« Etre moderne ne consiste
pas à chercher quelque chose en dehors de tout ce qui a été fait. Il ne s'agit
au contraire de coordonner tout ce que les âgés précédents nous ont apportés,
pour faire voir comment notre siècle a accepté cet héritage et comment il en
use ».
Gustave Moreau
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[1826 -1898]
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Je me remémore toujours, avec une
certaine émotion, cette visite que je fis au Musée-maison Gustave Moreau. Cela
remonte à une dizaine d’années, la date importe peu. Et si la nostalgie a
tendance à embellir les choses, l’archiviste d’instantanés que je suis, a
conservé les notes des impressions d’alors :
« Antre sublime. Une ambiance à
la Tardi. Il faut faire craquer le parquet de cette demeure pour comprendre… Un
vague effluve de caveau imprègne mes narines
tandis que je noie mon regard dans
ces crayonnages ; dans ces toiles fardées d’énigmes, posées là comme autant de
sphinx. Des ombres, peu nombreuses, furtives déambulent le long des cadres.
Tout comme nous, elles gouttent en silence la suavité de l’artiste ; ce
perfectionniste hanté de mythes. Dehors sous un ciel plombé d’encre, la pluie
déborde des gouttières ».
Ami de Chassériau, mort trop tôt,
Gustave Moreau a eu Degas pour condisciple avant que des divergences ne les
séparent. Et parmi ses élèves à l’école des beaux-arts, figurèrent Rouault et
Matisse...
Peintre majeur du courant
Symboliste, réputé taciturne, aussi mystérieux que ses œuvres, il s’éteindra en
1898.
Ce ne sont sans doute pas ses
œuvres les plus célèbres qui m’émeuvent le plus ; mais à chacun ses chimères. En
tout état de cause, se rendre au 14 de la rue de la Rochefoucauld à Paris, est
une expérience vivement conseillée.
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« Dans l'oeuvre de Gustave Moreau, conçue en dehors de toutes
les données du Testament, des Esseintes voyait enfin réalisée cette Salomé,
surhumaine et étrange qu'il avait rêvée. Elle n'était plus seulement la
baladine qui arrache à un vieillard, par une torsion corrompue de ses reins, un
cri de désir et de rut ; qui rompt l'énergie, fond la volonté d'un roi, par des
remous de seins, des secousses de ventre, des frissons de cuisse ; elle
devenait, en quelque sorte, la déité symbolique de l'indestructible Luxure, la
déesse de l'immortelle Hystérie, la Beauté maudite, élue entre toutes par la
catalepsie qui lui raidit les chairs et lui durcit les muscles ; la Bête
monstrueuse, indifférente, irresponsable, insensible, empoisonnant, de même que
l'Hélène antique, tout ce qui l'approche, tout ce qui la voit, tout ce qu'elle
touche. »
Huysmans, A rebours, chapitre V
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"L'évocation de la pensée
par la ligne, l'arabesque et les moyens plastiques, voilà mon but"
Gustave Moreau
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Court extrait d’un projet
littéraire en sommeil :
« Instantané de sa pupille : sous la tenture
tourmentée du ciel, un horizon cerné de poussière. Le sol est lunaire. De
rocaille... Arrive un cavalier torse dénudé. Il a pour tout visage, un ovale
lisse et terreux, ceint d’une auréole dégénérée comme un soleil honteux de la
déchéance de son éclat. Dans sa main d’airain, pointé au ciel, imprécateur, un
glaive caillé de sang. Des ailes cramoisies et défaites sont suspendues à son
dos éternel. Et au-devant du destrier furieux, accroché aux reines, marchant
courbé, une forme mauve. Touareg sinistre... Miguel ne pouvait se détacher de
cette révélation, pareille dans son délire aux gibets de Bruegel, aux corbeaux
de Van Gogh : ceux faits sous un ciel
d’orage. Celui-là même qui disait de Rembrandt
qu’il « a peint le buveur gris, la
vieille marchande de poisson en hilarité de sorcière, la belle putain
bohémienne » (1)
(1) Lettre
de Vincent Van Gogh à Emile Bernard
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Moreau Gustave - The peacock complaining to Juno -1881 |
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...Cherchant à son tour à
situer Moreau, des Esseintes en est-il réduit à un aveu d'impuissance :
« Sa filiation, des
Esseintes la suivait à peine : çà et là, de vagues souvenirs de Mantegna et de
Jacopo de Barbarj ; çà et là, de confuses hantises du Vinci et des fièvres de
couleurs à la Delacroix ; mais l'influence de ces maîtres restait en somme,
imperceptible : la vérité était que Gustave Moreau ne dérivait de personne.
Sans ascendant véritable, sans descen-dants possibles, il demeurait, dans l'art
contemporain, unique » (AR, 153).
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