Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


24 avr. 2016

Quelques oiseaux à Istanbul et sur les rives du Bosphore

Depuis la terrasse de notre auberge, en direction du Bosphore sur les toits (photo par Axel)
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Depuis notre terrasse, en direction de Sainte Sophie (photo par Axel)
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Goéland Leucophée (photo parAxel)
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Me rendant sur les rives du Bosphore je pensais que la première tourterelle rencontrée serait turque. Et bien non. Des tourterelles turques je n’en ai vu aucune à Istanbul ; alors que cette espèce prolifère dans nos jardins. Et le premier jour, du haut de la terrasse de notre auberge, entre Sainte Sophie et l’embouchure de la mer de Marmara, ce ne fut qu’un ballet de goélands et de corneilles. Mantelées pour les corneilles, et argentés pour les goélands – ou plutôt des goélands Leucophées ; « les pattes jaunes vifs des adultes permettent de déterminer qu'il s'agit de Goélands leucophées (proche de nos Goélands argentés, qui eux ont les pattes rosâtres ».







Vue de la mosquée bleue, le matin (photo par Axel)
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Corneille mantelée(photo par Axel)
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C’est le matin et la ville bourdonne, bercée par le cri des goélands. S’y mêlent le croassement rude des corneilles tachées de gris. Laissant Sainte Sophie dans notre dos, nous passons sous le porche monumental conduisant au palais de Topkapi. Dans le parc résonnent les criailleries stridentes des perruches à collier, ayant aussi colonisées ces terres entre Europe et orient. L’espèce est désormais considérée comme invasive sous les climats tempérés, son habitat s’étendant de Londres à Barcelone, passant par Lille. Il fut un temps où ces oiseaux ne se trouvaient qu’en des contrées réputées plus exotiques au français moyen ; elles y mourraient parfois, saisies en plein vocalises : « … au-dessus de nous, nous entendîmes le caquetage d’une perruche à collier. Jean-Marc la repéra. M’exhortant par un geste à me taire et à ne faire aucun bruit, il pointa son index en direction de l’oiseau. Je vis une petite chose gracieuse qui inclinait sa tête vers nous, comme pour capter un son ou un mouvement. (…) D’un signe des yeux vers la perruche qui semblait à présent nous ignorer, il m’invita à l’abattre. J’eus des palpitations, tiraillé entre le désir d’obéir et de désobéir. Je cédai à la tentation de la mort. J’épaulai sans brusquerie la carabine, visai et tirai. La perruche chuta à nos pieds. Elle n’était que blessée. »[1]


Tourterelle maillée (photo par Axel)
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Chardonneret à Topkapi (photo par Axel)
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C’est là, dans l’herbe, que nous rencontrons à nos pieds une tourterelle maillée occupée à manger du pain. L’espèce est ici très banale, peu farouche. Et à la réflexion je me demande si je n’en ai pas plus croisé dans les rues d’Istanbul que des moineaux domestiques – mais qui prend garde à ce qu’il a l’habitude de côtoyer ?
Dans les arbres et les buissons surplombant le tapis rouge des tulipes, plantées en nombre considérable dans les jardins de Topkapi, le promeneur curieux rencontrera aussi, pour peu qu’il lève les yeux, outre les corneilles prenant leur bain dans la fontaine d'Erevan Kiosk, des chardonnerets et des mésanges.


Corneille mantelée dans la fontaine d'Erevan Kiosk (photo par Axel )
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Corneilles mantelées dans la fontaine d'Erevan Kiosk (photo par Axel )
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Corneille mantelée au bain (photo par Axel)
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Goéland & martinet (photo par Axel)
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Mais, après quelques jours passés à arpenter les rues, les palais et les bazars, à l’assaut de la tour Galata où en quête de jardins improbables, il est temps d’embarquer pour une balade sur le Bosphore. Et de croiser sous un ciel bleu limpide le vol nerveux en rangs serrés, au ras de l’eau, d’oiseaux faisant de prime abord songer à des limicoles, des bécasseaux où des gravelots, mais dont le bec  rapprocherait plutôt de celui des fulmars. Etrange… Malgré mon « Guide Ornitho » (édition 1999) et les photos que j’ai pu prendre à la volée, même en zoomant, je ne parviens pas à mettre un nom sur ces oiseaux. Et je crois bien je n’aurai jamais pu les identifier si je n’étais tombé sur le blogue d’un Pigeon migrateur : « il s'avère que ce sont des Puffins yelkouan, oiseaux marins apparentés aux Fulmars dont je vous ai parlé dans mes articles sur l'Islande.  Dans l'indispensable Guide ornitho[2] des Oiseaux d'Europe on peut lire "localement nombreux ; de grande bandes passent régulièrement le Bosphore". ». Une nouvelle coche pour moi !



Puffins Yelkouan (photo par Axel)
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Forteresse de Yoros (photo par Axel)
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Puffins Yelkouan (photo parAxel)
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Débarqués à Anadolu Kavagi, après avoir visité les ruines de la forteresse de Yoros plantée sur le promontoire dominant le Bosphore (objet d’un billet précédent), nous avons tout le loisir de savourer une glace, nous faufilant entre les ruelles commerçantes. Et revenus aux quais, loin de l’agitation toute raisonnable de cette saison boudée par la plupart des visiteurs qui, par excès de prudence ont opté pour d’autres destinations, de nous reposer  enfin près de l’eau avec pour compagnie un cormoran séchant ses larmes.  


Cormoran sur les quais d'Anadolu Kavagi (photo par Axel)
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Héron cendré, Gülhane park (photo par Axel)
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Sur le soir, une flânerie improvisée nous conduira sous les ombrages du parc Gülhane, où les parterres de tulipes font miroir aux héronnières semées dans les arbres, comme autant de grosses boules de gui. Et de faire le tour de la colonne des Goths, placée à la proue du palais de Topkapi, pour revenir et fixer enfin sur mon objectif l’œil un peu moqueur d’une perruche à collier.


Perruche à collier, Gülhane park (photo par Axel)
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Mais la nuit s’étale. La mosquée s’illumine et les goélands viennent tournoyer autour des minarets ; flocons minuscules perdus bien au-delà des jets d’eau colorés de la fontaine du Sultan Ahmet park… Un dernier regard, déjà nostalgique sur les courbes généreuses de Sainte Sophie.

Il faut déjà rentrer…

Mosquée bleue, la nuit (photo par Axel)
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Goéland immature, près d'Enominu (Photo par Axel)
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Goéland leucophée (photo par Axel)
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[1] Frédéric Schiffter, On ne meurt pas chagrin.
[2] C’est là que l’on voit l’intérêt de renouveler de temps à autre l’ édition des guide ornithologiques. 

22 avr. 2016

Les oiseaux, dans La ferme africaine de Karen Blixen


J’ai lu ce livre suite à une belle
émission de Répliques de février 2015 consacrée à la romancière et conteuse danoise. Un roman qui n’en est pas un – entre souvenirs et accommodements au réel,  entre tragédie et déambulations parmi les six mille acres de la ferme. Un livre magnifique… Et en écho ; à tirer des larmes…

Fidèle à mon habitude j’y ai relevé l’essentiel des références faites aux oiseaux. Cela commence plutôt mal :

« … je descendais souvent tirer des perdrix dans les champs de patates autour des huttes de squatters. A cette heure-là, les ramiers roucoulaient bien haut dans les arbres effilés, reste épars de la forêt vierge qui recouvrait jadis le pays entier »

Denys Finch Hatton

De l’ami et de l’amant ; Denys Finch Hatton parti dans son avion un vendredi, le 8 mai 1931, pour Nairobi : 

« Attends-moi jeudi, dit-il. Je reviendrai à temps pour déjeuner avec toi. » Alors qu’il avait déjà tourné au coin du bois, il revint chercher un recueil de poésie qu’il m’avait offert autrefois et qu’il souhaitait emporter pour ce voyage. Il resta là, un pied sur le marchepied de l’automobile, un doigt posé sur le livre, et me lut un poème dont nous avions parlé. « Voici tes oies grises », me dit-il.
« J’ai vu les oies grises survoler la plaine,
Les oies grises qui frémissent dans les hauteurs du ciel,
-          Et vont d’un trait d’un horizon à l’autre.
Le cri de leur âme se bloque dans leur groge,
Et j’ai vu leur blancheur grise veiner l’azur immense,
Et les rayons du soleil sur les montagnes brisées. »

« Puis il partit pour de bon, agitant la main avant de disparaitre ».

Ce fut leur dernière rencontre Denys périssant peu à après dans un accident d’avion…

Ferme de karen Blixen

Dans la ferme les animaux abimés trouvent refuge… Ainsi cette cigogne rappelant à Karen Blixen ses terres natales :

« Une fois, j’avais recueilli dans la maison une cigogne avec une aile cassée. En la regardant, j’avais le mal du pays, car elle semblait appartenir au Danemark. Elle avait un caractère décidé et réservé, elle se promenait dans toute les pièces et, quand elle entrait dans ma chambre, elle se précipitait immédiatement vers mon grand miroir, où elle se lançait dans un duel avec son propre reflet, bondissant avec le bec en guise de rapière. Cette cigogne suivait Kamante partout (…) il envoyait les garçons chercher des grenouilles pour la cigogne dans les étangs et les prairies ».


D’un mystérieux chanteur… 
Je comprends d’autant mieux cette frustration à ne pas voir l’oiseau que moi-même, durant l’adolescence, arpentant un chemin de halage étiré le long de la Somme, je fus longtemps incapable de débusquer visuellement les coucous gris qui parasitaient les nids des passereaux alentour :

« Il existe en Afrique un coucou qui chante au milieu des journées les plus chaudes et au cœur de la forêt. On croirait absolument entendre battre le coeur du continent entier. Jamais je n’ai eu la chance de voir ce coucou, ni moi, ni personne d’ailleurs, car nul ne peut me dire à quoi il ressemble. »

Des oies et d’une cigogne et de leur effet sur le clergé indien :

« Le vieil homme, léger comme une plume, s’intéressait aux oiseaux. A cette époque, j’avais une cigogne apprivoisée, toujours fourrée à la maison, et un troupeau d’oies, dont aucune n’était jamais tuée et qui déambulaient sur ma pelouse, afin que mon jardin me rappelle le Danemark. Le prêtre indien montra beaucoup d’intérêt à leur égard et,  en désignant les points cardinaux , chercha à comprendre d’où elle venaient »

Et sur l’étang creusé dans la propriété :

« … à la saison sèche, des volées d’oiseaux s’y retrouvaient  : hérons, ibis, martins-pêcheurs, cailles ainsi que des canards et des oies d’une douzaine d’espèces différentes »


En avion avec Denys Finch-Hatton, lorsque la légende se mêle à l’histoire :

« Ce chemin dans le ciel était le même qu’empruntait chaque soir l’oiseau Rok, en sens inverse, d’Ouganda jusqu’à son nid en Arabie, avec un éléphant dans chaque serre » 

Ici, une approche plus ornithologique :

« On trouvait aussi dans les Ngong Hills deux aigles à queue courte. Denus disait : « Allons voir les aigles ». J’en ai vu un, une fois, posé sur une pierre, très haut, près du sommet, et je l’ai vu s’envoler. Mais sinon, on aurait dit qu’ils passaient leur vie entière dans les airs »


Mais aucun écrit teinté de romantisme ne peut oblitérer tout à fait le rossignol :

« Au tout début de la saison des pluies, la dernière semaine de mars ou la première d’avril, j’ai entendu le rossignol dans la forêt africaine. Pas le chant dans son entier : quelques notes, les premières mesures d’un  concert, une répétition générale interrompue puis reprise. On aurait dit que quelqu’un était perché dans un arbre de la forêt ruisselante et accordait un violoncelle minuscule ». 

Karen Blixen & Denys Finch Hatton

Enfin un combat entre un coq et caméléon. Une scène d’à peine dix secondes ; tragédie de l’infime…


« L’imposant coq blanc de Fathima s’avança fièrement vers moi. Il s’arrêta soudain, inclina la tête sur le côté, la crête hérissée. Un petit caméléon gris, sorti de bonne pour   manger comme le coq, apparu de l’autre côté du chemin. Le coq se précipita sur le caméléon en poussant des petits gloussements de satisfaction. Le caméléon s’arrêta net apercevant le coq, comme pétrifié. Il  avait peur, mais il avait aussi du courage. Il enfonça ses pattes dans le sol, ouvrit bien grande sa bouche pour effrayer son assaillant, et, à la vitesse de l’éclair, projeta vers le coq sa longue langue raide en forme de massue. Le coq parut surpris l’espace d’un instant, et sembla hésiter. Puis, se servant de on bec comme d’un marteau, il frappa résolument et coupa la langue du caméléon ». 


18 avr. 2016

Forteresse de Yoros, sur les collines d’Anadolu Kavagi - le long du Bosphore : YOROS KALESI

Forteresse de Yoros, vue depuis le Bosphore (photo par Axel)

Qu’il est bon de se laisser entraîner au fil de l’eau sous un soleil limpide, sans autre préoccupation que de jouir de l’instant… Ainsi, par un matin s’embarquer à Enominu pour filer le long du Bosphore jusqu’à la bouche de la mer Noire, tout observant les oiseaux et le rivage ; partir à la rencontre de ruines tapissées de légendes et de mystères, alanguies depuis des siècles. Bloc de silence, pareil à une vigie couvrant de son regard le sillage éphémère des navires…

The Bosphorus & the Yoros Castle. By W Henry Bartlett, 1838

De la forteresse de Yoros je ne savais rien de plus que ce que peuvent en dire les guides de voyages – soit, que la vue du haut de la forteresse « génoise » était belle. Il nous aura fallu sentir la pente sous nos pas, la chaleur encore un peu pale d’avril, les cailloux endormis et le bleu de la mer, pour susciter l’envie d’en savoir davantage sur cet endroit un peu hors du temps. C’est un petit résumé[1] de ces trouvailles que je propose ici – déambulations agrémentées de photographies de mon cru.

Arche du château de Yoros & corneille mantelée (Photo par Axel)

Perchées sur une colline de la rive asiatique du Bosphore, à la confluence de la mer noire, se dressent les ruines du château de Yoros [l’origine du nom de Yoros viendrait de “oros” (montagne) ou “ourios” (vents favorable)]. La forteresse qui surplombe aujourd’hui le village d'Anadolu Kavağı, terminus des ferries assurant la liaison depuis Istanbul, fut construite à un endroit stratégique, cette partie du Bosphore étant la plus étroite de la passe proche de l’embouchure de la mer noire.

Une tour de Yoros (photo par Axel)
Au XVIe siècle le village n’existe pas encore, et la seule population connue vit dans le « petit château » situé sur le promontoire. Mais revenons en arrière.

Bien avant l’époque byzantine les lieux furent colonisés par les phéniciens et les grecs qui appelèrent la colline « Herion » (sacrée) en raison de l’implantation d’un temple dédié à Zeus Ourious (Dieu des bons vents). Il faut dire qu’Herion était un emplacement idéal pour marquer la frontière entre la mer Egée et le Pontus, et permettait, outre le mouillage des navires dans la baie de Macar toute proche,  le contrôle du passage d’une mer à l’autre.

Ce temple antique aurait été construit par Phrixos, le fils du roi Athamas et de Néphélé, la déesse des nuages, ou par Jason. Ainsi, suite à une terrible sécheresse le roi Athamas  décide de sacrifier Phrixos et sa sœur Hellé, mais Néphélé sauve ses enfants en les envoyant en Colchide sur un bélier volant à la toison et aux cornes d’or. Hélas Hellé tombe à la mer et se noie lors du passage du premier détroit, qui sera baptisé en son honneur « Hellespont ». Quant à Phrixos il échoue à Herion et fonde un sanctuaire dédié aux douze dieux de l’olympe. L’autre version de la légende attribue la construction du Temple à Jason. Ici Phrixos aurait atteint la Colchide et donné la toison d’or au roi Aiétès qui l’accrocha dans un bosquet d'arbres sacrés dédié au dieu de la guerre Arès. C’est cette toison d'or que Jason, Médée et les Argonautes auraient volée… On connait la suite de l’histoire.

Entrée nord de la forteresse de Yoros (photo par Axel)
Hérodote mentionne la visite de ce sanctuaire par le roi perse Darius en 513 av JC.  Ce qui suggère que le site avait déjà acquis à cette période une renommée et un prestige considérables. On peut donc penser à une fondation du temple durant la première moitié du sixième siècle av JC (voire un peu avant). Les marins s’y arrêtaient pour se livrer à des sacrifices afin d’assurer leurs voyages à destination. Les sources ultérieures (Apollodore, Démosthène, etc.) mentionnent la place comme « Herion », sans autres précisions. Des preuves attestent qu’au IVe siècle av JC qu’Hieron était le dépositaire de copies d’inscriptions politiques grecques (rapport de décrets athéniens pour honorer le roi du Bosphore Leukon). Comme tout sanctuaire grec, Herion cumule une fonction religieuse et pratique. « Chaque été, les marins entrant dans le Pontus faisaient une pause, combinant leur arrêt  avec un passage au sanctuaire. Leur retour vers la mer Egée était sans doute plus important encore, car leurs navires étaient désormais chargés de cargaisons lucratives, y compris les esclaves, les céréales, les poissons et les peaux. Le passage du grain à travers le Bosphore était bien sûr particulièrement critique, et sujet à l'imposition de péages. Lors la révolte ionienne, Histiée de Milet avait ainsi obtenu des revenus dans les détroits en faisant main mise sur la navigation »[2]
Vue du Bosphore depuis l'intérieure de l'enceinte (photo par Axel)

Durant la
période hellénistique le sanctuaire d’Herion prospère. Il aurait cependant souffert de la bataille navale qui eut lieu en 318 av JC entre Cleithos et Nicanor de Stagire, ainsi que suite aux pillages des galates, sans doute peu après 278 av JC. Jusqu’alors dévolu aux douze dieux, Poséidon et Artémis le temple devient alors définitivement dédié à Zeus Ourios.  Deux dédicaces à ce dieu témoignent de l’importance d’Herion. « La première est une stèle érigée en 82 av JC par un équipage sous le commandement du légat Aulus Terentius Varro. La présence de ces hommes à Herion suggère que la zone des opérations navales romaines durant la seconde guerre Mithridate incluait le détroit du Bosphore, et même la mer noire. »

Après cette période, il n’y aura plus aucune mention écrite du site d’Herion jusqu’au VIe après JC. Mais le site est alors uniquement mentionné comme péage et poste de douane. Il semble d’ailleurs que les expéditions de l’empereur Justinien (483 -565) sur le Bosphore contribuèrent à accélérer la transformation du site antique en forteresse byzantine. L’empereur fit en outre construire non loin de la place forte l’église de Môchadion en l’honneur de Saint Michel, église qui « n’était pas inférieure aux autres bâties par lui à l’archange » (Procope).

Yoros sera ainsi occupée par intermittence tout au long de l’empire byzantin, et sous Manuel premier de Comnènes (1118-1180), une chaine massive pouvait être étirée sur le Bosphore jusqu’à la forteresse de Rumeli kavagi, située
sur la riveopposée du Bosphore pour couper la route aux navires de guerre.

En 1204 la quatrième croisade, détournée à l’instigation des vénitiens placés sous la férule du doge Dandolo, se soldera par la prise Constantinople. Malgré les foudres papales, les pilleurs se partageront alors le territoire qui sera placé sous souveraineté de Bauduin de Flandres. C’est une autre histoire sur laquelle je reviendrai dans un prochain billet. Mais pour Yoros, il semble que la chute Constantinople aura signé la perte de la forteresse par les byzantins. En 1261 Michel VIII Paléologue requiert l’aide des génois, farouche ennemis des vénitiens, et reprend la « Ville de Constantin ». Les génois fondent alors la colonie de Pera et prennent le contrôle effectif du commerce de la ville.

En 1305 la place de Yoros sera prise par les ottomans, mais reprise peu après par les byzantins, puis reprise encore par ces premiers en 1391. En 1414 la forteresse tombe aux mains de génois, qui la conserveront 40ans ; d’où son nom. Jusqu’à ce que le sultan Mehmed II en 1453 prenne à son tour Constantinople et chasse les génois de Yoros, considérant leur présence comme une menace dans un tel lieu stratégique.

Vue de Yoros (en contrebas) - Photo par Axel)
La forteresse va connaitre encore d’autres péripéties sur lesquelles je ne m’étendrais pas. Mais après 1783 Yoros tombera progressivement en désuétude et ne sera bientôt plus utilisé. Aujourd’hui « On peut encore voir sur les murs du château, les armes de Gênes et de la Nouvelle-Rome et quelques monogrammes en grec. A l’est, le seuil d’une porte et l’encadrement sont construits avec des blocs de marbre provenant du temple des Douze Dieux. ».


Les ruines de Yoros, perchées indolentes au-dessus du Bosphore, sont désormais retourné au silence. Un silence pas même troublé par la présence de quelques auberges, accrochées au flanc de la colline, juste sous les murs de la place forte. En déambulant sur les pentes herbeuses circonscrites par l’enceinte, le regard tourné vers la mer noire, on songera peut-être à la légende des Symplégades, ces rochers ou falaises de la mythologie grecque qui s’entrechoquaient pour broyer les navires tentant le passage dans le Bosphore. Et on se souviendra de l’astucieux Jason qui eût l’idée d’y envoyer une colombe au-devant de l’Argo, pour forcer sa chance avant que les roches ne puissent se refermer à nouveau. L’oiseau, qui était peut-être une tourterelle maillée, n’y laissera que quelques plumes et Jason et les argonautes parviendront à leur fin, fixant même les roches pour l’éternité.

Et de regretter le temps ou l’embouchure de la mer noire n’était pas enjambée par un immense pont controversé


Vue d'ensemble de Yoros (photo par Axel)

[1] La source principale de ce billet est tirée d’une étude très exhaustive et passionnante d’Alfonso Moreno, « Herion, The Ancient Sanctuary at theMouth of the Black Sea », 2008.
[2] Traduction d’un passage de l’étude d’Alfonso Moreno

6 avr. 2016

Yanomami & Sawi People, jusqu’à Machiavel - Tuer vos invités !

Billet initial du premier mai 2014
(Billet initial supprimé de la plateforme overblog, infestée désormais de publicité)
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« … Une tactique de la guerre chez les Yanomami est d’inviter les gens d’un autre village à venir festoyer dans votre village et alors de les tuer quand ils ont déposés les armes et mangent.
… (pareillement) le peuple Sawi du sud-ouest de la Nouvelle-Guinée honore la traîtrise comme un idéal : plutôt que de tuer directement un ennemi, il vaut mieux l’inviter plusieurs fois pendant des mois à vous rendre visite et partager votre nourriture, et alors d’observer sa terreur quand vous lui déclarez, juste avant de le tuer :

« Tuwi asonai makaerin ! »
(Nous t’avons engraissé avec amitié pour le massacre) »

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Machiavel, on le voit, avec son festin ne rapporte que des faits aussi vieux que le monde... 

"Oliverotto donna un magnifique festin, auquel il invita et Jean Fogliani et les citoyens les  plus distingués  de  Fermo.  Après  tous  les  services  et  les  divertissements  qui  ont lieu  dans de pareilles  fêtes,  il  mit  adroitement  la  conversation  sur  des  sujets  graves, parlant  de  la grandeur  du  pape  Alexandre,  de  César,  son  fils,  ainsi  que  de  leurs entreprises. Jean Fogliani et les autres ayant manifesté leur opinion sur ce sujet, il se leva tout à coup, en disant que c'était là des objets à traiter dans un lieu plus retiré ; et il passa dans une autre chambre, où les convives le suivirent. Mais à peine furent-ils assis, que des soldats, sortant de divers lieux secrets, les tuèrent tous, ainsi que Jean Fogliani."

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Commentaires sur le billet initial
(Sans hélas les photographies, disparues lors de la migration Overblog)