Cité de Carcassonne (photo par Axel) |
Si la nostalgie jette le plus souvent son ombre sur
les paysages de nos jours d’avant, il arrive parfois qu’elle s’en vienne hanter
aussi les vieilles pierres, ravivant les souvenirs enfouis sous les décombres
des années… Là où l’histoire s’incarne…
Château comtal (Photo par Axel) |
Et de filer sur les chemins de rondes de la cité de
Carcassonne. Ombre immense posée au détour d’une colline en surplomb de la
ville nouvelle. Et saisir parfois l’étrangeté qu’il y a à revisiter les
quelques venelles criblées d’échoppes, ravivant les braises des ans révolus ;
non pas le déroulé continu des événements, mais des instantanés pris ici ou là.
Ces miettes d’une mémoire fragmentée ; en parties reconstruites ou
fantasmées … Adossées aux photographies d’alors.
Dix années ce n’est presque rien et beaucoup à tout
à la fois – question d’échelle. Ce n’est pas assez à l’aune d’une vie humaine
pour avoir oublié une cité, un château, telle place ou tel enchevêtrement de
péripéties, l’architecture ou la configuration d’un lieu hanté de spectres
médiévaux, et dont le chant lancinant abreuve les livres que l’on aime avoir à
portée de main. Mais c’est plus qu’assez pour mesurer le gouffre considérable,
planté dans sa propre existence ; hier accompagné d’à peine deux
adolescents, aujourd’hui à côtoyer deux adultes lancés sur le chaos de tous les
possibles de leur propre chemin. Hier encore maritalement installé, inconscient
de la tornade à venir et désormais pris en d’autres scénarios – quelques rides
aussi au coin des yeux qu’on n’a pas vues venir ; un peu à la manière de ces
épaisses couches de neige fondant goutte à goutte en fin de saison, sans que
l’on s’en aperçoive véritablement. Avec la blancheur virginale du manteau blanc,
usé jusqu’à l’épuisement et la dissolution finale…
Une source anonyme, « Histoire de la guerre des Cathares », relate la chronique d’une
horreur allant de 1202 à 1219. Ecrite en langue romane par un auteur possiblement
contemporain des événements qu’il rapporte.
Dès le 28 juillet 1209 les croisés assiègent
Carcassonne. Leur armée a déjà perpétré le massacre de Béziers… Que dire de
plus, sauf à citer de menus extraits du texte, espérant susciter l’envie de s’y
perdre tout à fait ?
Et sur les éléments déclencheurs :
« Le
Saint-Père lui donna pour le servir (au légat), tant de gentilshommes, parmi
lesquels était un grand et noble homme appelé Pierre de Castelnau, son maître
d’hôtel… Il arriva que Pierre de Castelnau eût, sur le sujet de cette hérésie,
quelques paroles et disputes avec un serviteur et gentilhomme du comte
Raimond ; et leur dispute alla si loin qu’à la fin le gentilhomme du comte
Raimond, donna un coup épée à Pierre de Castelnau et le tua… Quand le légat vit
qu’on avait ainsi tué l’un de ses hommes, il manda aussitôt le Saint-Père (qui)
en fut si courroucé et mécontent qu’il fit partir des lettres pour ordonner la
croisade… »
Sur le massacre de Bézier :
« Voyant
que force leur était de se défendre ou de mourir, ils prirent courage entre
eux, et allèrent chacun s’armer du mieux qu’il pût ; quand ils furent
armés, ils sortirent pour attaquer les assiégeants, et en sortant rencontrèrent
un des croisés qui était venir courir jusque sur le pont de Béziers. Ils se
jetèrent sur lui et le précipitèrent du pont dans la rivière. Quand l’armée des
assiégeants le virent ainsi mort et jeté du pont, elle commença à se mettre en
mouvement, tellement qu’elle faisait trembler la terre, et marcha droit à
Béziers pour attaquer les ennemis qui venaient d’en sortir. Quand ceux de
Béziers virent tout ce grand monde qui venait contre eux, ils se retirèrent
dans leur ville, fermèrent et barricadèrent leurs portes… malgré tous les
efforts de ceux de la ville … Ils entrèrent dans Béziers malgré toute la
résistance… Là se fit le plus grand massacre qui ce fût jamais fait dans le
monde entier ; car on n’épargna ni vieux ni jeunes, pas même les enfants
qui tétaient… Tout fut passé au fil de l’épée, pas un seul n’en échappa. Ce
meurtre et cette tuerie furent la plus grande pitié qu’on ait depuis vue et
entendue. La ville fut pillée ; on mit le feu partout… »
L’amour du prochain à la mode chrétienne, recette poussée
à son extrémité ! Sans compter d’autres perfidies en légions dont il
faudrait rendre compte…
Mais plutôt qu’un inventaire fastidieux, reprenons
la phrase si vive et si juste de Lucrèce : « Tant la
religion put conseiller de crimes ! »
Musée du château comtal (photo par Axel) |
Musée du château comtal (photo par Axel) |
Musée du château comtal (photo par Axel) |
Et de flâner dans les venelles de
Carcassonne ; à laisser filer les heures indolentes
Les remparts de la cité de Carcassonne (phot par Axel) |