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Vue du Gris-nez (photo par Axel) |
Il est singulier, pour qui habité dans les
Hauts-de-France, et qui éprouve une affection particulière pour les oiseaux, d’être
habité du sentiment tenace de n’avoir jamais posé ses semelles au cap Gris-Nez.
Ce qui est objectivement faux, et sans doute m’y suis-je déjà rendu
lorsqu’enfant j’accompagnais mes parents dans les périples les plus lointains
que leurs moyens d’alors leur permettaient. Du côté de Wissant en particulier. Mais
ces souvenirs sont si loin, si parcellaires qu’il ne me restait rien des paysages
tout en ondulation du bord de mer, dans le boulonnais, là où la terre s’en va
saluer les falaises anglaises, dressées en face, presque à portée de bras.
Ce qui frappe lorsqu’on se rapproche du Gris-nez c’est
l’absence d’arbres, de bosquets. Mais l’absence n’est pas un manque, tout au
contraire. Et avec un beau soleil de novembre, tôt le matin, la lumière y est
sublime, les prairies d’un vert intense dégoulinant jusqu’à la ligne d’horizon,
avant de s’écrouler dans la mer. Le nom de Gris-nez provient du vieux flamand, Grisenesse, qui signifie « cap
gris », le suffixe nesse, étant
lui-même issu du saxon naes, voulant
dire promontoire. Gris, cette avancée plantée en surplomb du
« channel » ne l’est pas véritablement, sauf peut-être par gros temps.
Aussi, soit-il permis de préférer une autre étymologie, avec Swartenesse, le « cap noir ».
Non pas ce noir du désespoir, du deuil ou de la désolation, mais le fuligineux des
songes mystérieux, filant à tire d’aile au ras des vagues. Car le Gris-nez est un
paysage épique à sa manière, une lande côtière habité de ses mystères… C’est également un haut lieu d'observation des
oiseaux migrateurs.
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En surplomb de la falaise (photo par Axel) |
Il est bon de s’y poster sur les hauteurs, accroché
au bord du vide cinglé par le vent, et se délecter du spectacle des magnifiques
voiliers du ciel que sont les goélands. Un défilé permanent à portée de main,
ou presque… Pareils à ces « Indolents
compagnons de voyages » de Baudelaire, ils observent curieusement
ces bipèdes accroupis dans l’herbe et qui les fixent de leurs binoculaires. Mais
le parallèle s’arrête là. Nonchalants les goélands, avec les labbes beaucoup
plus rares, incarnent à leur façon la noblesse des nues en ces latitudes
tempérées du bord de mer. D’une envergure certes plus modeste que l’Albatros
ils se laissent porter par le vent et tissent leur route au gré des
opportunités…
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Goéland argenté (plumage adulte hivernal (photo par Axel) |
Ces oiseaux appartiennent à la grande famille des
laridés. Ils sont d’ailleurs souvent les oubliés des observateurs. Cela tient
sans doute à diverses raisons. Parmi celles-ci, le sentiment pour le commun
qu’il s’agit là d’oiseaux banals, ordinairement rangés en deux
catégories fourre-tout : les mouettes et les goélands, sans prendre
conscience de la diversité des espèces observables. Or, ce n’est pas moins de 6
variétés de goélands et 5 de mouettes, que l’on peut voir plus ou moins
aisément dans les hauts-de-France. Ceci sans tenir compte des raretés ou des
sternes et autres guifettes. Pour la passionnés d’oiseaux se greffe une autre
difficulté : celle de pouvoir à coup sûr identifier l’espèce observée. Car
si, d’une part, certaines variations peuvent être ténues en membres de deux
espèces en plumage d’adulte nuptial (par exemple entre un goéland argenté et
Leucophée), d’autre part ces oiseaux changent de plumage en hiver, écueil auquel
s’ajoute celui de leur croissance, sachant qu'ils mettent de 2 à 4 ans
(selon l’espèce) avant d’atteindre l’âge adulte. Ainsi parlera-t-on par exemple
d’un goéland marin immature, en plumage de premier hiver, de premier été, de
second hiver, etc. Les nuances sont très subtiles et il faut imaginer que
certains critères ne tiennent qu’à différence de coloration de certaines
parties de rémiges.
Mais rien n’interdit de les photographier à loisir,
de se délecter de cette diversité extrême ; de cette mise à l’épreuve de
l’acuité de nos sens.
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Goéland Marin (second ou troisième hiver) (photo par Axel) |
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Deux goélands immatures (photo par Axel) |
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Goéland argenté (adulte hivernal) (photo par Axel) |
Mais au Gris-nez, nombre d’ornithologues plus ou
moins aguerris, ainsi que les miroiseurs
de toutes plumes, viennent la plupart du temps équipés de leurs longues-vues
pour s’adonner à ce qu’on appelle, faute de mieux, « sea watching » -
le terme français reste à inventer ! Les meilleures conditions
météorologiques pour ce genre de pratique sont réunies lorsque soufflent des
vents de nord-ouest assez forts pour pousser les oiseaux de passage au plus
près des côtes (de la jolie brise au grand frais – degré Beaufort 4 à7).
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Fou de Bassan à la pêche (photo par Axel) |
Dans ce couloir migratoire, faisant goulot
d’étranglement (l’impression est très relative lorsqu’on se trouve face à
l’immensité des flots), on vient pour l’essentiel observer les espèces dites pélagiques ;
c’est-à-dire passant l’essentiel de leur vie en mer, n’y faisant exception
qu’en période de reproduction ; soit les océanites et les puffins, les
labbes, les alcidés (pingouins et assimilés), le fulmar boréal et le fou de
Bassan. Mais il n’est pas rare d’y voir passer ou s’arrêter d’autres familles
oiseaux : des grèbes huppés venus batifoler dans les vagues, des grappes de
macreuses, de tadornes, de cormorans ou de bernaches, cravachant droit juste au-dessus de
l’eau. Parfois, plus singulièrement on découvrira assez haut dans le ciel le
flip-flop tranquille d’un groupe de vanneaux huppés, surgis sur la ligne
d’horizon l’air de rien.
Parmi les individus des espèces pélagiques, certains
ne font que filer, solitaires ou le plus souvent en groupe, tandis que d’autres
s’ébattent dans les flots pour le plus grand plaisir des observateurs. Parmi
ces derniers une place particulière doit être faite ici au fou de Bassan, assez
nombreux au Gris-Nez, et dont on peut à loisir admirer l’impressionnante
technique de pêche !
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Fou de bassan (photo par Axel) |
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Vol de pingouins Torda & posé un fou de Bassan (Photo par Axel) |
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Bécasseaux variables (photo par Axel) |
Mais le Gris-Nez ne se limite pas au cap proprement
dit et sa falaise. Et à marée presque haute, un tour le long de la plage se
révèlera être le complément ornithologique indispensable de qui souhaite
observer les limicoles, littéralement les oiseaux du limon.
Sans entrer ici dans le détail il faut savoir que
ces familles oiseaux se caractérisent aussi par des plumages distincts selon
les saisons et les âges. D’où parfois certaines difficultés à l’identification.
Au nourrissage les limicoles ne sont en général pas
farouches et, pour peu que l’on soit assez discret, il n’est pas rare de
pouvoir les approcher à quelques mètres. C’est là un enchantement toujours
renouvelé. Ainsi voir filer à vos pieds en tous sens, le long de la ligne des
vagues, des bécasseaux sanderling dans leur livrée blanche est un régal.
Souvent ils sont accompagnés de bécasseaux variables. Mais en observant mieux
les alentours, on découvrira avec eux souvent d’autres espèces, dont le Tournepierre
à collier, le chevalier gambette, le grand Gravelot et parfois le Pluvier argenté.
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Grand Gravelot (photo par Axel) |
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Bécasseaux sanderling au nourrissage (photo par Axel) |
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Vol de limicoles : bécasseaux variables & Sanderling et 1 Tournepierre prêt à décoller (Photo par Axel) |
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Bécasseau Sanderling (au premier plan) & 2 variables (photo par Axel) |
Enfin, si le cœur vous en dit et que le soleil
n’est pas encore trop bas sur l’horizon, pas très loin du cap, en direction de
Wissant, il sera possible, pour finir la journée en beauté, de faire halte aux
observatoires de Tardinghem à la rencontre du martin-pêcheur, de la
bécassine des marais, du râle d’eau et bien d’autres espèces encore : la
buse variable et le faucon crécerelle, des canards (sarcelles d’hiver, canards
souchets, chipeau ou siffleurs), des échassiers (grand aigrette, héron cendré)
et moult sortes de passereaux.
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Bécassine des marais (photo par Axel) |