Vue de Sainte-Sophie, la nuit (Photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
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« Seigneurs, vous avez
pris l'engagement de concourir à la plus glorieuse des entreprises ; les
guerriers avec lesquels vous avez contractés une sainte alliance, surpassent
tous les autres hommes par leur piété et leur valeur. Pour moi, vous le voyez,
je suis accablé par les ans, j'ai besoin de repos ; mais la gloire qui nous est
promise me rend la force et le courage de braver tous les périls, de supporter
tous les travaux de la guerre ; je sens, à l'ardeur qui m'entraîne, au zèle qui
m'anime, que personne ne méritera votre confiance et ne vous conduira comme
celui que vous avez choisi pour chef de la république. Si vous me permettez de
combattre pour Jésus Christ, et de me
faire remplacer par mon fils dans l'emploi que vous m'avez confié,
j'irai vivre et mourir avec vous et les pèlerins »[1].
Ainsi avait parlé le vieillard presque
aveugle. Et l’avoir aidé à descendre de la tribune, la foule le conduisit en
triomphe auprès de l’autel, là où il se fit attacher la croix sur son Bonnet
Ducal. C’était un jour d’été de l’an 1202.
Cet homme se nommait Dandolo. Ancien
ambassadeur à Ferrare, en Sicile puis à Constantinople, il avait reçu jadis de
l'empereur byzantin le titre de protosevasto,
ce qui grossièrement pourrait se traduire par « primordial
Auguste ». Juste retour des choses, pour un homme dont la presque cécité
ne devait rien à l’âge, mais au courroux de Manuel 1er Comnène dont on
racontait qu’il lui avait fait brûler les yeux, alors que le vénitien s’en
venait à Constantinople réclamer la libération de députés que ce prince
retenait par force.
Sainte-Sophie, vue intérieure (photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
C’était l’an 1192, Dandolo avait 82 ans, et
rien ne laissait présager que ce vieillard infirme marquerait si profondément
la Sérénissime. Mais aussi branlant que puisse avoir alors été son aspect
physique, ce dont il est permis de douter au vu du témoignage laissé par le
croisé Geoffroi de Villehardouin qui, fort impressionné, le décrivit dans ses
mémoire comme « un vieux géant qui a
encore la force de galoper pour affronter avec son habituelle fierté son
dernier ennemi: la mort », Dandolo conservait un esprit vigoureux, une
âme dotée d’une lucidité, pour ne pas dire d’une rouerie, hors norme. Fier, il cultivait cet art rare de voir
loin et juste ; de saisir la plus minuscule opportunité propre à
servir sa politique. Bref il avait de l’envergure. Et cette acuité toute
particulière lui avait permis ce tour de force dont se souviendrait
l’histoire : détourner au profit de la cité des Doges la quatrième croisade.
Sainte-Sophie, intérieur (Photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
- « Seigneurs,
les barons de France les plus hauts et les plus puissants nous ont envoyés vers
vous : ils vous crient merci ; qu’il vous prenne en pitié de
Jérusalem, qui en en servage des Turcs ; que pour dieu vous veuillez les
accompagner, afin de venger la honte de Jésus-Christ. Ils ont faits choix de
vous, parce qu’ils savent que nul n’est aussi puissant que vous sur mer. Ils
nous ont commandés de nous jeter à vos pieds, de nous relever que lorsque vous
nous aurez pris pitié de la Terre Sainte d’outre-mer »[2].
Sitôt dit, les six députés s’étaient
agenouillés d’un seul élan visages baignés de larmes, tandis que le doge et
tous les autres à sa suite s’écriaient à l’unisson, bras levés au ciel :
-
« Nous
l’octroyons, nous l’octroyons ».
L’attentat était consommé.
Sainte-Sophie, vue depuis le porche d'entrée (photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
Les médaillons (photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
Sainte-Sophie, vue de la voûte (photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
La suite est connue. Les croisés ayant
surestimés leur nombre ne purent honorer le contrat, malgré la fonte de leur
argenterie. Aussi, lorsqu’il leur fut opportunément proposé de payer leur dette
en détournant la croisade sur Zara, ville rebelle à l’autorité vénitienne, si
quelques barons désertèrent par refus d’attaquer une ville chrétienne placée
sous l’autorité d'un souverain ayant pris lui-même la croix, la majorité
d’entre eux, moins scrupuleux donnèrent une franche approbation au projet.
Loge du sultan (Photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
Sainte Sophie, vue depuis la galerie ouest (Photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
L’injonction d’Innocent III resta
néanmoins sans effet, les croisés ayant décidé la poursuite de leur hivernage
zadriote. Ce paradoxal entêtement prenait source sous le manteau de tractations
alambiquées dont l’histoire est si féconde et qui devait conduire au
détournement de la croisade sur Constantinople…
Mais c’est une longue histoire
qui dépasserait largement le cadre de ce billet.
Il convient ici juste de savoir
qu’une fois Constantinople prise et mise à sac, Enrico Dandolo choisira de ne
pas retourner à Venise.
Il mourra de sa belle mort en mai
1205 à l’âge de 97 ans et sera inhumé à Sainte Sophie.
Une stèle funéraire, située dans
la galerie ouest à l’étage, en témoigne toujours. Quant à ses os, d’aucuns
racontent qu’ils auraient été déterrés en 1453, après la prise de la ville par
les Ottomans, et donnés aux chiens.
Stèle funéraire de Dandolo (Photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
Vue de puis la galerie (photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
Vue de puis la galerie (photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
Sainte-Sophie le jour (photo par Axel) [cliquer sur la légende pour grand format] |
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