Il arrive que la bande dessinée s’empare de la vie des
gens de lettres et des philosophes. Le genre est minoritaire et l’exercice
n’est guère aisé. C’est qu’il faut se nourrir d’une biographie, d’une œuvre,
d’un style, d’une singularité, et en prélever quelques fruits capables tout à
la fois de rendre une ambiance, de peindre les tensions d’une époque, sans en
grossir excessivement le trait – se gardant des outrances idéologiques ; bref
construire une intrigue attachante, assez véridique malgré la subjectivité
inhérente à tout regard extérieur, kaléidoscope qui satisfasse au moins autant
un lectorat dont la connaissance de la figure mise en scène n’est
qu’approximative, que ceux dont le compagnonnage avec l’auteur dont on tire une
fiction a rendu l’œil plus attentifs aux détails, ou au rendu de tel ou tel
aspect lui tenant particulièrement à cœur.
Dosage millimétré donc, d’une part évidemment entre
l’image et le texte, entre silence et couleur, mais d’autre part aussi entre la
saveur de ce que l’on montre au détour des planches et la douceur - ou
l’aigreur - de ce que l’on tait, ou que l’on suggère. Entre les maux et la
grammaire de l’art, c’est un équilibre de funambule…
Sorti en 2012 dans les bacs, aux éditions du Lombard, Thoreau. La vie sublime.
Aux 77 pages de la bande dessinée proprement dite, un avant-propos du scénariste, Maximilien Le Roy, celui-là même à qui l’on doit Nietzsche, se créer liberté (d’après L’innocence du devenir, de M.Onfray), nous brosse à gros traits la biographie du reclus volontaire de Walden. S’y ajoute un petit paragraphe dont, à dessein, je ne reproduis ici qu’une seule phrase, et que je livre à l’appréciation de chacun. Cette phrase, la voici : « La biographie ne remplace pas la connaissance directe de l’œuvre, mais elle suggère un radeau théorique pour des horizons pratiques ». Pour le reste, je laisse découvrir à tous ceux qui aurons la bonne idée de se procurer la BD quelles sont les assises, disons idéologiques, qui ont préfigurées la naissance de l’ouvrage.
Aux 77 pages de la bande dessinée proprement dite, un avant-propos du scénariste, Maximilien Le Roy, celui-là même à qui l’on doit Nietzsche, se créer liberté (d’après L’innocence du devenir, de M.Onfray), nous brosse à gros traits la biographie du reclus volontaire de Walden. S’y ajoute un petit paragraphe dont, à dessein, je ne reproduis ici qu’une seule phrase, et que je livre à l’appréciation de chacun. Cette phrase, la voici : « La biographie ne remplace pas la connaissance directe de l’œuvre, mais elle suggère un radeau théorique pour des horizons pratiques ». Pour le reste, je laisse découvrir à tous ceux qui aurons la bonne idée de se procurer la BD quelles sont les assises, disons idéologiques, qui ont préfigurées la naissance de l’ouvrage.
Ajoutons qu’à la fin du livre on trouvera une belle
interview, réalisée par M. Le Roy, de Michel Granger, spécialiste de littérature
américaine du XIXe siècle.
Le texte est
agrémenté de quelques photographie des lieux que fréquenta Thoreau, et parmi
eux, évidemment, l’incontournable cabane de l’étang de Walden, baraque de
quelques mètres carrés située sur un terrain acheté et mis à disposition de
Thoreau par son ami et alors mentor, le philosophe Ralph Waldo Emerson, le
fondateur du transcendantalisme.
Les dessins de Thoreau. La vie sublime sont de A.Dan,
illustrateur qui, avant de se tourner vers la bande dessinée, se consacra à la
mise en image d’animaux, d’arbres et de paysages ; parmi eux de belles planches représentant, pour les oiseaux,
troglodytes, sittelles, martins-pêcheurs et autres tétras.
Esquissons juste enfin le décor :
Les auteurs de cette Vie Sublime mettent ensuite l’accent sur l’engagement de Thoreau dans le mouvement anti-esclavagiste, et on le voit participer à des rassemblements abolitionnistes, donner quelques conférences, et même aider des esclaves en fuite à rejoindre le Canada. Suivra sa défense et le plaidoyer en faveur de l’activiste abolitionniste John Brown, qui finira pendu pour avoir massacré cinq colons esclavagistes et tenté de s’emparer par force de l’arsenal fédéral de Virginie. Car contrairement à l’image lisse et consensuelle d’un Thoreau herboriste solitaire, l’histoire nous montre un personnage qui n’exclue pas la violence et la résistance armée pour défendre sa cause.
The last moments of John Brown - Thomas Hovenden |
Thoreau s’éteindra en mai 1862, à l’âge de 44 ans.
Peu avant, à sa tante qui lui demandait de se
réconcilier avec dieu il avait répondu « Nous nous sommes jamais querellés
que je sache… ». Et enfin, à un quidam le questionnant sur sa crainte de
l’au-delà, cette celèbre sortie : « Un monde à la fois… Un monde à la fois…
»
« Indien… Caribou… »
Hors champs :
Si l’on pourrait regretter l’absence, dans Thoreau.
La vie sublime, de la relation de l’auteur de Walden au transcendantalisme
et à Emerson d’une part, du commerce du philosophe avec les femmes d’autre
part, sur le premier sujet le scénariste s’en explique
: « Volontairement, je n’ai pas abordé la question du transcendantalisme (ni
la figure d’Emerson) afin de me concentrer principalement sur la dimension
politique de Thoreau ». C’est un choix qui se défend, même si à titre
personnel je trouve dommage de ne pas avoir au moins effleuré ce volet
inaugural dans le parcours intellectuel de Thoreau. Quant à la relation du
philosophe botaniste aux femmes, à peine esquissée dans la BD, il faut convenir
qu’elle traduit une réalité biographique : « Thoreau ne semble guère avoir
été attiré par les femmes. Au plus, on trouve dans sa biographie quelques
traces de relations d’estime avec des femmes plus âgées que lui, mais il est
resté célibataire… »
Pour conclure, je dirai que cette BD est une
excellente manière d’approcher la vie de Thoreau. Et tant mieux si cela donne
une furieuse envie de lire ou de relire son œuvre, toujours d’une actualité
brûlante. Car « un siècle et demi plus tard, dans le contexte d’une crise
financière menaçante et avec l’échéance proche d’une crise écologique, ses
intuitions prophétiques ouvrent nos yeux sur l’évolution dangereuse de notre
civilisation et incitent à s’engager dans des alternatives » (Michel
Granger)
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