Me rendant sur les rives du
Bosphore je pensais que la première tourterelle rencontrée serait turque. Et
bien non. Des tourterelles turques je n’en ai vu aucune à Istanbul ; alors
que cette espèce prolifère dans nos jardins. Et le premier jour, du haut de la
terrasse de notre auberge, entre Sainte Sophie et l’embouchure de la mer de
Marmara, ce ne fut qu’un ballet de goélands et de corneilles. Mantelées pour les corneilles, et argentés pour les goélands – ou plutôt des goélands Leucophées ;
« les pattes jaunes vifs des adultes
permettent de déterminer qu'il s'agit de Goélands leucophées (proche de nos
Goélands argentés, qui eux ont les pattes rosâtres ».
C’est le matin et la ville
bourdonne, bercée par le cri des goélands. S’y mêlent le croassement rude des
corneilles tachées de gris. Laissant Sainte Sophie dans notre dos, nous passons
sous le porche monumental conduisant au palais de Topkapi. Dans le parc
résonnent les criailleries stridentes des perruches à collier, ayant aussi
colonisées ces terres entre Europe et orient. L’espèce est désormais considérée
comme invasive sous les climats tempérés, son habitat s’étendant de Londres à
Barcelone, passant par Lille. Il fut un temps où ces oiseaux ne se trouvaient
qu’en des contrées réputées plus exotiques au français moyen ; elles y
mourraient parfois, saisies en plein vocalises : « … au-dessus de nous, nous entendîmes le
caquetage d’une perruche à collier. Jean-Marc la repéra. M’exhortant par un
geste à me taire et à ne faire aucun bruit, il pointa son index en direction de
l’oiseau. Je vis une petite chose gracieuse qui inclinait sa tête vers nous,
comme pour capter un son ou un mouvement. (…) D’un signe des yeux vers la
perruche qui semblait à présent nous ignorer, il m’invita à l’abattre. J’eus
des palpitations, tiraillé entre le désir d’obéir et de désobéir. Je cédai à la
tentation de la mort. J’épaulai sans brusquerie la carabine, visai et tirai. La
perruche chuta à nos pieds. Elle n’était que blessée. »
C’est là, dans l’herbe, que nous
rencontrons à nos pieds une tourterelle maillée occupée à manger du pain. L’espèce
est ici très banale, peu farouche. Et à la réflexion je me demande si je n’en
ai pas plus croisé dans les rues d’Istanbul que des moineaux domestiques – mais
qui prend garde à ce qu’il a l’habitude de côtoyer ?
Dans les arbres et les buissons
surplombant le tapis rouge des tulipes, plantées en nombre considérable dans
les jardins de Topkapi, le promeneur curieux rencontrera aussi, pour peu qu’il lève
les yeux, outre les corneilles prenant leur bain dans la fontaine d'Erevan
Kiosk, des chardonnerets et des mésanges.
Mais, après quelques jours passés
à arpenter les rues, les palais et les bazars, à l’assaut de la tour Galata où
en quête de jardins improbables, il est temps d’embarquer pour une balade sur
le Bosphore. Et de croiser sous un ciel bleu limpide le vol nerveux en rangs
serrés, au ras de l’eau, d’oiseaux faisant de prime abord songer à des
limicoles, des bécasseaux où des gravelots, mais dont le bec rapprocherait plutôt de celui des fulmars.
Etrange… Malgré mon « Guide Ornitho » (édition 1999) et les photos
que j’ai pu prendre à la volée, même en zoomant, je ne parviens pas à mettre un
nom sur ces oiseaux. Et je crois bien je n’aurai jamais pu les identifier si je
n’étais tombé sur le blogue d’un Pigeon migrateur : « il s'avère que ce sont des Puffins yelkouan,
oiseaux marins apparentés aux Fulmars dont je vous ai parlé dans mes articles
sur l'Islande. Dans l'indispensable
Guide ornitho
des Oiseaux d'Europe on peut lire "localement nombreux ; de grande bandes
passent régulièrement le Bosphore". ». Une nouvelle coche pour
moi !
Débarqués à Anadolu Kavagi, après
avoir visité les ruines de la forteresse de Yoros plantée sur le promontoire
dominant le Bosphore (objet d’un billet précédent), nous avons tout le loisir de
savourer une glace, nous faufilant entre les ruelles commerçantes. Et revenus
aux quais, loin de l’agitation toute raisonnable de cette saison boudée par la
plupart des visiteurs qui, par excès de prudence ont opté pour d’autres
destinations, de nous reposer enfin près
de l’eau avec pour compagnie un cormoran séchant ses larmes.
Sur le soir, une flânerie
improvisée nous conduira sous les ombrages du parc Gülhane, où les parterres de
tulipes font miroir aux héronnières semées dans les arbres, comme autant de
grosses boules de gui. Et de faire le tour de la colonne des Goths, placée à la
proue du palais de Topkapi, pour revenir et fixer enfin sur mon objectif l’œil un
peu moqueur d’une perruche à collier.
Mais la nuit s’étale. La mosquée
s’illumine et les goélands viennent tournoyer autour des minarets ; flocons
minuscules perdus bien au-delà des jets d’eau colorés de la fontaine du Sultan
Ahmet park… Un dernier regard, déjà nostalgique sur les courbes généreuses de
Sainte Sophie.
Il faut déjà rentrer…
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