Chapelle de Languidou (photo par Axel) [cliquer sur la légendepour grand format] |
Je ne sais avec netteté d’où me vient cet
attachement aux ruines ; ce plaisir à m’y promener jusqu’à m’y perdre, rêvassant
parmi ces squelettes retournés à l’oubli… Certes, en cela rien de bien
original : « Tous les hommes
ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de
notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la
rapidité de notre existence. » Je ne suis pas persuadé de partager
cette appétence pour l’effondré, comme semble le généraliser Chateaubriand, par
conscience de la fugacité de notre existence ; cette impermanence du
vivant… Mais je reste saisi par la
beauté propre à ces œuvres fortuites, ce mélange de majesté grandeur nature retourné
à la modestie, cette bigarrure de construit et de naturel, de décrépitude pas
tout à fait informe ; s’y mêle sans doute une forme de misanthropie, car
les ruines se savourent loin du fracas des foules, comme les vapeurs d’une
sourde mélancolie que l’on ne souhaite pas partager…
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En ce chaos, mes préférences vont aux cités
trépassées, aux castels et castrum suspendus au-dessus du vide, aux lieux de
cultes de la chrétienté retournés à l’animisme originel – ou grandis encore par
le fantasme de paganismes enchantés, débarrassés enfin de la froidure humide
aux effluves de catacombes.
Tous ces lieux ont en commun d’avoir perdus leur
pompe – Vaisseaux désertés, rendus à la nature ; aux oiseaux, aux
insectes, aux prédateurs et aux proies. Lavés par les intempéries l’histoire s’y
devine en pointillé, accrochée parfois aux lambeaux de pierres éparpillées
parmi les herbes folles, à quelques trous de poteaux que rien ne signalent… Une
stèle gravée en grec ancien ici, une citation latine à demi effacée ailleurs,
un signe ininterprétable… C’est encore, plus loin, les traces fugaces de quelques
pigments. Puis le reste, tout le reste irrémédiablement perdu…
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Il faut dire que les livres des explorateurs,
truffés de gravures fantastiques nous montrent le plus souvent ces ruines
telles que nous ne les verront jamais. Pour s’en convaincre il n’est qu’à se
plonger par exemple dans l’œuvre de Frederik Catherwood, « ruins of the Maya civilization ».
Et puis il y a les sites qui nous ont toujours fait rêver, mais devenus
inaccessibles. Ainsi la cité d’Aristippe. Un magnifique livre de Jean-Marie
Blas de Roblès, sorti l’automne dernier, nous invite à le suivre en
Cyrénaïque, et plus largement « en
Libye, sur les traces de Jean-Raimond Pacho ».
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S’il m’est impossible de composer une hiérarchie
personnelle des lieux visités, du moins puis-je constater mon attachement à
certains d’entre eux ; ainsi pour ce qui est des cités, à des sites tels
Gortyne, Priène ou Tonina, qui ne sont pas les plus connus dans pays respectifs.
Lorsqu’on évoque la Crète c’est à Cnossos que l’on
songe. Quant à Gortyne, si elle est connue surtout pour ses « lois des
douze tables », elle se savoure loin des circuits convenus, de l’autre
côté de la route, à l’ombre des restes du prétoire, vaste complexe qui occupait
jadis une surface de plus de 12.000 m2.
Priène et Tonina ont en commun de tenir leur majesté
à leur
éloignement des circuits touristiques habituels, la masse des pressés et
des collectionneurs allant plutôt à Ephèse ou à Palenque et à Chichen Itza.
Mais leur charme vient aussi des paysages dans lesquels elles s’inscrivent. Avec
les colonnes du temple d’Artémis adossé au socle du mont Mycale pour
Priène ; avec les collinesdu Chapias mexicain pour Tonina, cette
« grande maison de pierre ».
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Je pourrai encore évoquer, sur le sentier des
châteaux exténués, Lastours ou Peyrepertuse en terres cathares, ou Coucy, à la
tour dynamitée lors de la première guerre mondiale, et fut à l’époque de sa
splendeur au XIIIe siècle, la demeure d’Enguerrand III, le plus rand vassal du
roi de France.
Du côté des lieux de culte retournés à l’abandon,
l’abbaye de Vauclair, découverte par les hasards de bifurcations inopinées a
sans doute ma préférence… Mais la visite cet été de la chapelle de Languidou,
par un après-midi d’un bleu sans tâches, aura eu le charme de ces instants un
peu hors du temps ; une atmosphère ou chantent les farfadets des rivages
océaniques…
Située en Basse-Cornouaille, la chapelle de
Languidou fut édifiée conjointement par un chanoine et un hobereau local au
XIIIe siècle : « Le chanoine
Guillaume et Yves de Revesco ont fait (re)bâtir cette église (en l'honneur de
saint Quidou) », un saint breton à la notoriété branlante.
Le vaisseau de pierre se découvre au détour d’une
petite route conduisant à la mer… La coque enfoncée dans les vagues de la pente,
avec sa rosace exposée aux quatre vents… Les voyageurs qui s’y échouent sont
peu nombreux ; et avec un peu de patience on peut jouir des lieux sans
autre présence que celle des grillons et des oiseaux. Alors on déambule, on
s’imprègne de la mémoire des pierres. Sans idée précise…
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Le docte ira lire ici ou là que la chapelle est une
représentante illustre - et peut-être la première - de l’école dite de Pont de
croix, ce qui ne l’avancera pas davantage, sauf à aller s’enquérir sur les
motifs de ce style architectural circonscrit en pays Bigouden, et se
caractérisant par l’utilisation d’arcades en grand nombres, dotées souvent d’un
décor soigné…
La construction de la chapelle remonte au milieu de
XIIIe siècle, époque tourmentée qui vit la quatrième croisade détournée par les
vénitiens sur Constantinople. Mais loin des voutes de Saint-Sophie, le nef de Languidou,
entre roman et gothique, tangue sous un ciel de légendes. L’édifice sera remanié
à plusieurs reprise au fil des siècles, avant d’être partiellement détruit à l’époque
révolutionnaire, les pierres de son ventre allant alimenter la ferveur de
soldats bâtissant un corps de garde à Plovan le village situé à son embouchure.
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Puis virent les restaurateurs…
Mais laissons le mot de la fin au romantisme de Chateaubriand,
celui qui inspirera la plume de Flaubert, lorsque dessinant les vagues à l’âme
et les humeurs mélancoliques d’Emma Bovary, il lui fera aimer les mer démontée,
avec ce goût des ruines si cher aux écorchés du 19e siècle.
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« Elle rêva les chapelles gothiques abandonnées, les
infortunes des reines, les ruines dans les bois, les migrations d'oiseaux dans
les nuages, des grèves désertes, des lacs, des tempêtes, des ouragans, des
mausolées illustres cachés sous la verdure et des tombes au clair de lune,
silencieuses sous les lierres »
Génie du Christianisme
« Habituée
aux aspects calmes, elle se tournait, au contraire, vers les accidentés. Elle
n'aimait la mer qu'à cause de ses tempêtes, et la verdure seulement lorsqu'elle
était clairsemée parmi les ruines. »
Madame Bovary
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Cher Axel,
RépondreSupprimerJe partage votre goût pour les ruines. De la vie a eu lieu et elle s'est comme évaporée, laissant derrière elle, à terre, ce qu'elle n'a pu emporter. Je trouve également de la poésie aux esquisses. Au musée Bonnat de Bayonne, toute une salle est consacrée à des Rubens inachevés. Le peintre s'est comporté comme un dieu velléitaire, comme s'il doutait de l'intérêt de créer, même du beau.
Merci pour vos pages et vos photos,
Amitié,
Frédéric
Ah, le charme intemporel des lieux perdus ! Vive les ruines désertées ! :-)
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