Pierre HADOT
Qu'est-ce que la philosophie antique ?
Le discours philosophique prend
son origine dans un choix de vie et une option existentielle et non l’inverse.
(…) Il n’y a jamais ni philosophie ni philosophes en dehors d’un groupe, d’une
communauté, en un mot d’une ‘école’(…)
La philosophie n’est qu’exercice
préparatoire à la sagesse.
Il ne faudrait pas non plus
opposer mode de vie et discours, comme s’ils correspondaient respectivement à
la pratique et à la théorie. Le discours peut avoir un aspect pratique, dans la
mesure où il tend à produire un effet sur l’auditeur ou le lecteur. Quant au
mode de vie, il peut être pas théorique, évidemment, mai théorétique(1),
c’est-à-dire contemplatif.
Par ailleurs, je me refuse à
confondre langage et fonction cognitive (2).
Notion d’exercices
spirituels : des pratiques destinées à opérer une modification et une
transformation dans le sujet qui les pratiquait.
(…) Je crois mon article intitulé
« Exercices spirituels et philosophie antique », apru en 1977, a
exercé une influence sur l’idée que M. Foucault se faisait de la « culture
de soi ».
A Milet : Thalès, mathématicien et technicien, l’un des
7 sages, célèbre pour avoir prédit l’éclipse du soleil du 28 mai 585, puis
Anaximandre et Anaximène. (…)
Tous ces penseurs proposent une explication rationnelle du
monde (…) Ils proposent une théorie de l’origine du monde, de l’homme et de la
cité.
Platon propose dans le Timée, ce qu’il appelle une fable
vraisemblable.
Le désir de former, d’éduquer. (…)
La vie démocratique engendre des luttes pour le
pouvoir : il faut savoir persuader le peuple, lui faire prendre telle ou
telle décision dans l’assemblée.
Les fameux sophistes sont souvent
des étrangers (à Athènes). Protagoras et Prodicos viennent d’Ionie, Gorgias
d’Italie du Sud. (…)
Ils insistent chacun à leur
manière, sur le conflit qui oppose la nature (phusis) et les conventions humaines (nomoi) (…) Leur enseignement
répond à un besoin. (…) Les sophistes inventent l’éducation en milieu artificiel,
qui restera la caractéristique de notre civilisation. Ce sont des
professionnels de l’enseignement, avant tout des pédagogues (…) Moyennant un
salaire ils enseignent à leurs élèves les recettes qui leur permettront de
persuader les auditeurs, de défendre avec autant d’habileté le pour et le
contre (antilogie).
Il est a peu près certain que les
présocratiques du VIIe siècle av JC, Xénophane ou Parménide par exemple, et
même probablement, malgré certains témoignages antiques mais très discutables,
Pythagore et Héraclite, n’ont connus ni l’adjectif philosophos, ni le verbe philosophein,
à plus forte raison le mot philosophia.
(…)
D’une manière générale, depuis
Homère, les mots composés en philo seraient à désigner la disposition de
quelqu’un qui trouve son intérêt, son plaisir, sa raison de vivre, à se
consacrer à telle ou telle activité : philo-posia
(Philosophia, sera donc l’intérêt que
l’on prend à la sophia)
Cette activité englobe tout ce
qui se rapporte à la culture intellectuelle et générale : spéculations des
présocratiques, sciences naissantes, théorie du langage, technique rhétorique,
art de persuader.
On attribuait aux sept sages des maximes, « des mots brefs et
mémorables », dit Platon, prononcés par chacun d’eux, lorsque, s’étant
réunis à Delphes, ils voulurent offrir à Apollon, dans son temple, les prémices
de leur sagesse et qu’ils lui consacrèrent les inscriptions que tout le monde
répète : « connais-toi toi-même », « Rien de trop ».
(…)
« Mon métier, disait
l’épitaphe de Thrasymarque, c’est la sophia »
Socrate a inspiré à la fois
Antisthène, le fondateur de l’école cynique, (…) Aristippe, le fondateur de
l’école de Cyrène, pour qui l’art de vivre consistait à tirer le meilleur parti
possible de la situation qui se présentait concrètement, (…). Un seul de ses
disciples à triomphé pour l’histoire…
Le rôle de l’interrogateur, n’est
pas une invention de Platon, mais que ses fameux dialogues appartiennent à un
genre, le dialogue ‘socratique’, qui était le véritable mode chez les disciples
de Socrate.
Le philosophe ne sait rien, mais il est conscient de son non
savoir.
L’ironie socratique consiste à feindre de vouloir apprendre
quelque chose de son interlocuteur, pour amener celui-ci à découvrir qu’il ne
connait rien dans le domaine où il prétend être savant.
Pour Platon, toute connaissance est réminiscence. Chez
Socrate, au contraire, les questions ne conduisent pas son interlocuteur à
savoir quelque chose.(…) Le dialogue socratique aboutit au contraire à une
aporie.
Il semble que Socrate ait admis
implicitement qu’il existait chez tous les hommes un désir inné du bien – paradoxe
socratique : nul n’est méchant volontairement.
Le contenu du savoir socratique,
c’est donc, pour l’essentiel, « la valeur absolue de l’intention morale
(une valeur est absolue pour un homme lorsqu’il est prêt à mourir pour cette
valeur).
‘Une vie qui ne se met pas
elle-même à l’épreuve ne mérite pas d’être vécue’.
|
Platon |
La prêtresse Mantinée :
Pénia, c’est-à-dire la pauvreté, « Privation », s’approcha pour
mendier. Poros, c’est-à-dire « Moyen », « Richesse »,
« Expédient », était alors endormi, enivré de nectar, dans le jardin
de Zeus. Pénia s’étendit près de lui, afin de remédier à sa propre pauvreté en
ayant un enfant de lui. C’est ainsi qu’elle conçut l’Amour.
La description mythique de
Diotime, s’applique à la fois à Eros, à Socrate et au philosophe.
(…)
Pour Alcibiade, Socrate est un
véritable magicien, qui ensorcelle les âmes par ses paroles.
Pour Diotime, Eros est
philo-sophe parce qu’il est à mi-chemin de la sophia et de l’ignorance.(…) Dans
la tradition grecque, le savoir, ou sophia, est moins un savoir purement
théorique qu’un savoir-faire, un savoir-vivre. (…). Il y a, dit Diotime, deux
catégories d’êtres qui ne philosophent pas : les sages et les dieux, parce
que précisément ils sont sages, et les insensés parce qu’ils croient être sages :
« les ignorants ne philosophent pas
et ne désirent pas devenir sages : car c’est cela le malheur de
l’ignorance que de croire être beau, bon et sage, alors qu’on ne l’est pas ».
Le philosophe :
intermédiaire entre l’insensé et le sage.
Dans les non-sages, Diotime
introduit une division : il y a ceux inconscients de leur non-sagesse, les
insensés, et ceux qui sont conscients de leur non-sagesse, les philosophes.
La philosophie, selon le Banquet,
n’est pas la sagesse, mais un mode de vie et un discours déterminé par l’idée
de sagesse. (…) Platon instaure ainsi une distance insurmontable entre le
philosophe et la sagesse. (Pue importe, diront les stoïciens, que l’on se
trouve à une coudée où à cinq cent brasses sous l’eau, on n’en est pas moins
noyés)
Nietzche :
Sur le fondateur du
christianisme, l’avantage de Socrate est le sourire qui nuance sa gravité et
cette sagesse pleine d’espièglerie qui fait à l’homme le meilleur état d’âme.
La plus célèbre pratique est
l’exercice de la mort, auquel Platon fait allusion dans le Phédon (…) La philosophie n’est rien d’autre qu’un exercice de la
mort, puisque la mort est séparation de l’âme et du corps et que la philosophie
s’emploie à détacher son âme de son corps (…)
L’éthique du dialogue, est chez
Platon l’exercice spirituel par excellence (…) Les dialogues peuvent être
considérés comme des ouvrages de propagande, parés de tous les prestiges de
l’art littéraire, mais destinés à convertir à la philosophie. (…)
La philosophie de Platon ne
consiste pas à construire un système théorique de la réalité et en
« informer » ensuite ses lecteurs, mais elle consiste à
« former », c’est-à-dire à transformer les individus…
Dialogue parlé et vivant :
il porte sur l’existence d’objets immuables, c’est-à-dire des formes non
sensibles, garantes de la rectitude du discours et de l’action…
Comme dans l’Académie, il y a
deux sortes de membres, les anciens, qui participent à l’enseignement, et les
jeunes…
Platon considère qu’il suffit
d’être philosophe pour pouvoir diriger la cité ; au contraire, l’école
d’Aristote ne forme qu’à la vie philosophique. (…)
La vie selon l’esprit apporte
aussi l’absence de troubles. En pratiquant les vertus morales, on se trouve
impliqué dans la lutte contre les passions, mais aussi dans beaucoup de soucis
matériels : pour agir dans la cité, il faut se mêler aux luttes politiques ;
pour aider les autres, il faut avoir de l’argent, pour pratiquer le courage, il
faut aller à la guerre. Au contraire la vie philosophique ne peut se vivre que
dans le loisir, dans le détachement des soucis matériels. (…)
Pour Aristote, la philosophie
consiste dans un mode de vie « théorétique » (…) Théorétique ne
s’oppose pas à « pratique », autrement dit théorétique peut
s’appliquer à une philosophie pratiquée…
L’école d’Aristote se livre à une
immense chasse à l’information dans tous les domaines. (…)
Le chercheur aristotélicien n’est
pas un simple collectionneur de faits. Ceux-ci ne sont rassemblés que pour
permettre des comparaisons et des analogies, instaurer une classification des
phénomènes, en faire entrevoir les causes… Pour Aristote il faut se fier plus à
l’observation des faits qu’aux raisonnements et aux raisonnements seulement
dans la mesure où ils s’accordent avec les faits observés.(…)
Dans la perspective
aristotélicienne, ce désintéressement correspond au détachement de soi, par
lequel l’individu se hausse au niveau de l’esprit, de l’intellect…
Ce sont les
successeurs d’Aristote, et surtout ses commentateurs, qui ont opéré ces
regroupements (des œuvres d’Aristote)
Aristote attend de ses auditeurs
une discussion, une réaction, un jugement, une critique (…)Il faut d’abord,
pour comprendre le discours, que l’auditeur ait déjà une certaine expérience de
ce dont parle le discours, une certaine familiarité avec son objet… un habitus :
« Ceux qui ont commencé à apprendre enchainent les formules, mais n’en
savent pas encore le sens ; car il faut qu’elles soient parties
intégrantes de notre nature [mot à mot : qu’elles croissent avec
nous]. Or c’est là une chose qui demande
du temps ».
Il y a deux catégories
d’auditeurs. Les premiers ont déjà des prédispositions naturelles à la vertu ou
ont reçu une bonne éducation. A ceux-là, les discours moraux peuvent être
utiles : ils les aideront à transformer leurs vertus naturelles, ou
acquises par l’habitude, en vertus conscientes et accompagnées de prudence.
Dans ce cas, on peut dire, en un certain sens, que l’on ne prêche que des
convertis. Les seconds sont esclaves de leurs passions, et dans ce cas le
discours moral n’aura aucune influence sur eux (…) A ce genre d’auditeurs, il
faudra donc autre chose que des discours pour les former à la vertu (…) Ce
travail d’éducation, Aristote considère que c’est à la cité de l’effectuer par
la contrainte de ses lois et parla coercition…
Le mot « hellénistique » désigne
traditionnellement la période de l’histoire grecque qui s’étend d’Alexandre le
grand (356 – 323), jusque la domination romaine, à la fin du 1er
siècle av. J-C. (…) On s’accorde à considérer comme fin de la période
hellénistique le suicide de Cléopâtre, reine d’Egypte, en l’an 30 av. J-C.
Platon a en quelque sorte formulé
définitivement, pour tous les philosophes de l’Antiquité, l’attitude que doit
avoir le philosophe dans une cité corrompue :
« Il reste donc un bien petit nombre de gens qui sont dignes d'épouser la
philosophie (…) Or celui qui fait partie de ce petit nombre et qui a goûté la
douceur et la félicité d’un tel bien, quand il s’est rendu compte que la
multitude est folle, qu’il n’y a pour ainsi dire rien de sensé dans la conduite
d’aucun homme politique (…) quand il a fait réflexion sur tout cela, il se
tient au repos et ne s’occupe que de ses propres affaires ».
Notre vision de l’histoire de la
philosophie est irrémédiablement faussée par les contingences historiques. Nous
en aurions peut-être une représentation toute différente, si les œuvres de
Platon et d’Aristote étaient disparues, et si celles des stoïciens Zénon et
Chrysippe avaient été conservées.
On sait que l’expédition
d’Alexandre a rendu possibles des rencontres entre sages grecs et sages
hindous. Notamment un philosophe de l’école d’Abdère, Anaxarque, et l’élève de
celui-ci, Pyrrhon d’Elis, avaient accompagné le conquérant jusqu’en Inde. (…)
Dans ces contacts, il ne semble pas y avoir eu véritablement des échanges
d’idées (…) Mais les grecs furent impressionnés par le mode de vie de ceux
qu’ils appelèrent « gymnosophistes », les « sages nus ».
(…)
Démocrite (le fondateur de l’école
d’Abdère), le maître d’Anaxarque avait lui-même prôné cette tranquillité de
l’âme. (…)
L’expédition d’Alexandre (…) a pu
jouer un certain rôle dans le développement de la notion de cosmopolitisme,
c’est-à-dire de l’idée de l’homme comme citoyen du monde.
L’étudiant moderne ne fait de la
philosophie que parce qu’elle est au programme de terminale. Il peut arriver
tout au plus qu’étant intéressé par un premier contact avec cette discipline,
il désire passer des examens dans cette matière. En tout cas, c’est le hasard
qui décidera s’il rencontre un professeur appartenant à « l’école »
phénoménologique ou existentialiste ou déconstructionniste ou structuraliste ou
marxiste. Peut-être un jour adhéra-t-il intellectuellement à l’un de ces imses.
Quoi qu’il en soit, il s’agira d’une adhésion intellectuelle, qui n’engagera
pas sa manière de vivre, sauf peut-être dans le cas du marxisme. Pour nous
autres modernes, la notion d’école philosophique évoque uniquement l’idée d’une
tendance doctrinale, d’une position théorique. Il en va tout autrement dans
l’Antiquité.
Vers la fin du IVe siècle,
presque toute l’activité philosophique se concentre à Athènes, dans les quatre
écoles fondées respectivement par Platon (l’Académie, par Aristote (le Lycée),
par Epicure (le Jardin) et par Zénon (la Stoa). Pendant près de trois siècles,
ces institutions resteront vivantes. (…) Il faut y ajouter deux autres
courants, le scepticisme, ou plutôt le pyrrhonisme et le cynisme. Ce sont deux
modes de vie, le premier proposé par Pyrrhon, le second par Diogène le Cynique.
Comme l’écrira un « sceptique » d’époque tardive, Sextus
Emipiricus :
« On dit qu’une école (hairesis) est une adhésion à des dogmes nombreux
ayant une cohérence les uns par rapport aux autres (…) nous dirons que le
sceptique n’a pas d’école. En revanche si on dit qu’est une école (hairesis) un
mode de vie qui suit un certain principe rationnel (…) nous disons qu’il a une
école ». (…)
Les ressources pécuniaires sont
personnelles ou proviennent de bienfaiteurs.
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Athènes - Photo par Mélanie
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Chaque école se définit et se
caractérise par un choix de vie, par une certaine option existentielle. (…)
Sagesse : toutes les écoles
hellénistiques paraissent la définir comme un état de parfaite tranquillité de
l’âme. Dans cette perspective, la philosophie apparait comme une thérapeutique
des soucis, des angoisses et de la misère humaine, misère provoquée par les
conventions et les contraintes sociales pour les cyniques, par la recherche des
faux plaisirs, pour les épicuriens, par la recherche de l’intérêt égoïste,
selon les stoïciens, et par les fausses opinions, selon les sceptiques.
Qu’elles revendiquent ou non l’héritage socratique, toutes les philosophies
hellénistiques admettent avec Socrate que les hommes sont plongés dans la
misère, l’angoisse et le mal, parce qu’ils sont dans l’ignorance : le mal
n’est pas dans les choses, mais dans les jugements de valeur que les hommes
portent sur les choses. (…)
Il faut distinguer entre les
écoles dogmatiques, pour qui la thérapeutique consiste à transformer les
jugements de valeur, et les sceptiques, pour qui il s’agit seulement de les
suspendre (…)
Parmi les écoles
dogmatiques : Epicurisme : recherche du plaisir / Le platonisme,
l’aristotélisme, le stoïcisme, pour qui, selon la tradition socratique, l’amour
du bien.
L’épicurisme et le stoïcisme
s’adressent à tous les hommes, riches ou pauvres, hommes ou femmes, libres ou
esclaves. Quiconque adopte le mode de vie épicurien ou stoïcien, quiconque le
met en pratique, sera considéré comme un philosophe, même s’il ne développe
pas, par écrit ou par oral, un discours philosophique.
On discute pour savoir si
Antisthène, disciple de Socrate, a été le fondateur du mouvement cynique. (…)
Le mode de vie cynique s’oppose
d’une manière spectaculaire non seulement à celui des non-philosophes, mais
même à celui des autres philosophes (…) Ils forment néanmoins une école, dans
la mesure où l’on peut reconnaitre entre les différents cyniques un rapport de
maître à disciple. (…) Le cynique considère que l’état de nature (phusis), tel qu’on peut le reconnaitre
dans le comportement de l’animal ou de l’enfant, est supérieur aux conventions
de la civilisation (nomos) (…)
Leur philosophie est totalement
exercice (askesis) et effort.
Son comportement est totalement
imprévisible. Parfois il se retire dans la complète solitude, ou encore il part
en voyage sans prévenir personne, prenant alors comme compagnons de route et de
conversation, les gens qu’il rencontre par hasard. ( …) Pyrrhon vit dans une
parfaite indifférence à l’égard de toutes choses.
Pour Epicure, le choix socratique
et platonicien en faveur de l’amour du bien est une illusion : en réalité
l’individu n’est mû que par la recherche de son plaisir et de son interêt (…)
Plaisir : recherche du seul plaisir véritable, le pur plaisir d’exister.
Il faut distinguer des plaisirs mobiles le plaisir stable
(…) Le plaisir, comme suppression de la souffrance, est un bien absolu. (…)
L’ascèse des désirs se fondera sur la distinction entre les désirs naturels et
nécessaires, les désirs naturels et non nécessaires.
Il s’agit de supprimer la crainte
des dieux et de la mort ; « la mort n’est rien pour nous ». (…)
Tant que nous sommes là nous-mêmes, la mort n’y est pas et, quand la mort est
là, nous n’y sommes plus.
La notion de déviation des atomes
a une double finalité : expliquer la formation des corps, qui ne
pourraient pas se constituer si les atomes se contentaient de tomber en ligne
droite à une vitesse égale. D’autre part, en introduisant le ’hasard’ dans la
‘nécessité’, donner un fondement à la liberté humaine. (…) Inutile d’ajouter
que, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, cette déviation sans cause, cet
abandon du déterminisme, a toujours fait scandale chez les historiens de la
philosophie.
Tetrapharmakos :
Les
dieux ne sont pas à craindre
La
mort n’est pas à redouter
Le
bien facile à acquérir
Le mal facile
à supporter
L’amitié est, dans l’école
épicurienne, le moyen, le chemin privilégié, pour parvenir à la transformation
de soi-même. (…)
Plaisir d’une vie en commun qui
ne dédaigne pas d’ailleurs d’y faire participer les esclaves et les femmes.
Véritable révolution, qui dénote un changement complet d’atmosphère, par
rapport à l’homosexualité sublimée de l’école de Platon.
Il n’y a de mal que le mal moral
et qu’il n’y de bien que le bien moral (…) Le choix stoïcien est diamétralement
opposé au choix épicurien : le bonheur ne consiste pas dans le plaisir ou
l’intérêt individuel, mais dans l’exigence du bien, dictée par la raison et
transcendant l’individu. Le choix stoïcien s’oppose également au choix platonicien,
dans la mesure où il veut que le bonheur, c’est-à-dire le bien moral, soit
accessible à tous ici-bas.
L’expérience stoïcienne consiste
dans une prise de conscience aigüe de la situation tragique de l’homme
conditionné par le destin (…)
Une seule chose dépend de nous,
c’est la volonté de faire le bien, la volonté d’agir conformément à la raison.
Il y aura donc une opposition radicale entre ce qui dépend de nous, ce qui peut
être bon ou mauvais, parce qu’il est l’objet de notre décision, et ce qui ne dépend
pas de nous. (…)
Zénon définissait ainsi le choix
de vie stoïcien : « vivre de
manière cohérente, c’est-à-dire selon une règle de vie une et harmonieuse, car
ceux qui vivent dans l’incohérence sont malheureux ». (…)
Pour les stoïciens, le monde est
un tout organique, et tout arrive par nécessité rationnelle. (…) La raison
cosmique correspond à une nécessité rigoureuse, d’autant plus que les stoïciens
se la représentent sur le modèle héraclitéen d’une force, le Feu, souffle et
chaleur vitale qui, (…) engendre tous les êtres, comme une semence…
Les choses arrivent donc
nécessairement comme elles arrivent (…)
Comment la liberté de choix
est-elle possible ? La raison propre à l’homme est une raison discursive
qui, dans les jugements, dans les discours qu’elle énonce sur la réalité, a le
pouvoir de donner un sens aux événements que le destin lui impose et aux
actions qu’elle produit.
Il n’y a pas d’autre mal que le
mal moral. L’erreur, mais aussi la liberté, se situent dans les jugements de
valeur que je porte sur les événements.
Sera moral, c’est-à-dire bon ou
mauvais, ce qui dépend de nous, sera indifférent ce qui ne dépend pas de nous.
(…)
Ce qui compte n’est pas le
résultat, toujours incertain, ce n’est pas l’efficacité, mais c’est l’intention
de bien faire. Le stoïcien agit toujours ‘sous réserve’, en se disant : Je
vais faire ceci, si le destin permet…
« Cette pourpre (impériale), c’est du poil de brebis mouillé du sang d’un
coquillage. L’union des sexes, c’est le frottement de ventre avec éjaculation
dans un spasme d’un liquide gluant » (Marc Aurèle)
Les aristotéliciens de l’époque
hellénistique sont surtout des savants (…)
Aristarque de Samos (IIIe siècle
av. J-C) émit l’hypothèse que le soleil et les étoiles étaient immobiles et que
les planètes et la terre tournaient autour du soleil, tout en tournant chacune
sur leur axe.
La philosophie sceptique,
c’est-à-dire le mode de vie, le choix de vie des sceptiques, est celui de la
paix, de la tranquillité de l’âme.
L’epokhé, c’est-à-dire la
suspension de l’adhésion aux discours philosophiques dogmatiques…
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Marc Aurèle |
Le néoplatonisme est, en un
certain sens, une fusion de l’aristotélisme et du platonisme (…)
On assiste à la
fonctionnarisation de l’enseignement de la philosophie. (…) La cité donnait
vraisemblablement une rétribution à ses philosophes (…)
Mar Aurèle fonde en 176 ap. J-C quatre
chaires impériales, rétribuées par le Trésor Impérial, où seront enseignées les
quatre doctrines traditionnelles : platonisme, aristotélisme, épicurisme,
stoïcisme (…)
A côté de ces fonctionnaires il y
aura toujours des professeurs de philosophie privés, qui ouvriront une école,
parfois sans successeur (…) Il faut bien se représenter que l’école
platonicienne d’Athènes, celle de Plutarque d’Athènes, de Syrianus et de
Proclus, du Ive au Vie siècle, est une institution privée, soutenue par les
subsides de riches païens et qui n’a rien à voir avec la chaire impériale de
platonisme fondée par Marc Aurèle.
Le changement radical qui s’opère
aux environs du 1er siècle av. J-C consiste dans le fait que,
désormais, c’est l’enseignement même de la philosophie qui, pour l’essentiel,
prend la forme d’un commentaire de texte. (…)
A la question : ‘le monde
est-il éternel ?’ se substitue la question exégétique ‘Peut-on admettre
que Platon considère le monde comme éternel. (…) Le discours philosophique, à
partir du premier siècle av. J-C, commence à devenir une scolastique et que la
scolastique du Moyen Age en sera l’héritière. (…)
On essaie toujours de remonter
aux origines de la tradition, de Platon à Pythagore, de Pythagore à Orphée (…)
Les oracles Chaldaïques (semblent avoir été écrits comme une révélation au IIe
siècle ap. J-C) : les néoplatoniciens les considéreront comme une écriture
sacrée. Plus une doctrine philosophique ou religieuse est ancienne et plus elle
est proche de l’état primitif de l’humanité, dans lequel la Raison était encore
présente en sa pureté, plus elle est vraie et vénérable.
Chaque commentaire est considéré
comme un exercice spirituel, non seulement parce que la recherche du sens d’un
texte exige en fait des qualités morales de modestie et d’amour de la vérité,
mais aussi parce que la lecture de chaque ouvrage philosophique doit produire
une transformation dans l’auditeur ou le lecteur du commentaire. (…)
La communauté de vie est un
élément les plus importants de la formation. Le professeur ne se contente pas
d’enseigner, il joue le rôle d’un véritable directeur de conscience, qui prend
souci des problèmes spirituels de ses élèves. Dans ce contexte, il faut
signaler la renaissance à cette époque de la tradition pythagoricienne. (…) Le
genre de vie de ces pythagoriciens semble bien avoir consisté à pratiquer les akusmata, c’est-à-dire, un ensemble de
maximes qui mélangeaient interdits alimentaires, tabous, conseils moraux,
définitions théoriques et prescriptions rituelles. (…)
A partir des environs de l’ère
chrétienne, sont composés les fameux Vers
d’or.
La philosophie de Plotin révèle l’esprit du platonisme,
c’est-à-dire l’indissoluble unité du savoir et de la vertu : il n’y a de
savoir que dans et par la progression existentielle dans la direction du bien.
L’âme raisonnable ne se confond pas avec l’âme
irrationnelle, chargée d’animer le corps. (…)
« Retranche e examine-toi, enlève ce qui est superflu […] ne cesse pas de
sculpter ta propre statue » (Plotin, Ennéades)
Comme l’avait dit Aristote, et
comme le redisait Porphyre, le but de la vie, c’est cette ‘vie selon l’esprit’,
cette ‘vie selon l’Intellect’.
Le néoplatonisme postérieur à
Plotin : le platonisme s’y identifie au pythagorisme ; par ailleurs
l’aristotélisme s’y trouve réconcilié avec le platonisme (…) On cherche
également à accorder entre elles la tradition philosophique et ces traditions
révélées par les dieux qui sont les écrits orphiques et les oracles chaldaïques.
Jamblique et la pratique
‘théurgique’ : désigne des rites capables de purifier l’âme et son
‘véhicule immédiat’, le corps astral…
Les stoïciens distinguaient la
philosophie, c’est-à-dire la pratique vécue des vertus qu’étaient pour eux la
logique, la physique et l’éthique, et le ‘discours selon la philosophie’,
c’est-à-dire l’enseignement théorique de la philosophie (…)
Toutes les écoles ont dénoncé le
danger que court le philosophe, s’il s’imagine que son discours philosophique
peut se suffire à lui-même sans être en accord avec la vie philosophique.
1)
Le discours justifie le choix de vie et en développe
toutes les implications…
2)
Pour pouvoir vivre philosophiquement, il faut exercer
une action sur soi-même et sur les autres, et le discours philosophique est,
dans cette perspective, un moyen indispensable. (…) S’il est l’expression d’une
option existentielle de celui qui le tient (le discours), il a toujours, une
fonction formatrice, éducatrice, thérapeutique…
3)
Le discours philosophique est une des formes mêmes de
l’exercice du mode de vie philosophique…
Tout d’abord, les pythagoriciens,
du temps de Pythagore et après lui, ont exercés une influence politique sur
plusieurs cités du sud de l’Italie, fournissant ainsi un modèle à l’idée
platonicienne d’une cité organisée par des philosophes. (…)
Parmi les sophistes, Antiphon
présente l’intérêt tout particulier d’avoir proposé une thérapeutique qui
consistait à soigner les chagrins et les peines par la parole.
Ascèse (le mot grec askesis signifie précisément exercice).
Il y a l’ascèse platonicienne (renoncer aux plaisir des sens) ; il y a
l’ascèse cynique (fait supporter la faim, le froid, les injures, supprimer tout
luxe, tout confort) ; il y a l’ascèse pyrrhonienne (considérer toute chose
comme indifférente) ; il y a l’ascèse épicurienne (limiter les désirs,
pour accéder au plaisir pur ; il y a celle des stoïciens (redressent leurs
jugements sur les objets, en reconnaissant qu’il ne faut pas s’attacher aux
choses indifférentes).
Les exercices spirituels
correspondent presque toujours à ce mouvement par lequel le moi se concentre en
lui-même. (…)
Le passé ne me concerne plus, le
futur ne me concerne pas encore (Marc Aurèle) (…) Les stoïciens distinguaient
deux manières de définir le présent : 1) le présent se réduit à un instant
infinitésimal. 2) défini par rapport à la conscience humaine : il
représentait alors une certaine épaisseur, une certaine durée, correspondant à
l’attention de la conscience vécue. (…)
Dans l’épicurisme, il y a aussi
une concentration sur soi ; cette ascèse consiste à limiter ses désirs aux
désirs naturels et nécessaires.
Wittgenstein : « La mort n’est pas un événement de la vie. On
n’éprouve pas la mort. Si l’on entend par éternité non pas une durée temporelle
indéfinie, mais l’intemporalité, alors celui-là vit éternellement qui vit dans
le présent ».
Sénèque : « Il jouit du présent sans dépendre de ce qui
n’est pas encore (…) Il est sans espérance et sans désir, il ne s’élance pas
vers un but incertain, car il est satisfait de ce qu’il possède. Et il n’est
pas satisfait de peu de choses, car ce qu’il possède c’est l’univers… »
La cité grecque se préoccupait
tout spécialement de la formation éthique des citoyens. Chaque école
philosophique a voulu représenter à sa manière cette mission éducatrice, soit,
comme chez les platoniciens et les aristotéliciens, en agissant sur les
législateurs et les gouvernés, soit, comme chez les épicuriens, les stoïciens
où les cyniques, en essayant de convertir les individus (…)
La direction spirituelle se
présente donc comme une méthode d’éducation individuelle. Il s’agit tout
d’abord de permettre au disciple de prendre conscience de lui-même, ses
défauts, ses progrès… Il s’agit ensuite d’aider le disciple à faire les choix
particuliers raisonnables, dans la vie de tous les jours. (…)
On n’agit efficacement sur les
autres que lorsqu’on ne cherche pas à agir sur eux.
Xénocrate avait une fois fait
cours sur la thèse : « Seul le sage est bon général ».
Eudaminas, un roi de Sparte, était venu ce jour-là à l’Académie écouter
Xénocrate. Le spartiate, avec beaucoup de bon sens, dit après la leçon :
« Le discours est admirable, mais le discoureur peu crédible, car il n’a
jamais entendu le son des trompettes », mettant ainsi le doigt sur le
danger de ces exercices dans lesquels on discute abstraitement de théories sur
la sagesse sans la pratiquer effectivement.
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Scolastique |
Si la spiritualité chrétienne a
emprunté à la philosophie antique certains exercices spirituels, (…) toute la
vie monastique suppose toujours le secours de la grâce de Dieu (et se)
manifeste souvent dans les attitudes corporelles qui marquent la soumission et
la culpabilité, comme la prostration (…) l’obéissance absolue aux ordres du
supérieur (…)
Par ailleurs, les ‘philosophes
chrétiens’ ont cherchés à christianiser l’emploi qu’ils faisaient de thèmes
philosophiques profanes (…)Les allusions à des textes bibliques ne se fondent
souvent que sur une interprétation allégorique, qui consiste finalement à
donner aux textes le sens que l’on désire leur donner, sans tenir compte de
l’intention de l’auteur…
Différence entre le christianisme
et la philosophie platonicienne ? Pour Augustin, elle consiste dans le
fait que le platonisme n’a pu convertir les masses et les détourner des choses
terrestres pour les orienter vers les choses spirituelles. (…) Nietzsche aurait
pu s’appuyer sur Augustin pour justifier sa formule : « Le christianisme est un platonisme pour le
peuple ».
Comment se fait-il
qu’aujourd’hui, dans l’enseignement habituel de l’histoire de la philosophie,
la philosophie soit présentée avant tout comme un discours ?
La raison de cette transformation
est avant tout d’ordre historique. Elle est due à l’essor du
christianisme. Au Moyen Age il y eut un
divorce entre le mode de vie et le discours philosophique(…) S’il est vrai que,
jusqu’à un certain point, le mode de vie monastique s’est appelé ‘philosophie’
au Moyen Age, il n’en reste pas moins que ce mode de vie, bien qu’intégrant des
exercices spirituels propres aux philosophies antiques, s’est trouvé séparé du
discours philosophique (…) La ‘philosophie’ mise au service de la théologie, n’était
plus désormais qu’un discours théorique. (…)
Pour Suarez, une philosophie
‘chrétienne’ est celle qui ne contredit pas les dogmes du christianisme et qui
est chrétienne dans la mesure où elle peut être utilisée dans les élucidations
des problèmes théologiques. (…)
Le néoplatonisme, en tant que
synthèse philosophique de l’aristotélisme et du platonisme, va être utilisé par
les pères de l’église pour développer leur théologie. De ce point de vue, la
philosophie sera donc, dès l’antiquité chrétienne, la servante de la théologie
(…) Dans la trinité, le père revêtira bien des traits du premier Dieu
néoplatonicien, le Fils sera conçu sur le modèle du second dieu de Numénius ou
de l’Intellect plotinien. (…)
On appelle cette philosophie (et
aussi cette théologie) de professeur et de commentateur la
« scolastique ».
La domination de l’idéalisme sur
toute la philosophie universitaire, depuis Hegel jusqu’à l’avènement de
l’existentialisme, ensuite la vogue du structuralisme, ont contribué largement
à répandre l’idée selon laquelle il n’a de vraie philosophie que théorique et
systématique…