Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


5 juin 2015

Les oiseaux, de Daphné du Maurier


Billet initial du 15 mars 2014
(Billet initial supprimé de la plateforme overblog, infestée désormais de publicité)

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Sterne arctique dans le ciel de Vigur (photo par Axel)
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Quelques sternes suffisent à mettre le philosophe en déroute
Alors, imaginer des nuées vengeresses couvrant le soleil, et en voilà fini de l’espèce bipède qui rêvait d’éternelle gloire ; ce Prométhée aux ailes cousues de cire.   
La nouvelle de Daphné du Maurier, publiée en 1952, inspira à Hitchcock le film que l’on sait (1963). A mon sens, si l’écrit se révèle bien meilleur au film, c’est qu’il va à l’essentiel, sans se perdre dans l’ornière d’artifices destinés à étoffer l’histoire par la multiplication d’interactions humaines, dont certaines relèvent du vaudeville, avec des personnages suggérant un sens possible à cette calamité (nous passerons sur la symbolique lourdingue des inséparables en cage). 
Ainsi, dans le film, à la vie simple d’une famille de fermiers, se substitue le passe-passe amoureux entre une élégante fille d’un riche propriétaire de journal et un bellâtre, assez sûr de lui. 
Mais ne peignons point tout en noir. Cette adaptation cinématographique, malgré les inévitables clichés qu’elle porte sous son aile, ne démérite pas. Et puis, sans doute aura t-elle eu le mérite de contribuer à la célébrité d’une nouvelle qui autrement eût sombré dans l’oubli.
L’histoire débute un 3 décembre. 
Nat Hocken, ancien combattant, vit avec sa femme et ses deux enfants dans une ferme située sur une presqu’île située en Cornouailles.
Depuis le haut d’une falaise l’homme observe autour de lui : « Noirs et blancs, corneilles et mouettes, réunis par étrange association, cherchaient on ne sait quelle libération, jamais satisfaits, jamais apaisés. Des vols d’étourneaux filaient dans un bruissement de soie vers de nouveaux pâturages, poussés par le même besoin de mouvement, et les petits oiseaux, les pinsons, les alouettes, se dispersaient d’arbres en arbres et de haie en haie avec un air effaré ». 
Le changement est à peine perceptible. Certainement s’agit-il d’un affolement lié à l’approche de l’hiver. Néanmoins le singulier tapisse le réel d’un auréole trouble. Mais quoi au juste ? Alors l’homme porte ses regards sur les oiseaux marins : « Dans la baie, ceux-ci attendaient la marée. Ils avaient plus de patience. Les pies de mer (huîtrier pie), les rouges-queues, les courlis guettaient au bord de l’eau ».
N’y pensons plus. 

Corvus dans la réserve de Yala (photo par Axel)
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Premier soir. 
L’incident inaugural, avec l’égratignure causée par un petit oiseau se butant contre la fenêtre. 
Plus tard, au milieu de la nuit, c’est la déferlante dans la chambre des enfants. Le père accourt et « sentit des battements d’ailes autour de lui dans l’obscurité. la fenêtre était grande ouverte. Les oiseaux entraient par là, se cognaient d’abord au plafond, puis aux murs, puis viraient à mi-vol, se dirigeant vers le lit des enfants ». 
Il parvient à en venir à bout et condamne temporairement la pièce. 
Le matin découvre une cinquantaine de cadavres d’oiseaux qu’il faut aller jeter : des rouges-gorges, des mésanges, des pinsons, des roitelets, des alouettes…
Aucune explication, aucun motif. Une folie passagère probablement. Une chose est sûre : les oiseaux cherchaient à attaquer ! 

Cordon Bleu, Sénégal, La Somone (Photo par Axel)
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Le jour suivant.
Le ciel est plombé. Un vent d’est « pareil à un rasoir, déshabillait les arbres ». En matinée la nouvelle tombe. C’est un communiqué du ministère de l’intérieur : « A Londres, dans tout le pays. Il est arrivé quelque chose aux oiseaux ». Là-Bas ce sont les moineaux, les pigeons et les mouettes à tête noire (comprendre mouettes rieuses) qui agressent en nombre les humains.  
Mais comment faire front et se protéger des mouvantes nuées ? Même les avions y faillissent, abattus en vol par les kamikazes emplumés. Quant aux armes de toutes sortes elles sont illusoires et la gaz tuerait aussi sûrement les humains. Becs, griffes et serres se sont ainsi retournés contre le seigneur de la terre et il n’y a rien à faire d’autre que de tenter de s’en protéger en se terrant comme l’on peut. Car les bataillons ailés ont choisis leur cible, épargnant bétail et autres bêtes… 

Vautour au bord de l'océan, Mexique (Photo par Axel)
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Passe un autre jour.
Nouvelles attaques. Le fermier remarque que la trêve suit le rythme des marées. Voilà tout ce qu’on peut déduire… Il en profite pour se réapprovisionner chez ses voisins, des insensés chasseurs massacrés par les oiseaux. Le facteur lui aussi est tombé sous les coups de becs. Au loin du quartier neuf, avec ses maisons aux larges vitres, ne monte aucun signe de vie. 
Mais il est temps déjà de se préparer au prochain assaut.
Un marais du nord de la France (photo par Axel)
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Jour suivant. 
Nat et sa famille retranchés derrière leur fortification, sont coupés du monde. La radio a cessé d’émettre. Le pays semble vaincu par les hordes aux rémiges sanglantes. Angoissés ils attendent. Avec la marée, d’un même élan les oiseaux viennent à nouveau se fracasser contre portes et fenêtres.
Lors de l’accalmie précédente, L’homme a entassé aux points faibles de son habitation des masses de cadavres d’oiseaux venus s’écraser lors des assauts précédents. Il espère, à défaut de les dégoûter, au moins faire meilleur barrage. Mais cette fois, les oiseaux de proies ce sont joints à leurs congénères.  

Morillons installés rue des mouettes, Le Crotoy (Photo par Axel)
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Le matin d’après.
Les espoirs renaissent à la vue de « quelque chose de gris et de blanc parmi les vagues - Notre bonne vieille marine, dit-il, celle-là ne nous laisse jamais tomber. Les voilà qui entrent dans la baie ». 
Hélas, Nat s’est trompé : « Ce n’était pas des bateaux. La marine n’était pas là. Les mouettes s’élevaient de la mer. Les troupes massées dans les champs, plumes ébouriffés, prenaient leur essor en bon ordre et, aile contre aile, s’élevaient vers le ciel. La mer recommençait à monter ».

Combien de temps la maison pourra-t-elle encore tenir ? Il n’est plus temps d’y réfléchir, il faut entretenir le feu… Surtout ne pas le laisser s’éteindre. Les empêcher de passer par la cheminée ! 
Mais dehors, qu’en est-il ? Reste-t-il seulement encore des hommes ?.. 

L’attaque survient. Nat fume sa dernière cigarette et écoute le bois se fendre : 
« Les plus petits oiseaux étaient à présent devant les fenêtres. Il reconnu le léger tapotement de leur bec et le frôlement de leurs ailes. Les éperviers dédaignaient les fenêtres. Ils concentraient leu assaut sur la porte ».

Il se demande enfin :
« combien de million d’années d’expérience était accumulées dans ces petites cervelles, derrière ses becs pointus, ces yeux perçants, les dotant aujourd’hui d’un tel instinct pour détruire l’humanité avec toute l’adroite précision des machines ». 

Tout doit finir.... Vautours, Sénégal (Photo par Axel)
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