C’est une roborative Conversation Scientifique de septembre dernier qui m’aura presque convaincu de me procurer le dernier essai en date d’Yves Gingras, professeur de l’histoire des sciences à Montréal, « L’impossible dialogue. Sciences et religions ».
Un livre utile, sinon salutaire dans
le contexte du « retour en force,
depuis les années 1980-1990, de la question des relations entre science et
religion et des appels au « dialogue » entre ces deux domaines
pourtant si éloignés par leurs objets et leur méthodes ».
Or, que
l’on songe à Galilée ou à Darwin, c’est plutôt le mot de conflit qui vient à
l’esprit pour qualifier les relations entre sciences et religions. D’où vient
donc cette fautive inflexion récente ? Quel est le socle de cette
incitation au dialogue, alors que, pour prendre un exemple, « à la question ‘’d’où vient
l’homme ?’‘, la science répond que les connaissances les plus récentes
situent son origine en Afrique et que ses ancêtres ont évolués à partir
d’espèces animales plus anciennes encore. Si d’aventure le croyant répond que
les « méthodes » de sa religion lui indiquent plutôt que c’est Dieu
qui a créé l’homme directement et qu’il est impossible qu’il soit issu d’une
espèce inférieure, y-a-t-il encore « dialogue » ? On peut
en douter, car le scientifique répondra qu’une telle croyance est incompatible
avec les connaissances actuelles. »
C’est
sur cette interrogation à la fois sociologique et historique qu’Yves Gingras s’est
adossé pour analyser « les rapports
historiques entre les sciences et les institutions religieuses dans le monde
occidental depuis le XVIIe siècle. (…et) retracer le divorce entre la religion et la science, de même que les
nombreux conflits qui ont jalonné ce processus ».
Pour
des motifs sur lesquels je ne m’étendrai pas ici, j’ai tiré de cet essai plusieurs
pleines pages de notes de lectures. Je n’en reprends ici qu’un fort mince
extrait pour susciter l’envie de lire l’ouvrage in extenso… J’ai choisi le passage concernant l’atomisme et la
pluralité des mondes, thèse pour laquelle, rapellons-le, Giordano Bruno, sera
brûle le 17 février 1600 sur le Campo de’Fiori.
Pour se
faire une idée de la pensée de l’auteur on peut aussi écouter l’émission d’Etienne
Klein, ou visionner encore la vidéo d’une
conférence donnée par Yves Gingras autour de selon libre, le 22 septembre
dernier
Des atomes inquiétants pour l’Eglise
Le regain d’intérêt, au début
du XVIIe siècle, pour l’ancienne doctrine des atomes inquiété les philosophes
et théologiens catholiques capables de tirer les conséquences logiques d’une
doctrine qui tend nettement vers un matérialisme athée. (…) Le renouveau de
l’atomisme s’inscrit dans un mouvement intellectuel contre la scolastique
dominante sur les théories d’Aristote. (…) Selon la théorie aristotélicienne de
la matière, les atomes indivisibles et le vide n’existent pas et toute matière
est composée de qualités premières (la substance) et secondes (les
‘accidents’). Ce double aspect de la matière permet, entre autre, aux
théologiens catholiques d’expliquer rationnellement le miracle de la
transsubstantiation, dogme fondamental de l’Eglise romaine. (…) Le miracle
transforme donc la substance même du pain et du vin mais laisse leurs
‘accidents’ inchangés. Du point de vue atomiste, cela est impossible. (…)
Galilée se dit aussi atomiste dans son essai de 1623, Il Saggiatore (…) La théorie de Galilée qui reprend celle de
Démocrite, lui parait donc ‘contraire à l’opinion commune des théologiens’ et
en ‘contradiction avec les vérités des Sacrés Conciles’ (…) A la même époque,
la faculté de théologie de la Sorbonne fait interdire, avec l’appui du
parlement de Paris, la discussion publique de 14 thèses contraires à la philosophie
d’Aristote, incluant la promotion de l’atomisme. (…)
Avec les travaux de Pierre
Gassendi, qui propose une interprétation acceptable de l’atomisme pour les
catholiques – un peu comme Thomas d’Aquin avait christianisé Aristote - , et la
diffusion de la philosophie de Descartes au milieu du siècle, la question du
conflit entre l’atomisme et la théologie est très discutée parmi les
philosophes. (…) Et même si Descartes affirme clairement ne pas croire aux
atomes et que la matière est divisible à l’infini, il reste que sa notion de
‘corpuscules’ est plus souvent assimilée aux thèses atomistes et à la négation
de la réalité des ‘accidents’ (…) L’hostilité envers l’atomisme se traduira
finalement en 1673 par un décret de l’Inquisition ordonnant aux inquisiteurs
locaux de n’accorder aucune imprimatur aux ouvrages soutenant cette
doctrine ; (…) Si l’atomisme fini tout de même par s’imposer en chimie et
en physique au début du XXe siècle, la question de la nature des substances
reste problématique sur le plan théologique. Encore en 1950, dans son
encyclique Humani generis, Pie XII se
sent obligé de rappeler que trop d’erreurs ‘s’insinuent dans l’esprit de
plusieurs de nos fils, qu’abuse un zèle imprudent des âmes ou une fausse
science’. Parmi ces vérités réitérées, on trouve la notion scolastique de
substance, qui demeure nécessaire…
Pluralité des mondes
Les thèses atomistes et la
cosmologie copernicienne suggéraient toutes deux, pour des raisons différentes,
l’existence d’une multitude de mondes habités. (…) Les atomistes des XVIIe et
XVIIIe siècles, en arguant que l’espace était infini et notre monde n’étant que
le fruit de collisions fortuites entre atomes éternels et en nombre infini, il
devait nécessairement exister d’autres mondes habités (…) Malgré l’incertitude
théologique sur la pluralité des mondes, les autorités religieuses préfèrent
éviter la controverse en contrôlant les publications. Ainsi, les entretiens sur
la pluralité des mondes de Fontenelle (1657-1757), parus en 1686, sont rapidement
dénoncés.
The execution of Giordano Bruno on February 17, 1600 |
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