Vierge de San Luca, copatronne de
l’archidiocèse de Bologne.
Mais sonne l’heure des vêpres et
il est temps de se laisser dégringoler vers la ville pour se restaurer, après s’être
revigoré au passage comme il se doit avec une bonne glace italienne. Stratciatella, ou Fior di late en parfum….
Il y a tant encore à voir à
Bologne que de lourdes pages n’y suffiraient pas. Aussi contentons-nous de
souligner encore deux lieux incontournables.
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Fresque dans la pinacothèque |
Tout d’abord la pinacothèque et
ses salles emplies de fresques saisissantes arrachées à l'église de
Sant'Apollonia de Mezzaratta en 1949. Ainsi la Nativité, « fragment des fresques de Mezzaratta, vers
1345, Vitale da Bologna. Tout autour de la crèche, des animaux et de la Vierge,
les anges tournent dans une danse effrénée et joyeuse. Ils se situent dans
l’espace avec une liberté de composition dont le rythme mouvementé semble
trouver son apaisement dans la fraîcheur et la clarté des couleurs. »
Ensuite un détour par le musée archéologique,
situé dans le Palais Galvani (XVIe siècle), et rouvert au public le 16 octobre
dernier, vaut vraiment la peine. Les amateurs y découvriront de belles salles à
l’anciennes, patinées d’une ambiance « cabinet de curiosités »,
abritant les collections permanentes allant de la préhistoire à la Rome
antique, passant par l’Egypte, les étrusques, les grecs ou les gaulois. Mais
surtout il convient de ne pas rater l’exposition temporaire « Splendeur de
l’Egypte ancienne », « avec les
chefs-d’œuvre de la collection du Musée national des antiquités de Leiden, aux
Pays-Bas, (…) d’où proviennent 500
artefacts, de la période prédynastique à ‘époque romaine. ».
L’exposition dure jusqu’au 17 juillet 2016.
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Sur une place à Bologne, la nuit.... |
Et puisqu’il nous faut finir,
finissons dans les pas de Pétrarque, parti à Bologne pour apprendre le droit,
et en reviendra devenu poète. « Les
premiers vers que l'on vit éclore de sa verve à Bologne, ne sont pas parvenus
jusqu'à nous, sans doute n'étaient-ils pas bons; mais ses maîtres y trouvoient
du feu et du génie, ses camarades l'admiroient ; il n'en fallait pas davantage
pour l'encourager et l'engager à continuer. »
Voir ce bel article :
La peinture du Trecento à Rimini et Bologne.